Miss Cassandra ne voulait que son bonheur, ça, Damian en était persuadé. Elle l’avait prouvé maintes et maintes fois, mais là… elle voulait qu’il accompagne Monsieur Armel ? Tous les deux, seuls, sans elle ? Vraiment ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il avait fait de mal ? Ou qu’est-ce que Monsieur Armel avait fait de mal ? Miss Cassandra avait gagné le gros lot à la loterie de Bertie Crochue, Damian s’en souvenait. Mais aussi qu’elle avait tout de suite décidé qu’elle n’irait pas à la réception. La ligne et les sucreries ne faisaient pas bon ménage même si, Damian en était persuadé, elle n’aurait rien perdu de sa superbe à cause de quelques bonbons ! La sorcière était parfaite. Le Moldu, lui, faisait partie de ces gens qui dévoraient sans prendre un gramme, et pire, dernièrement il avait un peu perdu l’appétit. Depuis l’histoire du Boutefeu, Miss Cassandra le couvait de très près. D’aussi près qu’il collait désormais le cousin de sa maîtresse, marchant un peu dans la lune jusqu’à ce qu’il lui adresse la parole, l’air sérieux.

« Alors c’est toi qui a ébouillanté ma fiancée en plus d’avoir ruiné sa nouvelle robe ? »

Oh mon dieu. Le cœur de Damian se mit à danser la gigue dans sa poitrine, et il était persuadé que son visage prenait toutes les couleurs du spectre. Sans oublier le vert. Oh oui, Monsieur Armel était au courant, bien sûr, c’était à prévoir. Damian pouvait être tellement maladroit quand il voulait bien faire, et il l’avait été avec Miss Olivia, lui renversant du thé dessus quelques jours auparavant. Le Moldu pensait qu’il allait avoir droit à une remontrance bien sentie. Il était incapable de bredouiller la moindre excuse, et le rire du Zabini le surprit tellement que cela lui fit manquer un battement cœur.

« Ca va, ça va. Respire, Cassandra m’a fait promettre de ne pas te manger aujourd’hui. »

Damian avait en effet retenu sa respiration pendant les quelques secondes de suspens. Il s’autorisa à reprendre son souffle, et rendit, sans rien dire, un sourire un peu gêné au sorcier qu’il accompagnait. Monsieur Armel n’avait pas le même comportement que sa cousine avec lui. Généralement il ne le calculait simplement pas. Et ça arrangeait assez Damian, qui le trouvait impressionnant, avec sa mise toujours impeccable et son charisme Zabiniesque. Le domestique était détendu, presque trop familier, avec sa maîtresse qu’il suivait depuis tellement d’années. Sans elle dans le Grand Monde il était d’office nerveux, mais nervosité = stress, stress = bêtises, et bêtises = nervosité. BREF, ça semblait mal engagé cette histoire. Damian devait absolument prendre sur lui pour se détendre… Inspiration… Expiration… Cette méthode sembla porter ses fruits, puisque quelques instants plus tard, son cœur avait repris une course plus normale.

Ils étaient arrivés à l’entrée de la boutique, devant laquelle Damian était déjà passé, mais dans laquelle il n’avait jamais eu l’occasion d’entrer. Son regard se posait un peu partout, le plus discrètement possible, et attaché à son pseudo rôle de domestique modèle, il ne pipa mot en entendant Monsieur Armel écorcher son prénom. « Il ne posera aucun problème », oh oui, il l’espérait bien aussi. Evidemment, la persuasion du sorcier suffit à les laisser entrer. La salle de réception était digne de la renommée des lieux. Il y avait mille petits détails pour attirer l’œil, et évidemment de la magie de partout. Tous les produits de la confiserie étaient exposés dans ce grand showroom réaménagé pour l’occasion. C’était une vitrine particulièrement bien réussie, au goût du Moldu, qui n’avait toutefois aucune connaissance dans ce domaine. Bon public, comme on dit. Absorbé par son observation, il s’arrêta par chance à un pas de rentrer dans le couturier, qui n’aurait sans doute pas du tout aimé cette maladresse. Ouf. Mais quelle idée de ralentir soudainement comme ça aussi. Ah, pour lui donner des directives !

« Allons nous asseoir. Surtout, tu restes vers moi et tu ne touches à rien. Tu as bien compris ? »

« Oh… Oui Monsieur Armel ! »

La petite pause dans sa phrase n’était pas du tout une marque de déception, il était juste étonné que le sorcier lui réclame une réponse, et daigne accepter d’entendre le son de sa voix. Il avait compris, et serra les poings avant de sagement joindre les mains devant lui. Il s’assit à la suite du couturier, lissant machinalement les plis de sa chemise et de son pantalon après avoir pris place. Les vêtements étaient d’excellente facture, comme tous ceux que lui donnaient Miss Cassandra, il en prenait soin. Ses jambes le démangeaient, Damian se serait bien levé pour aller observer de plus près ce qui se trouvait, bougeait, voire sautillait derrière les vitres. Mais non, c’était bien trop loin. Alors il entreprit de regarder les gens autour de lui, mais sans les détailler, pour ne pas paraitre grossier. Dans son espace visuel il n’y avait aucun moldu, alors autant ne pas faire tâche en ayant l’air mal élevé. *Soupir*. Est-ce que ça allait être réellement amusant au moins ?

Les invités semblaient être à peu près tous arrives. Il y avait désormais de nombreux sorciers dans ce hall aux dimensions confortables, et Damian se rendit vite compte qu’il était le seul Moldu. Ca n’était pas la première fois que cela arrivait. Miss Cassandra avait la technique pour arriver à incruster son Damianounet-chou dans des lieux où il n’avait pas sa place, voire dans des endroits où sa présence aurait été carrément interdite. C’était le « LPUZ », le Laisser-Passer-Universel-Zabini, et puis on ne refusait pas quelquechose à la sorcière quand on était à peu près sain d’esprit. Seulement, encore une fois, sa maîtresse n’était pas là aujourd’hui, alors il s’agissait d’être obéissant et de ne pas faire de vagues. Sagement assis, proche de Monsieur Armel, le domestique ne pouvait tout de même pas s’empêcher d’avoir les yeux baladeurs, observant tout, mais sans regarder directement personne, ça aurait été bien trop malpoli. Il baissait le regard à chaque visage entrant dans son champ de vision, le relevant quand il n’y avait plus personne, et ce sans même y songer, c’était un réflexe bien ancré.

Mais une des invitées, qui s’installa non loin, attira pourtant sa curiosité, sans qu’il arrive à se retenir. C’était une sorcière, bien évidemment, mais sans doute pas une sang pur, elle n’en avait pas l’attitude altière. Enfin, pour le moldu, c’était toujours mieux que lui. Ce qu’elle avait de si intéressant, c’était ce ventre légèrement rond qu’il avait décelé à l’extrême de son champ de vision, et qu’il avait analysé au premier coup d’œil. Habitué à l’obsession de la ligne de sa maîtresse, il connaissait par cœur les proportions du corps féminin (même les proportions de Gouda, si si). Aussi ne pouvait-il pas louper ce renflement aussi léger soit-il encore, placé trop bas pour être juste une bedaine. Cela le ramena instantanément à des pensées qu’il avait depuis longtemps dans le crâne, sur ce futur hypothétique qui l’attendait chez les Zabini un fois Miss Cassandra mariée, parceque ça allait bien finir par arriver un jour, quand même. Son mari serait-il tolérant envers l’humain de compagnie qui trainait toujours dans les basques de sa femme ? Et s’il était jaloux ? Et si c’était un de ces sorciers qui ne supportaient pas les Moldus ? Les Zabinis étaient puissants, mais si elle épousait le fils d’une famille plus puissante encore ? Il y en avait peut-être. Il fallait faire confiance encore une fois à Miss Cassandra pour savoir imposer ses choix, mais Damian ne pouvait s’inquiéter d’un futur potentiellement plus compliqué. Et quand sa maîtresse serait enceinte alors ? Ohlala, il s’imaginait déjà devoir lui tenir les cheveux pendant ses nausées matinales. Et devoir aller lui chercher des fraises à n’importe quelle heure du jour et de la nuit… En fait, le jeune homme en était sûr, il adorerait cette période. La sorcière serait sans doute encore plus insupportable que d’habitude, et il devait être un peu maso pour penser aimer ça. En plus, c’était certain qu’il serait de corvée de couches…

Damian secoua rapidement la tête, se rendant compte qu’il avait continué à observer le ventre de la sorcière pendant toute la durée de sa réflexion, les yeux dans le vague et un léger sourire en coin aux lèvres. Crotte de scroutt ! Ses propres genoux eurent l’air vachement plus intéressants d’un coup... Il rougit un peu, mais n’eut pas le temps de vraiment avoir honte, puisqu’une tornade colorée vint aborder l’assemblée. Un bref sourire amusé s’étira sur le visage du Moldu lorsqu’il jeta un coup d’œil en coin sur Monsieur Armel. Le couturier si sensible à la mode aurait eu les yeux qui saignent si ça avait été possible. La maître de cérémonie était donc là, les festivités allaient commencer, mais une gêne sourde commença à s’insinuer dans son esprit. Elle explosa quand Monsieur Armel dût réclamer qu’on le serve lui aussi. Ca n’était visiblement pas dans le protocole de la maison, et cela attirait déjà quelques sourcils froncés de la part de leurs voisins de table, qu’il tenta d’ignorer, se concentrant sur la vaisselle.

Devant le moldu, on avait déposé un verre de jus presque fluorescent, et de petites coupelles qui flottaient en l’air. C’est magique… Les draguées qu’elles contenaient étaient de couleurs différentes, et elles n’évoquaient rien au Moldu. De toute façon il savait que la orange n’aurait pas le goût orange, c’était bien trop facile ! Le Monsieur Loyal multicolore les incita à commencer la dégustation, et Damian attendit le feu vert de Monsieur Armel pour suivre le mouvement. Le terme ‘audacieux’ employé par leur hôte l’inquiétait un peu, mais au pire, ça ne serait qu’un mauvais moment à passer… Il saisit la première dragée, couleur Serpentard, mais avant de la gober il répondit au sorcier.

« Oh oui, je connais ces bonbons. Il en a de temps en temps au manoir, mais pas souvent, parceque ça fait grossir. Et je n’en ai pas mangé souvent, elles disparaissent vite. »

Elles disparaissaient vite, et toujours dans l’estomac de Goud… Miss Amelia. Bien sûr, il n’avait pas incriminé la sœur de sa maîtresse de vive voix, ça aurait été déplacé. Et heureusement aussi qu’il n’était pas un elfe de maison, parcequ’il aurait dû se punir sans doute d’avoir pensé négativement à quelqu’un de sa maisonnée… Enfin, là n’était pas la question, il avait une mission. La dragée atterrit dans sa bouche. Il donna un premier coup de dents dans le bonbon caoutchouteux, un peu inquiet, avant d’ouvrir les yeux en grand, assez surprit, mais pas de façon désagréable.

« Oh, c’est… c’est original. Mais c’est pas mauvais. On dirait du rosbif froid avec de la sauce brune. C’est très bon, même. »

Finalement c’était une bonne pioche, et il prit le temps de finir le bonbon en souriant, savourant le goût riche et salé. Leur hôte surveillait les réactions des convives et il incita les courageux qui avaient déjà pris la première dragée à prendre une gorgée de jus pour rincer, avant de passer à la suivante. Damian avait le verre en main encore quand il capta des regards désapprobateurs lancés vers lui. Voire carrément hostiles même. Parmi les sorciers invités autour d’eux, il y en avait quelques-uns qui s’offusquaient de la présence du Moldu à cette table, et du fait qu’il puisse profiter des mêmes privilèges qu’eux. Très vite, le domestique reposa le verre, très mal à l’aise, pour remettre sagement ses mains sur ses genoux. Il ne savait pas trop sur quel pied danser, et quoi faire ou quoi dire à Monsieur Armel. Il ne voulait pas causer de tors au sorcier, qui avait après tout un commerce à faire tourner. Miss Cassandra les aurait envoyé chier d’un seul geste, mais Damian ne voulait pas que le couturier ait à y subir le moindre tort causé par sa présence. Il ne voulait pas non plus prendre d’initiative malheureuse. La sorcière au ventre rebondit, elle, n’avait pas l’air hostile, et le domestique la remercia dans son for intérieur.