Ta naissance devait célébrer l'amour, le vrai, celui qui brûle tout sur son passage et envoie valser la bienséance, celui qui nie l'existence des frontières et même celle de la guerre. Au lieu de ça, elle a déclenché un drame. Parce que si tu es bien la fille de ton père, tu n'as jamais été celle de sa femme en revanche et, ça, ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour Jamila Shafiq. Deux jours après que tu ais poussé tes premiers cris, la sang-pur noyait ta demi-sœur avant d'essayer de se donner la mort. Ambiance... Ton père était une épave après ça, paraît-il. Tu as du mal à te le figurer comme tel et, en même temps, t'imagines bien comment un truc pareil peut détruire un homme. Même quand il s'agit d'un tigre aussi majestueux. Tu le sais parce que, toi non plus, tu n'as jamais vraiment réussi à faire le deuil de cette histoire. Tu étais trop jeune pour en garder le moindre souvenir, bien sûr, mais depuis que tu es en âge de comprendre ce qu'il s'est passé, tu y penses de temps en temps. Ça te travaille. Tu ne peux pas t'empêcher de te demander à quoi ta demi-sœur aurait ressemblé aujourd'hui. Vous n'aviez que trois mois d'écart. T'imagines que vous auriez fait la paire. Que ça aurait été un peu comme avoir une jumelle. En fait, c'est dur d'admettre que quelqu'un qu'on n'a jamais rencontré puisse nous manquer à ce point. Ou que l'on soit responsable de son absence. Tes parents ont beau t'avoir répété cent fois que tu n'avais absolument rien à te reprocher, que Jamila était déjà psychologiquement fragile, et t'as beau être d'accord avec eux sur le principe, il n'empêche qu'un coin reculé de ton cerveau continue de porter sa part de culpabilité. C'est comme ça. T'as du apprendre à faire avec.

Tu as eu la vie plutôt facile, dans son ensemble. Tu es une bâtarde, c'est vrai, mais tu n'en as pas vraiment souffert. Il y a pire dans la vie que de composer avec les regards effarouchés de vieilles chouettes mal baisées et les railleries débiles d'une bande de nullos. Ceux-là, à Poudlard, ont vite compris qu'il valait mieux éviter de te chercher des noises de toute façon. À toi ou le reste de la clique Shafiq-Khan. Tu t'en fous que tes parents ne soient pas mariés. Il n'y a jamais eu aucune bague de promesse au doigt de ta mère, mais tu défies quiconque de trouver deux personnes s'aimant avec la même intensité et la même sincérité qu'eux. Et tu leur souhaite bien du courage. Alors non, tu ne te sens pas lésée. Malgré ton statut de bâtarde, tu as conscience de faire partie des privilégiés, de cette génération dorée qui eut la chance de ne pas connaître la guerre et observa de loin la chute du monde moldu. La hiérarchie du sang, l'esclavage, tout ça, fait partie de ta normalité. Ça ne les rend pas forcément plus justes – tu es rarement la dernière à bitcher sur les privilèges dingues que s’octroient certains parce qu'ils portent le bon nom de famille – mais ainsi va le monde dans lequel tu as grandi. Tu n'as pas la prétention de le remettre en question. Quand tu vois le bordel que ça a été après la mort du Lord, non merci. Tu es une libre penseuse plus qu'une révolutionnaire. Mais ce choix n'est déjà plus le tien aujourd'hui.

L'incident de Tinworth, le 20 août 2045, a rouvert la boîte de Pandore. Ça ne t'inquiétait pas plus que ça, au début, mais tu as quand même insisté auprès de tes parents pour t'engager chez les Mangemorts. Tu voulais connaître la fierté de porter la Marque. À vingt-deux ans, tu avais l'impression qu'on te permettait enfin de jouer dans la cour des grands et tu n'en étais pas peu fière. Tu n'étais pas présente sur les plages de Tintagel lorsque le retour de l'Ordre du Phénix a été rendu officiel, mais votre victoire écrasante à la mine de Westray, puis Aberfan, t'as conforté dans l'idée que ce sursaut de contestations n'était qu'une passade. Tu ne t'attendais pas à ce que les choses dégénèrent à ce point, jusqu'à ce que l'attentat place de l'Ascension ne te prenne par surprise le 24 juin 2046. Un massacre. Ta tête est encore pleine de ces images de la TVM que tu ne voulais pas voir, de celles de ton frère, Nagendra, allongé sur son lit d'hôpital, et lorsque le leader de la rébellion moldue interrompt le discours de Mervyn Kark le soir-même, tu te dis que l'été ne va pas avec la guerre. Mais alors franchement pas. Tu commences à comprendre dans quoi tu t'es engagée à mesure que la liste des morts s'allonge. Et ça te fout la trouille. Tu es trop fière pour l'admettre alors tu fais ce que tu sais faire de mieux dans ce cas de figure et tu transformes ta peur en colère. Tu es sans pitié quand la Brigade Magique croit prendre d'assaut le QG de l'Ordre du Phénix quelques mois plus tard, avant que vous ne vous rendiez compte que le véritable combat avait lieu ailleurs. Ils ont tué Mervyn Kark. Mervyn fucking Kark ! Tu ne le portais pas spécialement dans ton cœur, tu t'en foutais en fait, pour dire la vérité, comme de n'importe quel autre politicard, mais difficile de ne pas réaliser ce que son assassinat représente. Le vide qu'il laisse à la tête du Ministère.