Les premiers souvenirs de Rodolphus se résument à des odeurs. Celle musquée du cuir des reliures mêlée à la senteur acide du papier et de l’encre. L’enfant était tombé dans les livres très tôt, alors qu’il n’en saisissait pas encore le texte, se contentait de regarder les images, et les arabesques compliquées des lettres. Il y avait une bibliothèque bien fournie dans le manoir familial de Widecombe-in-the-Moor, et le garçon était caché là la plupart du temps, insouciant, isolé des problème du monde dans cette forteresse de vélin.

2034 - Abreuvé de savoir, Rodolphus avait déjà de très bonnes bases théoriques de magie quand il intégra Poudlard. Ce fut Serdaigle qui hérita de lui, et non pas Serpentard, étonnant pour un Lestrange, mais cela lui convenait plutôt bien. De toute façon avec son nom et son statut social, il n’avait pas trop de soucis à se faire sur son acceptation au sein de l’école ou de cette maison. Et puis il était calme, ne faisait pas d’histoires, studieux, un parfait Bleu et Argent. Il devint même plutôt populaire dans sa maison. A cette époque-là, le Projet Filet du Diable avait changé le Monde depuis déjà plusieurs années. Le secret magique n’était plus, et les Moldus déjà matés par les sorciers. Elevé entre Widecombe et Poudlard principalement, le petit Rodolphus ne connaissait de toute façon des moldus que le mépris que sa famille leur portait, et la servilité qui était leur destin. Ce monde là était le sien, cet ordre du Monde était naturel. Pourquoi s’en serait il soucié ? Ou pourquoi aurait-il cherché à le remettre en question ?

Septembre 2038 – A quinze ans, Rodolphus savait déjà ce qu’il voulait faire plus tard. Il avait choisi avec soin ses cours optionnels, sélectionnant ceux qui lui donneraient le plus de chance de devenir Médicomage. On lui avait aussi ouvert les portes du cours de magie noire, étant un excellent élève, de Sang Pur de surcroît. Il avait également pris le soin d’amener avec lui des copies des pages du carnet d’Ignatius Lestrange, qu’il conservait bien à l’abri des regards dans son coffre personnel. Un livre auparavant gardé sous clef dans le manoir familial, qu’il convoitait depuis des années. Si Rodolphus n’avait pas autant insisté pour y avoir accès, et ce déjà avant d’être un adolescent, sans doute jamais ne serait-il tombé entre ses mains. Isis avait été claire au début des négociations : c’était non. Mais elle avait dû se rendre à l’évidence, cette volonté, ce désir, n’était pas une passade. Finalement, sa mère avait cédé, lui offrant le carnet quand elle l’avait jugé prêt à en assumer les conséquences. Plusieurs animaux familiers disparurent étrangement cette année-là des couloirs de Poudlard. On rejeta la faute sur une bête échappée de la forêt interdite, on ordonna aux élèves de ne pas s’approcher des bois, et on oublia l’affaire.

Septembre 2041 – Juin 2045 : Sa scolarité à Pouldard se termina sans encombres. Au vu de ses notes excellentes, on ne lui refusa pas l’accès aux études qu’il convoitait, dans lesquelles Rodolphus fit ses preuves malgré une compassion pour les patients qui s’avérait proche du néant. A la fin de ses quatre ans d’études à l'Hôpital Morgane d'Avalon, médicomage diplômé, il savait qu’il n’aurait pas de mal à trouver du travail, mais son but n’était pas vraiment de soigner des gens, aussi méritant soient-ils. Non, la recherche l’appelait, l’expérimentation, voilà ce qui l’intéressait et ce dans quoi il s’était spécialisé. Il postula donc au Département des Mystères, en tout premier choix, juste après son diplôme. Peut-être que les temps troublés avaient ôté de l’esprit des recruteurs leur éthique et leur morale, car ils trouvèrent les travaux du jeune Lestrange très intéressants. Tous. Et ce même si ils s’inspiraient directement des expérimentations d’Ignatius. Les idées qui avaient conduit son aïeul à Azkhaban et à la mort lui offraient, à lui, un emploi. Autres temps, autres mœurs… Désormais employé du ministère, il avait accès à tellement plus de ressources et de moyens… C’en était grisant ! Autres temps oui, car bientôt la donne devait être changée.

Juin 2046 - Par quel prodige ? Comment pouvaient ils défier les sorciers ? Des… moldus !? Comment osaient ils ? Ils n’étaient que des sans magie, ils n’étaient… rien ! Ils n’étaient rien, mais ils devaient pourtant perturber l’ordre immuable des choses déjà mis à mal par ces sales Phénix. Rodolphus avait déjà commencé quelques mois avant ça à s’intéresser de plus près aux évènements du pays. Les Mangemorts s’étaient reformés d’une façon bien plus active à la fin de l’année 2045, et comme tout bon Lestrange dans la fleur de l’âge qui se respecte, il s’y était engagé rapidement. La marque des ténèbres avait fait son apparition sur son bras, et il s’était promit de l’assumer jusqu’au bout. En Octobre 2046, il faisait partie du contingent Mangemort envoyé à la Tour des Médias, et même s’il eut la chance d’en revenir debout, il n’en revint pas totalement sans séquelles. Blessé au visage par un sortilège, et malgré l’intervention des Médicomages, il devait en garder une cicatrice sur la joue, de quoi lui faire détester encore plus ces saletés rebelles.

2047 - S’ensuivirent de nombreux, trop nombreux échecs pour les Mangemorts. La prise de Londres par les Phénix et leurs moldus de compagnie, la perte de Poudlard… Comment pouvaient-ils tomber si bas ? Comment le destin pouvait il s’acharner autant alors qu’ils avaient la Justice et l’Ordre de leur côté ? Oui, le jeune homme en était persuadé, les Mangemorts avaient raison, sur toute la ligne. En contradiction avec ces fiascos,

Janvier 2048 – Rodolphus faisait partie des sorciers mobilisés sur la prise de Vivecime, et la bataille, même si elle n’était pas tout à fait terminée, était déjà gagnée. Ils étaient dans le village, leurs ennemis couraient pour sauver leur peau… Quel glorieux jour ! Ailleurs dans le pays les Mangemorts savouraient eux aussi d’autres victoires. Londres était libérée. Les Phénix boutés hors d’Angleterre. La rébellion dispersée. Que pouvait-il arriver de plus beau ? Rodolphus était en train de suivre les ordres du Lagides, pas de prisonniers, pas de quartier, abattant avec une froideur de métronome les Phénix qui passaient dans son champ de vision, quand un éclair blanc attira son attention quelques instants. Le blanc était à vrai dire pas mal tâché de vermillon, mais dans les yeux clairs de la jeune femme il ne voyait ni peur, ni souffrance. Juste du plaisir, de l’excitation. L’attaque d’un Phénix plus courageux que les autres le tira de son observation, et il retourna à sa noble tâche de boucher d’hommes, mais il ne comptait pas oublier la jeune sorcière pour autant.

Il la connaissait, en fait, cette jeune fille. Bien sûr, à l’époque de Poudlard, elle n’était qu’une gamine de cinq ans de moins, trop douce, trop transparente, dont on ne se rappelait que par sa particularité physique. « L’albinos ». Désormais c’était une femme, une Sang Pur, de bonne famille, mais pas tellement de bonne réputation. Oh, elle n’avait rien fait de scandaleux, on ne parlait pas d’elle dans les salons comme quelqu’un d’infréquentable, ne serais ce que par respect pour son grand père, mais Théresa Mulciber était différente. Physiquement, et mentalement. Elle était totalement cinglée, disait on. Rodolphus avait pu voir ses yeux, à Vivecime, il était persuadé lui aussi qu’elle n’était en effet pas tout à fait saine d’esprit, mais justement. Justement, c’était ça, qui était intéressant. Il était Sang Pur, il avait déjà 25 ans, et si il avait déjà été fiancé (un fiasco, la demoiselle était beaucoup trop sentimentale), il n’était ni encore marié, ni père. C’était sur les épaules d’Alexej que pesait le poids de faire perpétuer leur lignée, mais en tant que second fils, il n’avait pas la liberté de s’abstenir pour autant. Et puis de toute façon, Rodolphus voulait des enfants : de futurs petits mangemorts avec ses gènes, lui-même était né pour ça, la perpétuation du sang. Il attendit alors quelques mois, le temps que la paix s’installe, avant d’aller aborder la jeune fille. Il ne fut pas tellement difficile de convaincre leurs familles. Lestrange… Mulciber… Ces deux noms allaient bien ensemble, et les deux jeunes gens aussi. Isis se fichait de la réputation de Théresa (tant qu’elle était capable de faire des enfants…), et ne chercha pas à discuter le choix de son fils.

A la fin de l’année 2048, ils étaient donc fiancés. Leur mariage fut célébré l’année suivante, et ils n’eurent pas à attendre longtemps pour qu’elle tombe enceinte. Jour après jour, il découvrait celle qu’il avait épousée. Celle, ou celles, puisque les failles de Théresa étaient là, bien présentes, profondes, bien ancrées, il n’était pas certain d’être capable de les compter. Pas de quoi faire fuir un Lestrange, même si il se rendait bien compte qu’il était loin de connaître sa femme. Cela viendrait peut être, avec le temps. Elle n’en était pas moins attachante à sa façon, et bonne mère. Une vraie petite femme d’intérieur, qui abandonna son travail pour s’occuper de ses deux hommes, l’adulte et l’autre, leur fils. Sa naissance semblait l’avoir apaisée. Rodolphus ne regretta pas son mariage quand ils durent lui trouver une nouvelle baguette, après un accident de magique qui aurait pu s’avérer désastreux. Il lui offrit également ses premières toiles et ses premières couleurs. Le ménage n’avait pas de soucis d’argent, entre leurs apports personnels, et le travail de Rodolphus. Ils vivaient dans un manoir confortable, et possédaient tout ce dont ils pouvaient avoir besoin. Théresa pouvait bien se concentrer sur sa passion, ça n’était pas ça qui allait le gêner, puisque lui aussi faisait ce qu’il avait toujours voulu faire, bien à l’abri des regards au fin fond du département des Mystères.

2051 - Mais qu’est ce que le Lagides avait dans la tête ? Il était en train de délirer ! Oui, ces moldus qui étaient passés à travers les mailles de la nasse qui aurait dû les écraser étaient une gêne, un caillou dans une botte, de petits emmerdeurs qui agaçaient les sorciers avec leur technologie moldue et leurs coupures de magie. Mais de là… de là à tendre la main aux Phénix ? Et puis quoi encore ? Leur lécher les pieds aussi tant qu’à faire ? S’étaient-ils endormis pendant ces années de gargarisante paix au point d’avoir oublié le passé et leurs exactions ? Harmakhis était-il amnésique, ou pensait que le peuple anglais l’était devenu ? Rodolphus n’était pas le seul à trouver cette alliance totalement révoltante, et à désapprouver les décisions du Ministre. Il n’hésita pas une seconde, bien évidemment il suivrait les Carrow. Jusque là il ne s’était pas intéressé aux ronds de jambes et aux numéros de charme des cousins pour ramener le plus de sorciers possible de leur côté. Il était resté distant des dissensions entre les deux camps Mangemorts, mais sa décision était désormais prise. Non, il ne pouvait pas leur pardonner, pas leur faire confiance, pas après avoir de ses mains tué leurs enfants et détruit leur Vivecime, jamais le Lestrange pourrait ainsi bafouer les préceptes de Voldemort. Ils étaient leurs ennemis, l’Ordre n’avait pas sa place dans la société Mangemort.