Cecilia accueillit cette demande de mission avec un air perplexe et ce n’était pas à cause d’une question de timing. Pour une fois, cette mission que Jane lui confiait tombait plutôt bien, considérant l’horaire des matchs de Quidditch. D’ici quelques jours, elle allait disputer son dernier match de la saison contre les Canons de Chudley qui, pour une des rares fois depuis des décennies, vivait une remontée inespérée, sans toutefois menacer la position des Harpies de Holyhead au classement. Dès que le match contre les Canons serait terminé, elle se rendrait à Karasjok, l’endroit le plus nordique où Cecilia avait disputé un match de Quidditch. De là, elle volerait jusqu’au port d’Alta où Odin Sabordage la ferait traverser jusqu’à Svalbard, là où sa marraine vivait sous une fausse identité depuis qu’elle s’était fait passer pour morte depuis plus d’une dizaine d’années.

Ma chère Saga,

J’espère que tout se passe bien pour toi dans ton coin du monde. Pour ma part, j’aurai bientôt quelques jours de congé à ma disposition et je pensais en profiter pour venir te rendre visite. Je viendrais bien passer quelques jours auprès de tes grands bébés histoire de me ressourcer un peu.

Inutile d’aborder dans cette missive des détails trop compromettants sur l’Ordre ou sur le réel objet de sa visite. Après tout, une filleule avait bien le droit de rendre visite à sa marraine adorée, aussi recluse vivait-elle.

Tu as le bonjour de la famille.

La famille sous-entendant Alec et tout ceux qui avaient pu avoir une importance de la vie de Rain jadis, à l’époque où elle avait vécu en Angleterre.

Prends soin de toi!

Avec toute mon affection,
Cecilia

La réponse arriva le lendemain de son match avec les Canons. L’écriture familière de sa marraine couvrait un parchemin qui avait dû braver toute sorte d’intempéries pour arriver en Écosse.

Ma Crevette,

Ici la vie est relativement calme, l'isolement de cet archipel laisse peu de place aux rebondissements.

Je serai ravie de t'avoir à la maison quelque jours. Tu vas voir, ils sont magnifiques mes grands bébés. Si tu veux, tu pourra venir en faire éclore un ou deux.

Dis leur bien qu'ils me manquent tous autant qu'ils sont et qu'ils devraient profiter du printemps pour venir me voir! Mon petit bout du monde vaut le détour.

Félicitations pour ta saison avec les Canons! Je suis désolée de ne pas avoir plus de temps pour suivre tes matchs, mais je regarde tous ceux que je peux.

À bientôt,

Ta marraine.

Dans l’heure, Cecilia avait déjà plié bagage, prête à affronter le rude climat venteux de l’archipel norvégien. Malgré une mer agitée, la traversée à bord du Ragnarök se déroula sans incident notable. Lorsqu’elle acosta, Cecilia transplana aussitôt devant la maison de sa marraine, qu'elle aurait pu reconnaître entre mille, avec son air de maison de hobbit, comme dans le livre du même nom que Rain avait l'habitude de lui lire, lorsque Cecilia n'était encore qu'une gamine.

Après avoir déposé ses effets personnels dans la chambre d’amis, Cecilia fut accueillie dans le salon par un feu crépitant dans la cheminée et un généreux bol de café au lait. Elle s’installa dans un des douillets fauteuils et s’enroula dans un plaid en attendant que Rain revienne dans le salon. Alors que les bûches craquaient et flambaient, Cecilia ne manqua pas de remarquer la présence du violoncelle si cher à sa marraine, appuyé contre un splendide piano. Juste à voir le magnifique instrument, les doigts de la sorcière la démangeaient. Il faudrait absolument qu’elle l’essaye, ne serait-ce que pour entendre la sonorité de cet instrument qu’elle affectionnait particulièrement. Il se dégageait de cette maison tant de calme, de quiétude et de sérénité que Cecilia n’avait pas envie de tout chambouler en abordant de but en blanc l’objet réel de sa visite. Et puis le chat de Rain avait décidé d’adopter ses cuisses comme coussin pour dormir. On ne pouvait pas parler de la guerre avec un chat sur les genoux, c’était si déplacé. De la cuisine, une agréable odeur lui parvenait, lui rappelant celle des pâtisseries de son parrain. Puis Rain, flanquée par son gros husky, fit irruption dans le salon, portant un plateau avec deux assiettes sur lesquelles trônaient deux appétissantes brioches garnies de glaçage fondant.
«Désolée, j’ai été un peu plus longue que prévu. Alors, raconte moi ta saison. »

Rain se laissa tomber dans le fauteuil en face de Cecilia, après avoir posé ses brioches sur la table basse. C’était si bon de se faire dorloter comme ça par sa marraine… D'être complètement à l’aise de parler de tout et de rien. Ou presque. Il y avait toujours la requête de Jane à aborder, qui lui faisait comme un poids dans la gorge. Pas maintenant. Pas aujourd’hui. Demain, il serait encore temps. Elle avait une semaine devant elle de toute façon. Pour l’instant, elle raconta en long, en large et en travers, avec un enthousiasme non feint, ses meilleurs coups de battes de la saison.

Le lendemain, Cecilia fut réveillée par le norvégien forestier de sa marraine qui lui piétinait la poitrine en ronronnant très fort. Dans la cuisine, elle trouva un morceau parchemin écrit par Rain où elle lui expliquait comment se rendre à l’élevage de dragons, car elles avaient convenu la veille d’aller rendre visite aux petits Norvégiens à crête qui avaient éclos le mois dernier.

Après un copieux petit déjeuner, Cecilia s’habilla chaudement et enfourcha son balai pour aller rejoindre sa marraine. Tout le long du trajet, elle réfléchissait à la meilleure manière d’aborder le sujet de la requête de Jane. Peut-être qu’entre deux papouillages de dragon, le sujet passerait mieux… Peut-être que Cecilia s’inquiétait aussi pour rien, qu’elle n’avait pas de raison d’hésiter autant à aborder le sujet, peut-être que Rain serait ravie de revenir en Angleterre, peut-être qu’elle n’attendait que ça, d’être directement sollicitée à revenir. Ou peut-être qu’elle ne devrait pas du tout aborder le sujet. Qu’elle devrait juste se contenter de passer du bon temps avec sa marraine, loin de la guerre, loin de l’Angleterre. Une petite parenthèse bien méritée pour se ressourcer et revenir en forme pour poursuivre la lutte. Ou peut-être ne jamais revenir en Angleterre. Rester saine et sauve dans cet archipel isolé. Ne plus avoir à souffrir, à voir le sang, la mort, à craindre pour sa vie, pour celle de ses proches. Elle était libre après tout. Mis à part ses convictions, rien ne l’obligeait à se battre.

Cecilia atterrit à la réserve et elle fut accueillie par le sourire rayonnant de sa marraine, un dragonneau dans les bras.

« Regarde comme elle est mignonne! Bon… raconte moi un peu comment va la petite troupe? » lui demanda Rain. Elle ne parlait pas des membres de l'Ordre en général, juste des proches restés en Angleterre et dont Rain se plaignait souvent parce qu’ils ne venaient pas la voir assez souvent au goût de la Finlandaise.

« Ça va bien quand même, considérant la situation politique. » Voyant que Rain se crispait en l’entendant mentionner le mot politique, Cecilia comprit que ce n’était pas encore le moment d’aborder ce sujet-là. « Pardon, je ne voulais pas éveiller de mauvais souvenirs…»


Cette réaction en disait long sur ce que pensait Rain de tout ça. Cecilia en conclut qu’elle n’aborderait pas le sujet de la requête de Jane. Pas aujourd’hui en tout cas. Demain peut-être. Ou jamais.

« Ne t’en fais pas, va. La situation dans le monde n’est pas idéale et je le sais très bien. Les mauvais souvenirs je les ai laissés au Royaume-Uni. »

Ses bras toujours croisés sur sa poitrine et son regard fuyant ruinait les efforts qu’elle déployait pour rassurer Cecilia, les efforts qu’elle mettait pour garder le plus de douceur possible dans ses mots, à défaut de ses tournures de phrases un peu rudes. Cecilia afficha un sourire plein de bienveillance à l’attention de sa marraine. Au point culminant de la guerre, elle était encore qu’une adolescente, bien à l’abri derrière les épaisses fortifications de Poudlard. On lui avait raconté bien sûr, les exploits de tous ces Phénix tombés bravement au combat pour protéger ce qu’il restait des Moldus, ceux qui avaient survécu à toutes les atrocités lancées sur eux par les Mangemorts, Mervyn Kark à leur tête.

Se disant que Rain avait sûrement dû entendre parler du décès du couple Kark à la TVM ou dans les journaux, Cecilia ne crut pas nécessaire de mentionner cette nouvelle. Elle préféra se contenter de ce que sa marraine lui avait demandé, soit de donner des nouvelles de la petite troupe. Elle commença par son parrain et son inébranlable foi dans la cause des Phénix, qui avait gagné quelques cicatrices et quelques rides, mais qui se battait toujours avec l’espoir de voir un jour tomber le régime Kark et cette hémocratie contre-nature. Elle parla de Bruce et de son escapade avec les Kelpys.  De Sorcha qui n’avait jamais failli à sa promesse, pas parce qu’un Serment inviolable la liait à Rain, mais parce qu’elle agissait avec sincérité : elle n’avait de Mangemort que cette Marque qui reposait sur son avant-bras et qui n’était plus active depuis longtemps. De Kiara, la fille d’Eireann, et Cecilia comprit que savoir qu’une partie de l’amie décédée de sa marraine vivait encore apporta un peu de réconfort à la dragonologiste. Elle parla aussi de Jane, mais pas en tant que la leader des Phénix : en tant que mère et en tant qu’ancienne amie de Rain, même si les deux femmes s’étaient perdues de vue.

« Et puis récemment, on a réussi à sauver Lizzie, - tu sais, la fille de Jane? - des griffes des Mangemorts. C’était moins une, ils étaient sur le point de l’exécuter. Elle est dans un sale état, mais elle vivra. En tout cas, Jane a redoublé d’ardeur. » Une autre mission d’envergure se préparait, Cecilia le sentait. Quel gros coup les Phénix et la Nouvelle inquisition préparaient-ils?

Rain resta silencieuse un moment et si Cecilia avait eu le talent d'Alec pour décoder les silences de la Finlandaise, elle aurait su que Rain ne voulait pas en entendre d'avantage. La dragonologiste n'avait jamais été une partisane acharnée de l'Ordre. Cecilia finit par le comprendre quand Rain commença à lui expliquer la bonne méthode pour retourner les oeufs en couveuse.

Le troisième jour, Cecilia dormit mal. Dans ses songes, elle voyait Londres décimée par les flammes, pratiquement réduite à néant. Au-dessus d’un Big Ben éventré, la marque des Ténèbres flottait sinistrement. La sorcière se réveilla en sursaut et, alors qu’elle émergeait peu à peu du sommeil, elle eut encore l’impression qu’un rire machiavélique résonnait dans sa tête. Elle fit un crochet par la salle de bain afin de se laver le visage à l’eau froide. Alors que l’eau coulait abondamment, Cecilia fixait son reflet, son coeur continuant à battre la chamade. Les images de son cauchemar continuaient de la hanter. De peur de rendre ce rêve prémonitoire si elle rentrait bredouille au Royaume-Uni, Cecilia décida que ce jour-là serait le jour où elle remplirait sa mission. Elle ferma l’eau et se dirigea vers la cuisine. Un café ne ferait pas de tort pour l’aider à mettre ses idées en place. Rain était déjà habillée, déjà prête à partir, elle remplissait une bouteille d’eau en fredonnant un air que Cecilia ne connaissait pas. Sa marraine avait l’air de bonne humeur, ce qui était rare les jours de pluie et de brouillard. Elle se tourna vers Cecilia et lui offrit un de ses grands sourires mi-radieux mi-éteint dont elle avait le secret depuis son départ définitif du Royaume-Uni.


« Ça fait un moment que tu es réveillée… je n’ai pas osé venir voir si ça allait.»

« J’ai pas super bien dormi, en fait… »

« Tu veux en parler?» Rain s’installa à table, et invita Cecilia à en faire de même. Tant qu’à être en retard, autant l’être pour une bonne raison.

« Rain… Je sais pas trop comment te dire ça… Il y a un truc qu’il faut que je te parle. Tu as sans doute deviné déjà… J’ai aussi rejoint l’Ordre. Parce que j’y crois vraiment. Ça me tient vraiment à coeur. »

Immobile, Rain ne bougeait pas d’un millimètre, seule sa respiration permettait de dire que sa marraine était bel et bien en face d’elle et qu’il ne s’agissait pas d’un double de pierre. La seule mention de l’Ordre avait suffi pour que la dragonologiste se referme hermétiquement. Écoutait-elle seulement? Voulait-elle seulement écouter? Se contentait-elle d’entendre sans prêter la moindre attention au discours de la jeune femme en face d’elle? Le regard éteint et  froid de la Finlandaise ainsi que l’étrange texture de son silence la rendait impénétrable.

« Y’a autre chose. J’ai beaucoup hésité avant de t’en parler. Quand j’ai dit que je venais ici, Jane m’a…» donné une mission? Non, il lui fallait atténuer. « ...demandé une faveur. Je sais que pour toi, le Royaume-Uni est complètement derrière toi, que ce pays est teinté de souvenirs absolument horribles. Je comprends ça. Mais tu sais… on a besoin de toi. J’ai besoin de toi.» Elle insista bien sur cette dernière phrase, sans quitter des yeux la Finlandaise. Rain n’était peut-être pas sa vraie mère, mais c’était ce que Cecilia avait de plus proche d’une mère. À partir du moment où elle avait appris que sa marraine avait quitté le Royaume-Uni, elle n’avait jamais cessé d’espérer son retour. Devant le silence impénétrable de sa marraine, Cecilia aurait tout donné pour être Legilimens et percer le mystère des pensées dans lesquelles s’était emmurée Rain. Cecilia déglutit, serrant fort la tasse de café entre ses mains.

« Il y a encore autre chose. » Le parchemin froissé de la lettre de Jane pesait lourd dans la poche de sa robe de chambre. Normalement, elle aurait dû la détruire dès réception, mais Cecilia n’avait pas pu s’y résoudre. Elle l’avait lue et relue tant de fois que le parchemin menaçait de se déchirer. Une phrase en particulier la hantait presque. Ses dragons pourraient nous être d'une grande aide… Ses dragons… Jane demandait les dragons de Rain. Sa marraine n’accepterait jamais. Mais c’était ce que Jane lui avait demandé, c’était ce dont l’Ordre avait besoin. Cecilia avait tourné et retourné dans sa tête mille et une façons d’aborder la question des dragons, mais aucune ne lui semblait appropriée, tellement la demande lui paraissait indécente. « Jane… pense que les dragons pourraient être utiles à l’Ordre. Elle avait lâché cette phrase à demi-mot, à contrecoeur, sans même regarder sa marraine.

Rain l'avait écouté parler sans décrocher un seul mot, comme si elle avait simplement attendu que ça se passe. Le silence de la Finlandaise alourdissait chaque minute un peu plus l'atmosphère déjà bien chargée de la pièce. À croire qu'un Oiseau-Tonnerre s'apprêtait à prendre son envol dans la cuisine de sa marraine.

« Je me doutais bien que cette vieille vache ne laisserait pas passer une telle occasion. Dis-lui d'aller se faire foutre. Hors de question.»

Cecilia sursauta et releva brusquement la tête. La voix froide et dure comme un couperet, Rain avait donné la sentence, irrévocable. L'écho de ses paroles résonna dans la cuisine un instant. Sa marraine irradiait la rage contenue. Un mur de glace venait de se dresser entre elles. Un mur qui lui semblait soudain insurmontable.

« Je… je suis vraiment désolée. », répondit-elle, la voix tremblante sous le coup de l’émotion. Elle avait l’impression soudainement de n’être qu’une gamine qui venait de faire une grosse, grosse bêtise et qu’on venait de la gronder sévèrement. « Je n’aurais jamais dû aborder le sujet… » Mais bouse! D’où venaient ces larmes? Une batteuse, ça ne pleurait pas.

Rain se leva et alla etreindre Cecilia avec douceur.

« Ce n'est pas contre toi que je suis furieuse. Ne pleure pas, d’accord? »

Elle ne pleurait pas! Pourquoi Rain pensait-elle qu’elle… Oh… Oui. Elle pleurait. Dans les bras de sa marraine, Cecilia se laissa aller à ses sanglots. Mais pourquoi toutes ces larmes? Elle était une femme forte, une adulte. Indépendante.

« Je sais pas… je sais pas… pourquoi… » Cecilia n’arrivait pas à aligner deux mots correctement. Bouse! Elle avait l’air de quoi, maintenant? Sûrement pas d’une terroriste révolutionnaire prête à défendre bec et ongles les droits et libertés de tout un chacun.

« Kaikki oo hyvää, mun kultani. Itkee. Jään kanssasi (tout va bien, ma chérie. Pleure, je reste avec toi.)»

Rain la serra un peu plus fort et frictionnait le dos de Cecilia.  Elle continuait à lui parler pour la calmer, jusqu'à ce que peu à peu, les sanglots se calmèrent et les larmes cessèrent. De temps à autres, de petits reniflements interrompaient le silence apaisant entre les deux femmes.

Le reste de la journée, ni l’une ni l’autre ne mentionna quoi que ce soit en lien avec l’Ordre ou le Royaume-Uni.

Ce ne fut que le dernier soir que Rain aborda le sujet de l’Ordre à nouveau. Cecilia s’était déjà résignée à annoncer à Jane qu’elle avait lamentablement échoué sa mission. Un silence reposant s’était invité dans le salon de la petite maison de la dragonologiste. Marraine et filleule avaient passé une partie de la soirée à jouer du piano à quatre mains.

« Écoute… » Cecilia releva la tête de son livre par surprise. « J’ai décidé de donner une somme de Galions plus que conséquente à l’Ordre. Seulement… je ne veux plus entendre parler de réquisition de dragons. » Elle avait du mal à croire ce qu’elle venait d’entendre.

« C’est… c’est vrai? Tu es sûre? » Évidemment que sa marraine en était sûre. Elle réfléchissait probablement à la question depuis le jour où Cecilia avait abordé le sujet. Mais elle voulait l’entendre de la bouche de Rain. Pour être certaine qu’elle n’était pas en train de rêver.

« Absolument certaine, ma crevette adorée. Jane n’aurait pas dû te demander ça à toi. Elle aurait dû…» Rain marqua une pause, certainement plus pour ravaler des paroles un peu brutales que pour trouver les bons mots du premier coup. « … venir elle-même. Elle a été lâche. »

Lâche? Cecilia aurait donné bien des qualificatifs à Jane, la plupart positif, mais jamais il ne lui aurait venu à l’esprit de traiter la leader de l’Ordre du Phénix de lâche. Mais elle crut bon de ne pas relever l’affirmation. À la place, elle préféra poser une autre question.

« Et si… et si Alec était venu, tu l’aurais écouté? »

Rain ne put s’empêcher de sourire à sa filleule… Alec… Elle se mordit la lèvre inférieure pour ne pas rire…


« Alec aurait su que c’était une mauvaise idée… Que sur une échelle de 1 à 10, c’était un bon 13… Il savait qu’il serait rentré en Angleterre en kit. Il ne se serait même pas risqué à poser un orteil ici pour tout l’or de Gringotts. »

Le sourire de Cecilia s’effaça en entendant la violence des propos de sa marraine. « Tu lui en veux encore? »

« Non.. ça fait longtemps que je ne lui en veux plus. je lui ai pardonné assez rapidement. » Une phrase n’osait pas franchir les lèvres de Rain, et il n’était pas difficile de savoir laquelle. Le sourire de Cecilia revint et elle se risqua dans une nouvelle question purement hypothétique, mais qui lui brûlait les lèvres depuis tellement longtemps.

« Vous seriez toujours ensemble s’il n’y avait pas eu la guerre et Kark? » Son enfant intérieur retenait son souffle. Dans un autre univers, peut-être qu’une Cecilia avait grandi entourée de l’amour de ses parents, oui, mais aussi de sa marraine. Un univers où Rain et Alec vivait heureux avec leur élevage de dragons ou leur réserve faunique, quelque part dans l’archipel écossais.

« C’est très probable. Ce qui est certain, c’est qu’on serait peut être toujours ensemble s’il avait trouvé le courage de voir que parfois, la vraie bravoure, c’est de savoir dire non, même quand ses idéaux paraissent plus importants. »

Rain parlait de sa dépression et de la période qui avait précédé son départ, période dont Cécilia ne devait pas se souvenir en détails. Et ça valait certainement mieux ainsi… les cris, les disputes violentes en anglais, en finnois, les portes qui claquent, leurs humeurs massacrantes, les jours que Rain passait enfermée dans son bureau à composer et à jouer du violoncelle, qui n’en sortait que quand Alec n’était pas dans la maison ou dans une pièce directement adjacente… Rain si maigre qu’elle tenait à peine debout… Même Rain ne voulait pas s’en souvenir… Plus de quinze ans après, elle n’était toujours pas revenue à son poids de forme.  À l’époque, elle ne lui demandait pas grand chose, à Alec. Juste de l’aider à aller mieux. De la soutenir, comme elle l'aurait soutenu si les rôles avaient été inversés. Elle l’aurait porté à bout de bras, elle aurait mis un gros frein à leurs activités au sein de l’Ordre en attendant qu’Alec guérisse.

« Rain… Merci. »

Cecilia n’arrivait pas à croire que son séjour tirait déjà à sa fin. Elle aurait voulu rester dans cette maison encore plusieurs semaines, peut-être même ne jamais repartir. Mais le devoir l’appelait. Il n’était pas encore temps de dire non, car il y avait encore tellement à faire. Cecilia se leva et s’approcha de Rain pour la serrer dans ses bras. Son étreinte contenait toute la force de son amour pour sa marraine, sans que les mots ne réussissent à traverser ses lèvres. « Merci...» répéta-t-elle, avant d’aller se coucher. Le lendemain, un long voyage l’attendait pour rentrer au Royaume-Uni.