« De toute façon, toi, tu peux pas comprendre ! T’as la belle vie.
- Mais on s’en fout de ma vie. L’important c’est que…
- ON S’EN FOUT ? TU RIGOLES ? »

Damian avait désormais l’habitude de se prendre ce genre de remarques au visage, et il s’était aussi vite rendu compte que chercher à y répondre n’amenait rien de bon. Mieux valait se taire, et laisser le vent souffler. La toute jeune Moldue qui se tenait en face de lui, les joues cramoisies baignées de larmes, et le corps couvert de bleus, cherchait quelqu’un sur qui extérioriser ses angoisses, et bingo, c’était pour sa pomme. Enfin, au moins, avec lui, elle ne risquait pas de retour de flamme. Damian se tenait droit devant elle, un peu désarmé face à sa détresse, c’était quelquechose à laquelle il ne se ferait sans doute jamais.

« Rentre, au moins. Viens te poser, boire quelquechose de chaud.
- …. Laisse tomber… »

Gloria tourna les talons, le plantant là, devant l’entrée de l’Auberge. Une fine pluie annonciatrice du printemps tout proche avait déjà teinté ses épaules de sombre et alourdi ses mèches rebelles. Damian se contenta de soupirer, impuissant face aux problèmes de la jeune femme. Elle n’avait pas de chance, même pas dix-huit ans, et sa vie de servitude avait mal commencé. Enfin, au moins elle n’était pas au fond d’une mine, mais sa famille n’était pas gentille avec elle. Damian ne pouvait en effet pas comprendre tout ce qu’elle vivait, puisqu’il avait, lui, une merveilleuse maîtresse, il ne pouvait qu’imaginer, en se souvenant de la vie pourrie qu’il avait avant qu’on l’achète. Pas mal de moldus étaient au courant de sa veine, ça se voyait déjà rien qu’à ses vêtements d’excellente qualité, mais depuis l’avènement de Wiztagram, c’était devenu un secret de polichinelle. Damian avait même une page rien qu’à lui, tenue par Miss Cassandra, ou sa vie de rêve s’affichait en images et en couleurs. Il en perdait pas mal de crédibilité, en tant que Gérant par intermittence de l’auberge du SPM, mais au moins se bougeait-il pour faire avancer les choses. Il y en avait qui comprenaient et étaient reconnaissants, ça lui suffisait.

Il y avait quelques Moldus qui traînaient encore dans la salle principale de l’Auberge, certains discutaient, d’autre se contentaient de scruter le vide, pensifs. Il était bientôt midi, Damian commençait à avoir un peu faim, mais il tarderait sans doute encore un peu à rentrer, au cas où on aurait encore besoin de lui ici. Le domicile cossu que Miss Cassandra avait colonisé, avec son ami Monsieur Nilhem et son fiancé Monsieur Chamaël, ne demandait pas beaucoup d’efforts au domestique. Déjà parcequ’il y avait un elfe de maison, pardi, on allait pas laisser Damian traîner autour d’un fourneau, surtout quand on savait ce dont il était capable avec une poêle à frire, mais aussi parceque dans le Manoir Zabini, il était souvent mis à contribution pour d’autres tâches que de servir sa maîtresse attitrée. Désormais il était un peu bibelot, un peu animal de compagnie, un peu camériste, et le reste de son temps, il le passait ici. Le SPM était le projet de sa maîtresse, mais Damian s’y investissait beaucoup, à son niveau, conscient du bienfondé des lieux.

Enfin, là, il n’y avait rien qui requérait son action et son attention. Il fit donc un petit tour dans l’arrière-boutique, et revint s’installer lui aussi à une table vide. Il avait pris du papier (pas mal de feuilles), un petit carnet, et un stylo. Le devoir qu’il s’apprêtait à commencer lui demanderait sans doute pas mal de concentration, alors il s’était mis un peu à l’écart. Il ouvrit le carnet devant lui, mettant au jour les lettres manuscrites tracées sans hésitation par son professeur de fortune : Darwin. Damian avait gardé le carnet, bien sûr, même depuis que son ami était à Londres. De temps en temps il s’en servait, prenant les lettres déliées comme modèles, lui avait encore une écriture bien trop brouillonne et hésitante. Il commença à coucher ses premiers mots sur le papier (une succession de « Bonjour » les uns après les autres). Le domestique était concentré, penché sur sa table, fermé au monde extérieur, se mordant la lèvre machinalement. Comme il n’était pas doué avec ses machins là, il réussit rapidement à faire des pâtés, des ratures, et même à trouer la feuille. Mais… Afin d’évacuer la frustration, une flopée d’injure succéda aux bonjours, puis il reprit le rythme, notant tous les mots qui lui passaient par la tête. Table, chaise, auberge, rue, sorcier, magie, mangrove, pianiste, tatouages… Avec pas mal de fautes d’orthographe au passage bien entendu .

La critique est facile, mais l’art est difficile, et Damian avait l’impression de lutter contre une plume et une feuille qui avaient décidé de lui pourrir la vie. Les mots venaient facilement dans sa tête, toutes plus ou moins issues de champs lexicaux voisins, mais leur orthographe était aussi approximative que le trait tremblant qu’il traçait sur le vélin. Enfin, au moins cela ressemblait bien à des lettres, et non pas à un gribouillis informe, des lettres devinables, lisibles, moches, mais lisibles. Penché sur son ouvrage, le serviteur n’était absolument pas attentif à ce qui l’entourait. Que pouvait-il se passer, de toute façon ? Ils étaient dans l’auberge, au chaud, et en sécurité. C’était pas comme si un contingent de terroristes allait rentrer ici pour tout fracasser et tout brûler. Même si ça devait en démanger certains, Damian en était persuadé, l’aura Zabini protégeait l’endroit. Encore heureux…

« C’est moi le « pet de Scrout » ? »

La question s’était imposée à Damian tout comme ce doigt tatoué qui était rentré dans son champ de vision, désignant des mots sur sa feuille. Surprit, le scribe amateur ne releva pas tout de suite la tête. Il observait cet index étrange, semblant ne pas le reconnaître… Il fallait que ses neurones se reconnectent…

« Je savais pas que ces exercices étaient si durs que j’allais me faire insulter. Le contenu de ta prochaine lettre m’inquiète un peu, du coup. »

Enfin les yeux de Damian se levèrent pour se poser sur le visage de son ami. Ah, c’était ça le rire qu’il lui avait semblé entendre. Darwin. DARWIN ! Le moldu sauta de sa chaise comme un niffleur hors de sa valise pour venir prendre le pianiste dans ses bras. Une accolade chaleureuse, sincère et spontanée qui ne dura que quelques secondes, le temps que le domestique se rende compte que ce n’était pas une hallucination, il avait bien un corps réel tout contre lui. Une de ses mains ne quitta pas l’épaule de son aîné alors qu’il s’écartait, tout sourire. Le tatoué était plus petit que lui, même si son charisme était nettement supérieur.

« Je suis, mon ami, très heureux de te revoir ! » Une phrase bien solennelle mais le ton utilisé ne laissait pas de doute quant à son authenticité. « Depuis quand tu es à Avalon ? Tu viens d’arriver ? Comment ça va ? Tu restes longtemps ? »

Comme souvent, le moulin à paroles ne lui laissait pas une seconde pour glisser une réponse… Damian s’en rendit compte et se tut soudain, le relâchant par la même. Son regard parcourut également la salle, un lieu somme toute bien austère pour des retrouvailles. Et puis ces gens-là n’avaient peut-être pas envie de subit ses éclats de joie. Un peu de rouge glissa sur ses joues, et il se remit à parler à Darwin, cette fois ci de façon un peu plus posée.

« On sera mieux ailleurs je pense… On a qu’à aller chez ma maîtresse ? Miss Cassandra et ces messieurs ne rentreront sans doute pas de si tôt. Et puis on pourra manger un morceau là-bas, je commence à avoir faim. L’elfe de maison est bien moins caractériel que celui du manoir Zabini, et il cuisine mieux aussi, je trouve… »

Bavardage powaaaaa… Tout en parlant, Damian avait ramassé à la va vite son nécessaire à écriture, s’en débarrassant sur un meuble dans un coin, sauf le petit carnet, qu’il empocha. Il avait également fait un signe de la main à un autre esclave dans la pièce, signalant qu’il partait, puis reporta à nouveau son attention sur son ami tatoué. Dehors, il pleuvait encore, à peine une bruine, certes, mais de quoi le faire grimacer une seconde quand même.

« Oh… On a qu’à prendre les canaux… Ça sera plus rapide et on sera au sec dans une navette. Je ne vais quand même pas te renvoyer chez toi malade, j’ai pas envie qu’on me lance une malédiction vaudou. »

Evidemment c’était une boutade, qu’il souligna d’un sourire amusé. Damian avait entrainé rapidement son comparse dehors, pas spécialement enclin à ce que leurs retrouvailles aient lieu dans l’auberge. Ca n’était pas fait pour ça, et puis ils seraient plus à l’aise pour se raconter ce qu’ils voudraient dans la résidence de Cassandra. La pluie avait augmenté la clientèle des navettes, mais il y avait de la place pour les deux esclaves, qui allèrent s’installer au fond, dans la zone qui leur était réservée après que le domestique se soit acquitté des quelques mornilles nécessaires pour payer leur trajet à tous les deux. Damian se tenait sage et muet, respectueux de la tranquillité des personnes présentes dans cette petite foule, alors que le navire fendait les eaux des canaux d’Avalon. Une petite fille sorcière de pas plus de six ans les observait avec les sourcils froncés, ou plutôt observait Darwin sans retenue, cherchant à deviner le visage sous la capuche, elle protesta quand sa mère la sortit de sa contemplation pour qu’elles puissent descendre à leur arrêt. Allez, le prochain stop serait le leur. Ils n’en avaient que pour quelques minutes, qui défilèrent vite sous leurs yeux.

« Suis moi, c’est par là, on en a pas pour long, c’est juste à côté. »

Les deux moldus avaient quitté la barge, et longeaient désormais la colonne des clients qui souhaitaient, eux, y monter. Vu qu’il parlait à son compagnon de route, Damian n’avait pas le regard braqué sur ses pieds, et il ne vit pas la canne, qu’on tendit soudain devant ses jambes. Patatras !! Sans aucune forme d’élégance, le domestique s’étala par terre. Quand il se rendit compte de sa délicate position, le nez au sol et les vêtements trempés de l’eau sale de la rue, il se redressa d’un bond, rouge écarlate, s’empressant de s’excuser platement à qui voulait bien l’entendre. Oh il avait très bien vu le groupe de jeunes sorciers qui ricanaient de tout leur saoul, et l’air goguenard de celui qui tenait sa canne encore tendue devant lui. Ils savaient très bien qu’ils venaient de ridiculiser un esclave, et s’attendaient peut être à un rébellion qui aurait été réprimée dans la violence… Mais cela ne pouvait mener à rien de bon, et Damian ne leur ferait pas ce plaisir.

« Mi… Milles excuses... »

Entraînant Darwin par la manche, le domestique s’empressa de quitter les lieux, claudiquant un peu, mais rapide dans ses mouvements. Il avait envie de se cacher dans un trou de souris, et n’éprouvait pourtant aucune colère contre les petits blagueurs. Mais quel idiot… Pourquoi n’avait-il pas regardé où il posait les pieds ? Douloureux et honteux, son sourire habituel s’était échappé de son visage, et il ne retrouva un air plus serein que lorsqu’il put enfin refermer la porte de la maison de Miss Cassandra sur eux. Ouf…. Sauvés… L’intérieur cossu de la bâtisse familière apaisa presque instantanément Damian, qui soupira en grand, content d’être arrivé.

« Désolé Darwin, pour le… spectacle. » Sa bouche se tordit un instant dans une moue confuse. « Faut que j’aille me changer, je suis dégoutant là. Viens, on va à l’étage. »

Damian savait déjà qu’au moins un de ses genoux et un de ses coudes étaient écorchés. La toile délicate de ses habits de bonne facture n’avait pas aimé le contact brutal avec le sol, et n’avait protégé en rien la peau fine de l’échalas fragile qu’il était. Il se maudit intérieurement d’être si faiblard… En haut de l’escalier se trouvaient les chambres, dont celle de la maîtresse de maison, Miss Cassandra. Si Damian continuait à dormir majoritairement sur un matelas à côté son lit, comme avait dans le manoir Zabini, il avait depuis leur emménagement dans ce lieu une pièce à lui, où il pouvait entreposer ses affaires, et se détendre au calme. On ne pouvait rentrer dans cette chambre qu’en traversant celle de la sorcière, ce que les deux esclave firent rapidement. L’endroit était plutôt encombré de choses et d’autres, d’affaires de Damian, mais aussi de Cassandra. Il y avait quelques meubles, comme une armoire et un lit simple. Se retrouver dans son antre avait remis du baume au cœur du jeune esclave, qui retrouva un semblant de sourire.

« Ca arrive de plus en plus souvent, ces derniers temps à Avalon. C’est à cause des Carrow et de leur propagande… Les gens deviennent de plus en plus anti moldus, et si avant ils respectaient la propriété des autres, ça tend à de plus être le cas. Dans quelle drôle d’époque on vit dis donc ! Enfin, tout cas moi, c’est bien la première fois qu’on me cherche comme ça. »

Tout en parlant, Damian s’était délesté de sa veste et de sa chemise, et, torse nu, se contorsionnait pour examiner son coude écorché.

« Roh zut... Hey ça va? »

Darwin avait été plutôt calme jusqu’ici, et il restait d’ailleurs un peu trop figé et muet, même pour lui. Désormais interrogatif, le domestique observait son ami, attendant une réaction. Il était même un peu inquiet et prêt à recevoir à peu près n’importe quoi, de l’engueulade à la moquerie, mais doutait que le pianiste soit du genre à rire de lui dans ces conditions.