2047, Février | Through the shadows

Qu'est-ce que je fais là ? Question oppressante, interrogation permanente. Elle tournait en boucle, comme si ses pensées, détraquées, se trouvaient incapables de suivre un autre chemin de réflexion. Était-ce seulement une réflexion ? Non ; plutôt une urgence distillée par l'adrénaline, qui commandait à l'instinct de survie de demeurer vigilant. Amadeus portait une grande cape, dont il avait rabattu le capuchon sur son visage. Il ne devait pas être reconnaissable. Il serrait un paquet contre lui. Dedans, des vivres, quelques mets chapardés dans les cuisines du château. De la nourriture pour ceux qui subissaient les foudres des Mangemorts - de la nourriture pour ceux qu'il avait si bien appris à mépriser. Il frissonna, répugné par cette idée. Il étreignit plus fort son butin. Pourquoi être venu ?
Probablement parce qu'il existait des choses qui l'écœuraient plus encore que les moldus ou les sorciers dont le sang se maculait d'une souillure ineffaçable. Ce monde, dont il avait participé à l'édification, se faisait le garant d'abominations à l'égard desquelles son cœur ne pouvait que sursauter de révolte - à tout le moins, émettre une grande réserve. Il eut une pensée pour Victoria, sa cousine. La croiserait-il ce soir ? Il voulait croire qu'il n'en avait aucune envie ; pourtant, sa première rencontre avec la paria avait éveillé quelque chose. Une petite flamme vacillante, sur laquelle soufflaient avec vigueur des années d'éducation. Il se souvenait.

1992-2004 | You'll be what I want you to be, my son

La grande victoire du Lord. Mad avait six ans ; souvenir ténu. Il se rappelait des sourires de sa famille, toutefois, et de la liesse qui avait bercé le château McKay. Il courait dans les longs corridors en riant, transporté par une euphorie dont il ne comprenait pas bien l'origine. Quelle importance ? Nous avons gagné, disaient-ils. C'était suffisant. Absalom sur les talons, il s'élançait dans le jardin et menait, avec son frère, des parties de cache-cache endiablées. Absalom... celui qui les avait fait passer du rire aux larmes. Absalom et le mal qui le rongeait, cette maladie incurable qui grignotait les espoirs. Ce frère adoré qui, malgré sa santé, continuait à conquérir le cœur de leur père, qui posait sur Amadeus un regard sévère. Ses directives fusaient. Mad relevait le menton et un pli barrait son front entre ses sourcils - finalement, il s'échappait toujours, mû par un insatiable besoin de liberté. Mad l'indomptable. Mad qu'il espérait voir se calmer à son entrée à Poudlard ; Mad qui avait pourfendu toutes ses espérances.

2047, Février | You're doing it again

Tu as recommencé ! Il entendait la voix de son paternel, qui résonnait comme le glas d'une mauvaise nouvelle. S'il le voyait, ici, maintenant...! Cette pensée, malgré tout, lui arracha un sourire - et il chassa sa conscience, qui lui chuchotait que, s'il l'avait souhaité, et malgré son propre entraînement à résister aux incursions dans son esprit, son père aurait certainement pu se frayer un chemin entre ses mensonges. Il avait toujours eu un don pour exaspérer Sir Andrew McKay : c'était, en fait, une tâche qu'il semblait avoir eu à cœur de réaliser chaque jour de sa vie.

2004-2011 | Crafty little lion

Son entrée à Gryffondor signa sa rencontre avec Alice Torvald, et cette rencontre couronna toutes ses prédispositions à se soustraire à l'autorité. Loin de s'assagir, il persévéra dans sa révolte, bientôt transporté par des élans d'adolescence, et toujours encouragé par le sourire malicieux de sa meilleure amie. Ils étaient de ceux qui échappaient au couvre-feu pour parcourir les couloirs hantés par les siècles, de ceux qui s'aventuraient dans la forêt interdite pour frémir sous le souffle de l'adrénaline, de ceux qui contournaient les règles parce que s'y plier n'apportait jamais d'excitants ennuis.
Pourtant, les jeux n'empêchèrent pas la réussite. Chacun, en 2011, décrocha ses ASPIC. Amadeus aurait pu se lancer dans la carrière ministérielle à laquelle le destinait son père, cependant, il s'en détourna, et choisit de s'orienter vers les estrades du duel. Il avait, durant ses sept années au sein de l'école de sorcellerie, participé à un club de duel. Ce que tous avaient considéré comme un loisir, un passe-temps qu'il oublierait une fois plongé dans le monde des adultes, s'était révélé être une passion, une nécessité, une vocation.

2047, Février | Don't you dare

Tu n'oserais pas nous faire ça. Il se souvenait parfaitement de la déception de son père - et de celle de sa mère, dans une moindre mesure -, qui avait fait de cette décision une affaire de querelle. Pourtant, il n'avait jamais regretté son choix. La danse des baguettes au bout des poignets, les sorts qui tourbillonnaient et s'entortillaient, l'adversaire qui esquivait, ripostait et frappait, les longues séances d'entraînement, les longues heures d'acharnement, le stress avant de gagner l'estrade, les spectateurs dont les yeux ne décrochaient pas des éclairs produits par les duellistes : tout cela avait charmé son âme. Désormais, il vivait cela d'une autre manière, dans l'ombre, loin des projecteurs, cependant, avec la même crispation des entrailles. Entraîneur, des sueurs froides coulaient dans son dos à chaque confrontation, secoué tant par la crainte que par l'excitation. Parfois, il tentait de se résonner : les enjeux étaient minimes. En tout cas, bien moindres que ceux auxquels il avait pu être confronté, notamment lorsqu'il avait mis ses talents au service de la Brigade Magique.

2011-2027 | From dark days to golden days

La mort de Voldemort, en 2018, créa des dissensions entre ses disciples. Amadeus, à l'instar de tous les McKay, rejoignit les Héritiers. Cette guerre civile déchira le pouvoir en place. La même année, Absalom décéda, laissant derrière lui un gamin de six ans, et une famille éplorée. Peut-être fut-ce un déclic ? Lentement, le blond glissa sur la pente d'un fervent engagement, si bien que lorsque l'Ordre du Phénix saisit dans ses serres acérées le gouvernement de la nation, il hésita bien peu à s'engager, aux côtés d'Alice, dans la Brigade Magique. Il s'oubliait dans les combats comme il avait tenté de s'oublier dans les duels. En réalité, la mort de son aîné lui pesait trop, au point qu'il en perdait parfois ses moyens, ou s'emportait trop vite contre son adversaire. De toute évidence, poursuivre sa carrière semblait compromis. En avait-il seulement encore envie ? Tout est plus fade, dans ces moments de détresse ; car un sentiment prend le dessus sur le reste, et la tristesse tire sur l'univers son voile composé de nuances de gris. Les rires ne tintent plus de la même manière. Ils ne se fondent pas dans les cendres du passé, mais ils tintinnabulent faiblement, leurs sursauts de joie emportés par un vent de peine.
Puis, quand la douleur, lassée du cœur torturé, s'estompe, tout se pare d'éclatantes couleurs. Ce jour-là, dans l'intimité d'un brouillard opalescent, Vivienne Lestrange avait brillé, incandescence orpheline qui s'était accrochée à son regard bleuté. Était-il brutalement tombé amoureux, ou l'avait-il remarquée et, le temps faisant son œuvre, la relation s'étoffant, des sentiments avaient émergé ? Il l'ignorait. Il l'aima profondément, au point que, enfin, un mariage lui parût envisageable - probablement au soulagement de ses parents, qui avaient gardé en travers de la gorge son refus d'épouser celle qu'ils lui avaient présentée, quelques années auparavant. Quelle plus belle année pour célébrer cette union que celle qui vit revenir les Mangemorts aux rênes du Royaume-Uni ? La paix leur était accordée. Pour un temps.

2047, Février | Don't you dare

Pour un temps. Cette période laissait toujours dans sa bouche un goût doux-amer. Il s'en souvenait avec une mélancolie teintée d'écœurement. Plus rien n'était ainsi ; de surcroît, il avait activement participé à l'avènement d'un monde qui méprisait le moindre aspect d'humanité qu'il aurait pu lui rester. Amadeus tourna à l'angle d'une rue et s'engouffra dans une venelle. Peu de gens s'aventuraient encore ici. Il n'y avait plus rien, sinon des rats, et quelques fantômes faméliques, qui hantaient les avenues à la nuit tombée. Il préférait ne pas transplaner jusqu'ici, dans la peur paranoïaque - mais certainement pas infondée - que quelqu'un ne parvînt à suivre ce déplacement de trop près. Un frisson griffa son échine. Qu'arriverait-il, s'il se faisait prendre ? Il songea à ses enfants.

2027-2041 | When it all collapses

Le bonheur embrassait le jeune couple McKay. Tout leur réussissait. Ils faisaient partie du camp des gagnants, la résistance semblait avoir été décapitée, ils expérimentaient les premiers temps d'une délicieuse vie commune. Ils s'aimaient. Rien d'autre n'importait. Lorsque Amadeus apprit que Vivienne était enceinte, une félicité mêlée à l'angoisse d'un avenir plein de responsabilités l'étreignit. Serait-il comme son père, geôlier brimant ? L'image le hantait. Néanmoins, il n'eut guère le temps de trop se laisser aller à ses pensées, car la grossesse fut compliquée. Alitée plusieurs mois, son épouse se trouvait dans un piteux état. Une instabilité sadique frétillait autour d'elle et rongeait sans vergogne l'idylle qui les liait. Le jeune homme avait hâte que l'accouchement eût lieu, parce qu'il espérait qu'il mettrait un terme à l'hécatombe des sentiments. Comme il se trompait ! Son cœur se crispa de crainte lorsque Vivienne frôla la mort, et se gonfla de soulagement lorsqu'elle rouvrit les yeux ; mais hélas ! Vivienne était morte. Celle qui s'éveilla ne le regarda plus jamais de la même manière. Il tenta tout : il quitta son poste à la Brigade Magique, soutint sa femme autant que possible, s'occupa d'un Absolam dédaigné par sa mère, essaya de discuter avec celle-ci... Tout se finissait en cri. Elle l'accusait : c'était lui le fautif, lui qui l'avait mise enceinte, lui le goujat qui ne l'avait jamais aimée et qui courait les femmes à travers tout le pays. Il démentait sans cesse. Rien n'y faisait. Pourtant, un espoir flamboyant animait Mad. Deux ans plus tard, en 2029, une petite fille naquit, des suites d'une grossesse paisible. Il espéra - ô, comme il espéra ! - que cette naissance pût apaiser les tensions au sein de son couple. Une fois de plus, il s'illusionnait. Lentement, son espoir se consuma, jusqu'à tout à fait disparaître - ou, du moins, à ne plus jamais le tromper sur cette vérité qui l'accablait. Il y a des choses que l'on ne peut pas sauver. Des réalités contre lesquelles se démener ne sert à rien : des filets du diable qui vous tordent le cou plus fort à mesure que vous vous débattez. A partir de ce jour, il aima Vivienne en silence.
Filet du Diable. Un projet savamment préparé, et brillamment exécuté. N'aurait-il pas dû s'en réjouir ? De l'avis de son épouse, si. De l'avis d'Alice, non. Elle démissionna des Brigades pour montrer son mécontentement et se désolidariser de cette infamie que le gouvernement imposait à la société. Ils perdirent contact. Amadeus observa faire, sans rien dire, dégoûté mais impuissant. Il n'avait jamais porté les moldus dans son cœur, cependant, les massacres lui vrillaient l'estomac. Il regarda avec horreur Vivienne se jeter corps et âme dans les combats, et sombrer un peu plus, doucement. Il repensait aux jours heureux. C'était fini. Pour oublier, il se détourna. Il revint dans le monde du duel, cette fois-ci en tant qu'entraîneur, et essaya d'y passer le plus de temps possible.
Et le temps fila. En 2041, il apprit qu'Alice était décédée des suites d'une maladie. Une vive souffrance lui piqua la poitrine, tandis que l'annonce ramenait à son esprit des épisodes douloureux de son passé. Au moins, pour son frère, il avait été là. Mais pour Alice ? Il n'avait jamais renoué. Elle était morte, sans lui, sur cette touche d'inachevé. Un inachèvement qui s'immisça dans les rouages de sa réflexion, et se mit à les faire tourner à vive allure. Alice avait eu le courage de dire non. De faire quelque chose, n'importe quoi. Précautionneusement, peu à peu, la peur au ventre, Amadeus commença à semer des vivres, çà et là, au gré de sa connaissance de la résidence des fugitifs. Une part de son être éprouvait une profonde répulsion pour cet acte. Parfois, il voulait tout arrêter ; c'était comme si un élément dont il ignorait tout le transcendait et le poussait à continuer.

2047, Février | For them

Vivienne et Alice. Elles avaient soutenu, longtemps, la pyramide un peu bancale de son existence. Vivienne et sa douce sauvagerie. Alice et sa formidable camaraderie. Vivienne et leurs enfants. Alice et ses valeurs. Finalement, elles étaient un peu la raison de sa présence ici. Voulait-il devoir défendre des convictions qu'il ne partageait pas devant Absolam et Eleanor ? Non. S'il ne pouvait pas sauver toutes les réalités - subtilement, l'image d'Amleth Zabini frôla sa mémoire, et il grimaça -, il pouvait essayer de sauver ses propres idéaux, et un morceau de sa famille. N'était-il pas devenu, lui-même, leur seul et unique pilier ? Absolam courait derrière sa mère, en quête d'une reconnaissance et d'un amour qu'il n'obtiendrait jamais. Eleanor la toisait avec une méfiance qui lui fissurait le cœur. Le tableau n'avait plus rien à voir avec la toile parfaite que les deux tourtereaux avaient imaginé, au départ.

2041-2047 | Stand tall

Il persévérait si bien dans sa traîtrise que lorsque Mervyn Karka appela à nouveau les Mangemorts après l'événement de Tinworth - qui, en dépit de son allégeance fluctuante, l'inquiéta grandement -, il refusa de les rejoindre. La marque brûla son bras. Il se contenta de la regarder, et faire la sourde oreille aux insultes de Vivienne, qui fusaient et se brisaient contre un apparent mur d'indifférence. Qu'aurait-il pu bien lui répondre ? Elle n'aurait jamais compris. Personne n'aurait compris. Personne, sinon Victoria, cette cousine qui avait fui pour rallier l'Ordre du Phénix, et qui parcourait le pays sous la bannière de sa trahison ; Victoria, qu'il croisa un soir, en 2046, tandis qu'il déposait des vivres - ses incursions en terrain hostile se faisaient de plus en plus fréquente, car la libération de quelques esclaves des mines d'Aberfan et Westray paraissait avoir donné un nouveau souffle de vie aux fugitifs. Cette affaire d'à peine quelques minutes le troubla.
La découverte de l'existence d'une résistance moldue, aussi, le surprit. Mad ne s'attardait jamais dans les ruelles clandestinement occupées. Il n'écoutait pas les bruits qui couraient, les chuchotements d'espoir et les murmures de haine. Pourtant, n'aurait-on pas dû s'y attendre ? Qui aurait accepté d'être maltraité ainsi sans jamais lever le poing ? Même les plus lâches devaient sentir bouillir leur sang. A partir de ce moment, le sorcier sentit les choses s'accélérer. L'attentat de la Tour des médias, la Radio Insoumise Phénix, l'attaque du Château Kark. Il devinait qu'une nouvelle guerre propageait ses braises aux quatre coins du pays, peut-être même de la planète. Le vent de la bataille soufflait sur sa nuque.

2047, Février | Stop watching, do something

Ici. Il avisa enfin le rebord de fenêtre sur lequel il avait l'habitude de déposer son paquet. Il l'y cala, pour éviter qu'il ne tombât. Puis, un soupir laconique lui échappa, et il inclina la nuque. Il était fatigué. Las. Parfois, il rêvait de s'endormir et de ne pas se réveiller. Ce n'était pas le fantasme d'une mort - il n'était pas prêt à mourir, et ne le pouvait pas, pour ses enfants, à tout le moins. C'était l'espoir d'être projeté dans un monde qui, aussi chimérique fût-il, se révélât tout autre. Comme un retour en arrière. Il y avait eu tant d'erreurs de parcours ! S'il avait su, s'ils avaient su, ils auraient pu les éviter. Alors même qu'il refusait de vivre dans le passé, il se surprenait à désirer le changer. Il secoua la tête. Au même moment, un son attira son attention. Saisi d'un réflexe, il sortit sa baguette magique. Une ombre tenta de se cacher, cependant, le sort fusa - « Impedimenta ! » - et le guetteur s'immobilisa, contraint. Amadeus s'était approché et découvrit le visage crasseux d'une gamine, qui levait vers lui de grands yeux baignés de terreur. Il avait cru à une attaque surprise - une pointe de culpabilité lui pinça la poitrine. « Je... rentre chez toi. » D'un geste de sa baguette, il libéra l'enfant de ses entraves. Elle s'enfuit à toutes jambes. Ce ne fut qu'à ce moment qu'il remarqua qu'il lui manquait un bras. Faire quelque chose, n'importe quoi. Il ne fit rien.