Aujourd’hui c’est le grand jour.
Le jour où il ramène Scylla à la maison.

Naturellement, il est venu voir sa chair – son sang – à plusieurs reprises durant sa convalescence au manoir Lagides. Néanmoins, ça reste différent que de l’avoir chez-soi, dans cette nouvelle maison qu’il partagera avec elle, Salomé et son cousin Nilhelm. Ça renferme quelque chose de grisant. Une maigre consolation certes aux côtés de tous ses revers mais il s’y attache comme le dernier lampadaire d’une nuit éternelle, à ces petites choses. Aussi pourrait-il avoir la presque certitude qu’ils pourront jouir d’une meilleure discrétion, loin d’Harmakhis.

Il a loué une élégante carriole menée par des Sombrals pour la mener jusqu’au foyer. Il a fait la commande sous un faux nom avant de demander à un Sang-de-Bourbe d’aller chercher l’engin pour lui. Hélios voulait éviter que la compagnie – pourtant à la réputation respectable – cède aux tentations des intrigues et insère des dispositifs d’écoute à leur insu. Il se disait que les Sombrals n’étaient pas du meilleur goût compte tenu de la fausse couche ou juste de la violence des derniers évènements. Cependant, l’idée d’amener sa sœur dans le confort qu’elle mérite (coussin chauffant magique, fenêtre…) et de lui offrir une ballade aérienne l’a séduit.

Aujourd’hui, il fait gris. Pas de pluie : qu’un ciel bouffi de ses nuages et en overdose de spleen. Hélios arrive à 10h du matin, devant l’entrée principale du manoir comme convenu par la dernière lettre de sa jumelle. Il se garde d’entrer – même par politesse – car il en a autant envie que d’écouter les excuses de son père quant au désastre du 16 février. Il ignore quoi penser de Saïmen, le plus cocu dans l’histoire. Soigner Isilde au lieu de plonger à la rescousse de Scylla ? Bon, il gardait l’excuse du choc et de la salle du bonheur pour lui mais… Ça le dérange. Puis, il pense que les Lagides apprécient peu (euphémisme) Arutha et sa descendance depuis. Comme les Mulciber. Wilfric et Harmakhis, la belle affaire… Bref, s’il peut éviter de les rencontrer, il le fera.

Cinq minutes s’écoulent lorsque Scylla sort avec ses affaires tenues par un domestique. Il va à sa rencontre tandis qu’il laisse l’esclave rangé les bagages à l’arrière de la carriole. Hélios garde un œil sur lui. Juste au cas. « J’ai pensé que tu préférerais cela à un balai pour deux. », dit-il en désignant la carriole couleur roi.

Dès qu’ils se retrouvent seuls sur le véhicule, Hélios active les deux chevaux invisibles pour qu’ils partent vers le nord-ouest. Ces bêtes sont si intelligentes. Même pas besoin d’un cocher et s’il y a un problème, je peux les guider moi-même… Ça plaît à son ego de mâle, ça, de diriger des bêtes. Une fois la machine prête au vol, Hélios recentre son attention vers Scylla. La carriole commence à s’élever. « Ça va ? » Une question stérile puisqu’il se tient assidument au courant de l’état de santé de sa sœur. Mais quand même. « Je suis content que tu ailles mieux. » Le contraire serait digne d’Arutha. Toutefois, au-delà des convenances prévisibles, Hélios veut des réponses. Les voilà face-à-face – enfin – et il refuse de manquer cette chance pour la bombarder de questions. Il laisse un silence en suspens avant d’ajouter : « Nous sommes seuls maintenant… Qui est-il, exactement ? » Il ignorait comment aborder la situation autrement que par une question sèche, précédent une introduction toute sauve délicate. Ou ses émotions l’empêchent d’aborder la chose avec plus de tact. Il veut savoir qui est ce salaud qui a engrossé sa sœur. Ça le tourmente jour et nuit. Là. Maintenant. Un prénom. Un nom. Tout de suite.

Nero. Il est toujours bon de savoir le prénom de qui on veut éclater les dents. Déboîter la mâchoire. Lui lacérer le corps avec au moins autant de violence que son paternel. Oui, il veut sa peau, à ce Nero. Comme quoi les deux jumeaux Kark veulent se le faire, mais deux manières légèrement différentes. Il soupire. Hélios a promis – s’est promis – qu’il le laisserait vivre. Dans quel état, c’est une autre histoire.

Callaghan. Hélios manque de faire une crise d’épilepsie à la mention de ce patronyme maudit. Non seulement elle fréquente l’ennemi mais elle fréquente les pires. Leurs ennemis mortels. Ces sales cafards que la botte du système peine à écraser pour de bon. Des insectes qui refusent de mourir, de grandes gueules qui profèrent mensonges et propagandes et pour finir, des abominations. Chacun d’entre eux. Il fallait qu’ils tuent Mervyn et Elena, maintenant ils veulent enlever ma sœur ? J’espère sincèrement qu’à la fin de tout ce chaos on retrouvera l’hideuse Jane et qu’on me la laissera la doloriser jusqu’à que mort s’en suivre. Je lui brûlerais les yeux avant de donner son corps de traînée à Sevastian… Hélios reste silencieux. Il contient ses menaces et insultes – aussi bien aux Callaghan qu’à sa propre sœur. Il se crispe mais refuse de produire le moindre son pour la prochaine minute. Une minute interminable de blocage, d’émotions assassines concentrées en un courant d’air glacial. Les sourcils froncés, il finit par glisser un : « Je vois. » Pas de félicitation, encore moins d’hypocrisie du style : je suis heureux que tu trouves ton bonheur. Non, Hélios enrage. Il fulmine. Cependant… il suffit d’un regard de sa chair, de son sang, pour qu’il refroidisse le sien. Pense avant de parler. Tourne ta langue huit fois s’il le faut. Ne fais pas comme père… « Es-tu certaine qu’il ne te manipule pas ? Ils sont nos ennemis mortels… Ces gens-là sont capables de n’importe quelle bassesse pour arriver à leurs fins. » Tout comme les Mangemorts, mais eux, c’est le camp du bien. Du devoir, de l’honneur, de la patrie et de la famille. Eux… ils sont du côté de la décadence et du mensonge. « Scylla… on fait tous des erreurs. C’est… c’est humain d’avoir des faiblesses. » Mais pas quand on est un Kark, de nom ou de naissance. La rouquine devra se contenter de ça. « Je sais de quoi je parle… J’ai bien cru que cette cruche de Cassandra Zabini m’aimait. » Il essaie d’user de dérision mais son sourire qui disparaît en amertume est on ne peut plus clair : il le vit toujours mal cette histoire. Il vit mal celle qui se déroule, aussi.

Toutefois, il s’agit d’une brindille de malheur à côté de tous les autres. Il reste assez lucide pour le comprendre. « Ce qui s’est passé au Château… était-ce de la trahison ? » Et encore, il ignore à quel point. Lui, le pauvre, il comprend juste qu’elle a coopéré avec son abomination de petit-ami. Rien de plus. « Pourquoi Scylla ? Je comprends que tu en veuilles à père et crois-moi, tu n’es pas seule dans ce cas mais… c’est notre monde que tu mets en péril, en fricotant avec eux. Nos parents, nos amis… » Doit-il ajouter que leurs amis sont bien souvent de leur parenté ? La vie de sang-pur… « À chaque fois qu’ils nous attaquent, c’est à tous nos amis qu’ils s’en prennent… L’un de ces malades a scalpé Rowena comme un barbare, qui dit que ton Nero n'est pas d'accord ? Alors pourquoi ? Je ne comprends pas... » Doit-il lui rappeler les lois anti sang-purs de la dernière fois que les Phénix sont venus au pouvoir ? Et ça parle d’égalité… Non, Hélios doit savoir pourquoi. Pour détruire ce qui la lie à ce Nero. Qu’Arutha soit le pire d’entre nous je le veux bien mais… mais… comment peut-elle nous tourner le dos de la sorte ? Fréquenter un… Callaghan alors que son clan n’a cessé que de nous menacer, tous ? Ça me dépasse… Elle pense à nous ? À moi ? Sa mâchoire se serre. Il déglutit et a peur : à moitié des prochains mots de sa sœur, à moitié de ce qu’il pourrait faire s’il se mettait en colère… Ses doigts en tremblent déjà, de même qu’il ressent un frétillement des lèvres.

Arutha n’est pas un pion… Une pensée qui surgit des tréfonds de son conditionnement. Il lui a craché dessus de toutes ses pensées depuis des jours. Des semaines. Seulement, il refuse d’admettre que son père n’est rien. Car si le fils de Mervyn Kark n’est rien, qui est son grand-père ? Puis quel est le système qui a mis en place ?

Si père n’est rien, qui suis-je ?

Hélios fait non de la tête. Puisque je ne comprends pas et que je ne peux pas comprendre… Il se borne. Il aimerait protester, couper sa sœur mais il ne le fait pas. Il la respecte et l’écoutera comme elle l’écoute. Il en a toujours été ainsi même dans les pires moments bien qu’il considère le présent comme le pire moment. Vraiment. Quant au sort de la fille Callaghan… il ressent une pointe de malaise. Il se gratte la nuque en réfléchissant au traitement de la fille. Hélios ignore où se placer entre sa conviction profonde que la fin justifie parfois les moyens, que les femmes se laissent trop guider par leurs émotions aussi brillantes soient-elles et qu’effectivement… Les Mangemorts se sont peut-être trop acharnés sur cette jeune fille. Arutha a échoué à tuer toute humanité en son fils et le voilà assailli par le malaise. Il y a pensé à torturer et torturer. Maintenant que sa sœur en parle, ça lui semble horrible. Ou peut-être est-ce la conviction ferme et profonde sa jumelle qui vibre quelques-unes de ses cordes. Ne te laisse pas attendrir, n’oublie pas que ce sont des gueux qui veulent te prendre ta sœur pour te déstabiliser. Ils lui ont fait croire toutes sortes d’idées fausses… Le Kark reste sur ses gardes.

Il grimace à cette société gangrénée dont Scylla parle. De cette terreur rampante. Hélios sait que leur système engendre des tares. Des manières archaïques qu’il vaudrait mieux adoucir. Il a détesté cette folie meurtrière et gratuite d’Arutha à l’endroit des moldus puis il cultive sa propre idée de la place de la femme qui – éducation de son machiste de père oblige – est loin d’être parfaite mais a le mérite de penser le sexe opposé autrement qu’une femme au foyer. Lorsqu’il rêvait d’ambition, il s’imaginait s’attaquer à de graves problèmes. Aux gangrènes dont sa chair fait mention. Mais cracher sur l’héritage de nos ancêtres, remettre en question la hiérarchie du sang… C’est trop. C’est insensé, décadent, contre-nature… Évidemment, cette histoire de monstres et de miroirs, ça doit l’inciter à la remise en question. Néanmoins, une remise en question si fondamentale… que ça devient trop pour le prince. Déjà que son orgueil est blessé, il lui faudrait se plier et avouer qu’il aurait tort ? Au profit des sales terroristes ? Non, jamais…

Le duelliste sait que Scylla a écarté le sujet de Nero. Elle a écarté cette histoire de scalpe et s’il n’aimait pas sa sœur, il lui ferait remarquer qu’il faut avoir du culot pour parler du bien de Rowena en connaissance de cause. Mais il laisse couler. Il veut ramener sa jumelle à la raison, pas avoir raison. « Je sais que notre monde n’est pas parfait. Loin de là. » Il ne t’a pas fait de cadeaux et tu aurais surement voulu que ta vie se déroule autrement… Mais Scylla… Ce que tu fais, c’est de la folie. De la trahison. Comment peux-tu parler de leur bien alors que tu traites avec ceux qui veulent les voir morts ? C’est… c’est... Il se racle doucement la gorge. Il se censure ces mots qui lui ferait perdre toute diplomatie. Pas qu’il ait des mots à ménager pour sa sœur mais il sent le besoin de se contenir. S’il laissait tout sortir d’un coup, ça coulerait pareil à un torrent dévastateur, un tsunami et ses mots n’auraient plus rien à voir avec ce qu’il voulait dire. À ses intentions. « Mais si tu penses trouver de l’humanité chez l’ennemi, tu te fourvoies. » Il revient à la charge. Le Kark est un combattant, il ne lâchera pas le morceau si facilement. « Ce qu’ils veulent, c’est vendre le pays à des puissances étrangères comme durant les Guerres civiles. Ils veulent enseigner des choses déviantes aux enfants et prostituer des Sang-Pures. Ils sont de mèche avec le crime organisé et veulent souiller la magie jusqu’à qu’elle s’éteigne. Pourquoi ? Pour qu’on puisse être égal à des moldus… Une espèce encore arriérée qui aurait pu détruire la planète sans notre intervention. C’est ça que tu veux ? » Tout ça, il le pense. Il faut remercier la famille, Poudlard et la propagande. « Moi non. Ni pour moi, pour toi, pour ceux qu’on aime et ceux qui viendront après nous. Tu vaux mieux que ça, Scylla… » Ça aussi, il le dit avec le cœur. Avec la vive conviction d’être du bon côté de l’histoire. « Il y a d’autres solutions… Il doit y en avoir. » Il prend une grande inspiration. « Mervyn Jr veut hériter car il aime le pouvoir. Je veux hérité pour construire quelque chose de mieux. Pour tout le monde. C’est pour ça que je veux devenir meilleur… Pour créer un monde qui soit moins à l’image de père et plus à l’image de toi. Fort, noble, talentueux… pour lequel on a envie de se battre. » Ses prunelles croisent les siennes. « Ne nous abandonne pas. »

« Si je ne peux même plus t’idéaliser, que puis-je faire ? » En effet, que peut-il faire ? Comment ramener une rouquine amoureuse à la raison ? Confronter son père ? Se battre… pour qui, pour quoi, ça devient flou dans l’instant mais voilà : comment se battre. Que dire de plus ? Soudainement, il ressent une colère. Toute la conversation s’y prête mais aussi il se sent coupable, un peu. De cette larme. De l’impunité de son paternel lorsqu’il a levé la main sur elle.

Coupable de trop de choses.

Hélios invoque un mouchoir et le tend à Scylla. Une larme de folie. Une larme d’un amour qui doit mourir. Disparaître. Ça n’aurait jamais dû exister… Pourtant ça existe. Par le Lord… Père voudrait surement que je la secoue. Voir que je… je la change. De la manière forte. Mais… j’en suis incapable. Il doit y avoir d’autres moyens. Oui. Mais je ne sais pas. J’en ai aucune idée. Si la fortune le veut, ce Nero est mort. Si Arutha peut bien faire quelque chose, c’est bien un sortilège de Sectumsempra. Voilà. S’il est mort, elle arrêtera de penser à lui, non ? Si ? Peut-être bien que non… J’aimerais lui dire qu’il vaut mieux qu’il soit mort. Lui dire en face qu’elle a perdue le nord. Que je lui trouverai un remède pour sa maladie mentale. S’il faut que je fouille les plus grands mages d’Afrique pour ça… je le ferai. Mais étant donné ses émotions… ça fermerait toute conversation. Et je resterai comme un idiot à attendre une nouvelle occasion, comme un cocu. « Si tu es avec eux… Scylla, je ne peux pas me battre contre toi. C’est insensé. Tu es ma jumelle… Ma moitié. Je ne me vois pas m’opposer à toi. Même pour le bien des Mangemorts… » Il réclame une pause par son silence. Il va lâcher quelque chose. Une confession. Lourde, qui lui fera mal à l’égo, à son estime… À trop de choses mais il n’en reste pas à ça de près. On l’a roulé dans la boue en Russie, il s’est battu comme le dernier des nuls durant l’attaque du Château, sa maison a littéralement explosé, il a vu son propre père battre sa chair sans qu’il puisse trouver le courage de réagir… Sa jumelle doit coucher avec une saloperie de Callaghan. Un coup de fouet de plus ou de moins dans une plaie ouverte, qu’est-ce que ça change ? « Je suis seul sans toi. J’ai bien sûr Varian à mes côtés mais… Certains me détestent et n’osent pas le dire, d’autres attendent de me voir tomber pour prendre ma place. Quelques-uns m’en veulent, à tort ou à raison, d’être le fils d’Arutha… Les Phénix sont partout, et maintenant toi… Je ne sais plus quoi faire Scylla. Si je dois aussi t’affronter, alors c’est bel et bien la fin. » La fin de quoi, il l’ignore. Hélios a cette impression que ça annoncera la fin de quelque chose. « Qu’est-ce que je devrais faire ? Ne plus te dire où je vais, ce que je fais et surtout ce que les autres font… par crainte que tu balances tout à l’ennemi ? » Il déglutit et exécute avec rudesse une manœuvre avec les Sombrals, les traits crispés. « Si tu n’es plus la soeur avec qui j’ai grandi, cela veut-il dire que je ne peux plus te faire confiance comme avant ? » J'espère que non. Toutefois, Hélios sait que Scylla lui dirait la vérité sur Arutha. Qu’Arutha lui mentirait sur Scylla. Il se rend alors compte que sa vérité pourrait le blesser plus que le mensonge de son père, autant qu’il sait qu'il doit savoir. Mais que le processus pourrait faire mal. Très mal.