« Descends … j'te remplace. » La vigie semble sur le point de protester, mais la vue de l’expression du visage d’Hija Sabordage suffit à le faire taire. Vêtue de sa tenue de pont préférée – même si elle s’est retrouvée à pester qu’elle ne lui va plus comme avant, ce qui arrive lorsqu’on accouche de jumeaux, elle le contourne en détachant la bande de tissue particulièrement ajustée qui lui a permis de monter avant l’un des deux nourrissons en question. Hosni dort paisiblement. Quant à sa sœur, elle est dans les bras de son père, en bas, sur le pont. Une envie de pause ? Juste d’un peu d’air. Et s’il n’est pas question d’aller se percher n’importe où avec un bébé, c’est l’endroit qui lui a encore semblé le plus adéquat. Tout est allé extrêmement vite. Voir Joaquim sur la Vieille Barrique et surtout, les deux merveilles dont ils sont maintenant responsable a un goût d’irréel, mais qui n’a rien de désagréable, bien au contraire. Et la pirate est consciente qu’il s’agit d’une parenthèse dorée, d’une bulle de bonheur qui éclatera, à un moment où un autre. Tant que le monde ne sera pas débarrassé de la menace Mangemort – pas simplement de leur domination, mais du moindre risque qu’ils puissent revenir un jour – il n’y aura pas un réel moment de calme. Le Colombien a déjà des plans, il n’y a pas le moindre doute et elle sait qu’il ne la laissera pas en arrière. Il n’y parviendrait de toutes les manières absolument pas. Il se pourrait que cela paraisse irresponsable, de penser à se battre avec un petit cœur battant contre le vôtre. Mais pour Hija, ce n’est qu’une raison supplémentaire de reprendre les armes. Pour que ces êtres n’aient jamais à subir ce qu’Isilde, Pamphil ou Salazar avaient subi. Ne pas reproduire les erreurs du passé. Et avec un père comme le leur, il serait utopique de penser que jamais ils ne mettront le pied sur terre. Alors il faut continuer. Mais pas tout de suite. Pour l’instant, elle profite. Ils profitent.

Un bruit sourd la tire de ses rêveries et un léger sourire s’esquisse sur ses lèvres. Cela fait quelques heures déjà qu’elle sait qui arrive. Et que la silhouette du bateau se profile à l’horizon, et de plus en plus précisément. Un conseil, un rendez-vous, elle n’a pas franchement cherché à savoir, ayant d’autres priorités dernièrement que les affaires familiales – ou quoi que ce soit qui n’a pas trait aux bébés, pour tout dire. Fort heureusement, sa mère et les autres femmes de la famille ne sont jamais loin avec leurs conseils. Même Hale, qui, s’il a froncé le nez en apprenant que son compagnon n’est pas pirate, sans doute grâce à Hiresh – merci frangin pour la planche savonnée, s’est rapidement déridé et avoué vaincu devant la famille. Par contre, pour celui qui arrive … Hija retient un soupir. Dagobert et elle ne se sont pas croisés depuis son bannissement. Et si chez les pirates, il n’y a pas eu l’ombre d’une hésitation – ce ne sont pas nos histoires – les retrouvailles peuvent se révéler … intéressantes. Enfin, si elles ont lieu. Il aura sans doute mieux à faire. Et pourtant. Même s’il s’est allié à ceux à l’origine du B sanglant sur son avant-bras, il lui manque. Son frère adoptif.

Les mouvements en bas ne lui échappent pas mais elle ne bouge pas pour autant. On a une superbe vue, d’en haut, que ce soit de l’horizon ou de ce qui se passe sur le pont. Quelque chose qu’elle a appris très tôt, en faisant un de ses points de vue préférés pour espionner ce qui pouvait se passer à bord. Aussi un léger sourire fleurit-il sur ses lèvres quand elle distingue sans mal une silhouette plus que reconnaissable commencer à s’élever dans sa direction. Dans leur direction. Posant une main dans le dos de son fils, elle lui murmure : « Nous allons avoir de la compagnie. » Et c’est avec le plus grand calme qu’elle accueille Dagobert en haut. «« Beau temps pour un coup d’oeil à l’horizon, hein ? » Ça n’appelle pas forcément de réponse, surtout qu’il se désintéresse rapidement du temps qu’il fait pour se concentrer sur un peu plus intéressant, à savoir la petite merveille qu’elle tient contre elle. « Content de te rencontrer, petiot. » Un bon point, même si elle ne s’attendait à rien d’autre. Ses enfants sont des Sabordage, et la famille est sacrée et qu’importe le reste. Se tournant un peu pour qu’il puisse voir le visage de son fils, Hija se charge des présentations : « Hosni, je te présente ton oncle Dagobert. Tu l’appelleras sans doute Tonton Dag dans un futur très proche. » Si le fait qu’elle soit doté d’un instinct maternel n’a été évident pour personne, et surtout pas pour elle, il y a beaucoup de choses dont elle se rend compte. Mais pas tellement cette peur de les voir grandir trop vite. On ne fait pas des enfants pour soi, et certainement pas chez les Sabordage. Surtout quand on sait qu’ils seront en de bonnes mains à la Vieille Barrique, comme elle l’a été. « Dag, voici Hosni. »

Ses yeux se relèvent finalement sur l’homme auquel elle sourit avec chaleur. Et c’est en douceur qu’elle l’attire pour une brève étreinte, en faisant attention au petit bout entre eux. « Ça fait du bien d’te voir. » Bien sûr qu’il lui a manqué. Et maintenant que toutes les cartes sont abattues, c’est encore plus simple. Non que cela change foncièrement quoi que ce soit, surtout pour ces deux qui passent leur temps à s’opposer dans des joutes verbales interminables, parfois pour rire, parfois pour de vrai. « Il faudra que tu passes voir Hanina, avant de repartir, précise-t-elle, désignant les deux silhouettes en bas, un peu plus loin sur le pont. Et Joaquim. » Evidemment. Sa manche a glissé dans son geste, révélant le B écarlate visible sur sa peau sombre. Une marque qu’elle gardera vraisemblablement à vie, un marqueur sans équivoque de son engagement. Une parfaite entrée en la matière. Comme de parler de Joaquim, dont il a sans doute découvert le visage, comme d’autres, sur les avis de recherches après sa désertion du Ministère. Un léger soupir lui échappe et elle se place dos à la vue, calée contre le bois pour plonger ses yeux dans ceux de Dagobert. « Bon. Tu commences ? » Ils ne sont pas du genre à tourner autour du pot, ni l’un ni l’autre. Et cette discussion doit avoir lieu. Histoire d’évacuer tout ce qui doit l’être. Et qu’elle puisse le retrouver entièrement. C’est tout ce qui compte.