once upon a time
Je sais ce que vous vous dites. Un nom arabe pour un prénom juif, mais quel est le con qui a eu une idée pareille hein ? C'est ce que je me demande aussi, depuis tout gosse, à chaque fois qu'on me lance un regards en biais ou qu'un sourcil se hausse au moment de faire les présentations. Je pourrais dire qu'on apprend à vivre avec mais c'est pas tellement vrai. Ce truc ça te colle au cul encore pire que des morbacks. C'est une marque au fer rouge que tu te trimballe comme un con en plein milieu du front. Mais qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? On ne choisit pas sa famille.
Mon histoire commence bien loin des îles britanniques et des vicissitudes qu’elles connaissent aujourd’hui. Au cœur de Hébron, à l’heure où le soleil décline à l’horizon, les hommes se plaisaient à venir admirer les beautés de l’orient et leur peau mordorée ondoyant dans des châles cousus d’or. Achebèl Tal n’était qu’un sergent de Tsahal à l’époque, et comme tous les soldats en permission il aimait venir picoler et s'en mettre plein les yeux dans le boui-boui de Jamal Ashwari. Ma mère bossait là-bas, comme danseuse. Jamal était son oncle, le frère de sa mère. Il avait accepté de lui filer un job et de lui mettre un toit sur la tête après qu'elle ait quitté le bled familial en quête de liberté. Elle voulait vivre la vie moderne, occidentale, celle des rêveurs qui croient l'amour plus fort que toutes les différences. Et ce soldat qui venait l'admirer presque tous les soirs lui y fit goûter, même si ça ne l'a pas empêché de la laisser derrière lui quand il quitta les territoires occupés pour retourner en Israël. Oh, ne le jugez pas trop sévèrement, il resta en contact et lui envoya régulièrement de l'argent pour lui permettre d'élever son petit bâtard.
Ce petit bâtard c'est moi. C'est déjà pas un titre très évident à porter en temps normal, mais quand en plus on vit en Cisjordanie et que la rumeur court que le père pourrait être un porc sioniste ça devient carrément la misère. Malgré ça on peut dire que j’eus une enfance relativement normale jusqu'à ce que l'Intifada des Couteaux n'éclate à l'automne 2015. C'est à cette époque que le poids de mes origines m'apparut clairement. Au début j'étais comme tous les autres gosses qui lançaient des pierres sur les chars de Tsahal, peut-être même plus virulent encore puisque je pensais avoir quelque-chose à prouver. Mais au fur et à mesure que le conflit s'embourbait et que la haine enflait, ça devint un peu moins drôle de jouer à la grande personne... Un soir des hommes masqués pénétrèrent dans notre maison. Je n'avais même pas 12 ans et j'étais terrifié. Je crois même que je me suis fait dessus quand ils se sont mis à retourner le salon dans tous les sens et qu'ils ont braqué une kalach' sur nous. C'était un avertissement. Après ça, j'ai souvent entendu ma mère pleurer. Elle disait que je ne pouvais pas rester là, que je méritais mieux que ça, que je devais partir pour devenir quelqu'un. Alors elle écrivit à mon père et quelques semaines plus tard il vint me chercher.
J'ai hurlé, frappé, mais ça ne l'a pas empêché de m'emmener. C'est comme ça que j'atterris à Tel-Aviv. Là-bas je découvris l'autre pan de ma famille. Mon père n'avait pas chômé après son service militaire et je me retrouvais maintenant avec deux demi-frères, Amiel et Lior, ainsi qu'une demi-soeur, Yaëlle, la petite dernière. L'adaptation ne fut pas aisée mais je finis par m'y faire. Ma mère n'avait pas menti, Israël offrait bien plus de perspectives d'avenir que ce que j'aurai jamais pu espérer en Cisjordanie, mais ce choix ne fut jamais vraiment le mien. Mon père était devenu quelqu'un, lui. Il avait rejoint le Mossad et grimpé les échelons jusqu'à se hisser au poste de directeur du METSADA, la division des opérations spéciales. Quand j'obtins mon diplôme à la sortie du lycée, il fit jouer ses relations pour m'y faire entrer. Le but était de créer une taupe capable de s'infiltrer au cœur de l’État Islamique. Mes origines mixtes faisaient de moi le candidat idéal. Pendant 3 ans, durée d'un service militaire classique, je suivis alors un entraînement drastique, avant que le Mossad m'envoie rejoindre les États-Unis en 2024, à Washington, suivre des études de médecine dans la même université qu'Abdallah Al-Farsi. Il était le neveu d'un chef de guerre proche de l'EI et sensé être ma porte d'entrée dans l'organisation. Même si je parvins à m'en rapprocher, l'entreprise ne fut toutefois pas couronnée du plus grand succès.
Durant mon exil, une nouvelle Intifada éclata en l'an 2025. J'y perdis à la fois ma mère, Farrah Saab, dans un bombardement dont les deux camps s’accusèrent mutuellement, et mon frère Lior, dans un attentat. Mais pas vraiment le temps de faire le deuil. Au Moyen-Orient on a rarement fini de pleurer ses morts avant la prochaine catastrophe. En 2028, les États-Unis de Donald Trump Jr. parvinrent en effet à rassembler une coalition internationale pour éradiquer définitivement la menace terroriste. Une occasion rêvée pour le Mossad, qui tenta à nouveau de m'implanter de l'autre côté de la barrière en m'envoyant travailler avec les médecins de la Croix-Rouge dans les camps de réfugiés. Je n'avais pas fini mes études mais ça n'avait pas la moindre importance. Cette fois fut la bonne. Je recroisais même la route d'Abdallah qui m'aida malgré lui à gagner la confiance de mes nouveaux petits camarades. A 24 ans ma double vie commençait enfin. A moins qu'elle ait toujours fait partie de ma nature profonde. Je n'étais peut-être pas aussi docile que le Mossad l'avait espéré mais je remplissais mon rôle et le jouais à la perfection.
L’apocalypse. Je n’y avais jamais vraiment pensé. Pour moi il était clair que je finirais par me prendre une balle dans la tête avant d’atteindre les 35 ans, alors le Jugement Dernier et tout le fatras, très peu pour moi. Mais si j’avais dû l’imaginer ça n’aurait pas ressemblé à ça. Je suis un type rationnel. J’aurai plutôt vu une bonne vieille météorite nous fracasser le crâne. Un truc violent, instantané, expéditif. Mais au final, l’apocalypse par les sorciers ça ne manque pas de poésie dans le fond. Pensez-y, l’homme dominant l’homme. N’est-ce pas ce que nous faisions déjà depuis la nuit de temps ? Au moins maintenant plus personne n’a l’idée de prétendre le contraire.
J’ai débarqué en Écosse juste avant que tout ce merdier commence. Que l'électricité saute et que l'inquiétude s'insinue doucement dans les esprits. Rien de bien méchant si vous m’aviez demandé mon avis. J’avais d’autres chats à fouetter à l’époque. La CIA et le Mossad suspectaient une cellule dormante de s’être mise en branle et de préparer une attaque dans le pays. Ils m’avaient demandé d’en apprendre plus, et en manœuvrant habilement j’avais fini par obtenir de l'EI de m’envoyer là-bas pour faire la liaison. La suite tout le monde la connaît. Les événements sont vite devenus hors de contrôle. Au début j’en ai profité pour me débarrasser des cinq branleurs planifiant un attentat à la bombe sale sur Édimbourg. Vu l’anarchie qui régnait déjà un peu partout ça n’aurait pas été très compliqué à expliquer à mes "employeurs" si les choses avaient fini par se calmer. Mais j'allais vite comprendre que le monde que je connaissais était définitivement révolu.
Pas moyen de trouver une porte de sortie. Le trafic aérien était gelé, les voies fluviales également. J’ai bien tenté de faire fonctionner mes contacts, d’un côté comme de l’autre, mais la situation se dégradait à une vitesse si alarmante que j’ai préféré prendre le large quand les premières émeutes ont commencé à éclater. J’ai rejoins une planque à l’écart de la ville et c’est de là que j’ai assisté à la fin du monde. Je ne suis pas parti tout de suite. Dans ma maison isolée au milieu des bois j’avais tout ce dont j’avais besoin, de l’eau, de la nourriture, mais quand les premières créatures se sont pointées j’ai vite compris que pour survivre il faudrait rester en mouvement. Loups-garous, trolls, morts-vivants, araignées géantes... J'en ai vu des vertes et des pas mûres dans la vie, je vous assures, mais
ça il fallait bien avouer que ça dépassait l'entendement. Alors j’ai pris la direction du sud, vers l'Angleterre. Ça a pris pas mal de temps pour arriver là-bas, et encore une bonne trotte pour rejoindre Londres. Trois ans. Trois ans de vadrouille putain, le bestiaire des frères Grimm collé aux basques toute la foutue journée quasiment.
J’ai rencontré pas mal de gens en cours de route. Des survivants. Des types plus ou moins fréquentables mais racontant tous la même histoire. Celle des bêtes, de la maladie, mais aussi de ces humains brandissant des bouts de bois comme dans les contes de fée de nos enfances, à la différence que les sortilèges s'en échappant n'avaient jamais semblé aussi vrai que nature. Ils les appelaient les sorciers, les magiciens, les suppôts de Satan, et bien d'autre encore. Peu importe au final. Ils ont fini par me pincer moi aussi. C'était un matin d'hiver au début de l'année 2035. Difficile d'être plus précis, j'avais fini par perdre le compte je crois, mais c'est comme ça que j'ai atterri dans leurs mines de malheur. À vous faire regretter la faim et le froid d'une vie de cavale putain. Mon dos porte encore les stigmates des coups de fouet reçus à cette époque. Comment j'ai fini par m'en sortir ? En me serrant les coudes avec des compagnons de galère, pour une fois. Un type disait avoir fait partie d'un groupe de résistants et connaître une planque sûre. Il y avait aussi un ancien secouriste, sa gamine, et deux ou trois autres péquenots insignifiants qui n'allèrent jamais beaucoup plus loin que les murs de la mine de toute façon.
Ça n'a pas été une mince affaire mais on s'en est tiré et la Nouvelle Inquisition est devenue comme une seconde famille. Permettez-moi quand même d'y mettre des guillemets. La résistance moldue ressemble plus à une bande de pouilleux dirigée par une espèce de fanatique ecclésiastique qu'autre-chose. Quand on a connu les mines pourtant, on finit par se dire que c'est mieux que rien. Qu’un seul tienne et les autres suivront disait l’adage. Je ne suis plus sûr que ça soit le cas aujourd'hui. Je n'ai jamais eu l'instinct grégaire, disons-le franchement, mais je ne vais pas nier que Tinworth a quand même foutu un sacré coup de pied dans la fourmilière. Je suis curieux de voir où tout ça finira par nous mener.
J'ai pas grand-chose à faire de mieux de ma peau de toute façon...