Hadrian n’appréciait rien tant que le silence que la nature lui prodiguait. Ces longues périodes de chasse lui permettaient de se ressourcer, de respirer de ce climat étouffant qu’était parfois la société sorcière. Il n’avait aucun problème avec son rang. Il n’avait aucun problème avec son sang et la représentation de ses grandes familles. Néanmoins, si cela pouvait se passer dans des cadres moins bruyants et cérémonieux, il s’en porterait mieux, à n’en pas douter. À une exception près, il se sentait mieux quand il était perdu dans ses chasses, concentré sur la vie d’un animal qu’il allait bientôt ôter. Il était toujours respectueux lorsqu’il le faisait, remerciant la bête pour le jeu, pour la communion qu’ils avaient partagée pour finir ce trajet ensemble. Peu de gens pouvaient comprendre cette plénitude et à quel point le jeune anglais en avait besoin dernièrement. En même temps, personne ne pouvait soupçonner ce qu’il se passait dans sa tête ces temps. D’un naturel secret, ces temps il s’était même coupé de ceux qui étaient proches de lui. En même temps, sa famille n’avait rien fait pour l’aider… Il avait toujours dit qu’il ne se marierait pas, qu’il ne voyait pas l’intérêt de partager sa vie avec quelqu’un, qu’il se suffisait à lui-même et que, de toutes manières, avec tout le temps qu’il passait loin de tout, personne ne voudrait de lui comme époux. Pendant longtemps, ces souhaits ont été respectés, à tel point qu’il pensait avoir été entendu. Il aurait dû se douter que ce ne serait pas aussi facile. Cela faisait deux semaines que ses parents lui avaient annoncé lui avoir trouvé la compagne parfaite. Sa mère avait eu un sourire presque peiné, en même temps que fier, et le ton employé lui avait fait comprendre qu’il n’aurait pas le choix. Il avait essayé de négocier… Parce que tant qu’à être fiancé, autant pouvoir choisir la demoiselle concernée. Mais cela avait mené à davantage de déception.

Pourtant peu boudeur par nature, il avait décidé de s’isoler, prendre un grand bol d’air frais avant d’être enchaîné à une pauvre cruche pour le restant de ses jours. Ça ne pouvait être qu’une pauvre cruche… Il connaissait les filles de la bonne société sorcière. La majorité était déjà prise et il ne restait que celles dont il ne s’approcherait même pas. Bref, oui, il assumait être parti bouder en chassant le dragon. Il venait de terrasser son dragon lorsqu’il reçut la missive l’informant d’un dîner chez les Dolohov. Recouvert de terre et de sang, il s’empressa de prendre une bonne douche rapidement, et de filer aussi vite que possible en direction du manoir, où se trouvaient ses habits de soirée. Quelque part en lui, il commençait à sentir un soupçon croître, mais il préféra le faire taire. C’était purement impossible. Il arriva chez lui, fraîchement lavé et sous les reproches de sa mère, fila mettre sa tenue de soirée, qui avait déjà été soigneusement sélectionnée par celle qui lui avait donné la vie. Pointilleuse et portée sur les détails, jamais elle n’aurait laissé son fils gâcher un moment pareil. Hadrian s’habilla aussi vite que possible, mettant sa cape d’un bleu nuit profond, son costume bleu marine et sa cravate, dont il fit un nœud élaboré, bleu ciel. Il coiffa rapidement ses cheveux à l’aide d’une mixture spécifique pour ces événements et enfila de belles chaussures pointues et cirées, issues du cuir d’un dragon qu’il avait lui-même chassé et dont la couleur mariait à la perfection sa tenue. Lorsqu’il descendit les marches, sa famille l’attendait, impatiente. Il s’excusa poliment envers tout le monde, mais se permit entre quatre-yeux de dire à sa mère que lorsqu’il est perdu de la sorte dans la nature, elle ne peut pas le prévenir d’événements pareils à la dernière minute. Elle lui répondit d’un air pincé et autoritaire qu’elle était sa mère et que c’était son problème à lui d’être là quand elle le convoquait. Il ne répondit rien, sa mère avait l’air beaucoup trop tendue ce soir. Il s’achemina donc avec toute la famille vers le manoir Dolohov, où il plaqua son sourire de circonstance sur son visage. Un peu crispé et n’atteignant surtout pas ses yeux… Mais il entra néanmoins.

Il salua poliment ses hôtes et assuma sa responsabilité pour son retard, expliquant que sa chasse a malencontreusement pris plus de temps que prévu. Il regarda autour, le faste, le champagne, tous ces gens qui discutaient joyeusement, causant ce brouhaha ambiant qui rendait toute discussion superficielle, faute de s’entendre correctement. Le moment qu’il préférait dans ces soirées ? Celui où il avait déjà pu saluer tout le monde et où il pouvait s’éclipser dans le jardin quelques instants pour pouvoir un peu respirer. Mais ce n’était pas encore l’heure. Il salua poliment le clan Dolohov, la mère s’attardant particulièrement sur lui, lorsqu’il croisa également le regard de Rowena, qui approchait d’eux. Avec un sourire poli et condescendant, il la salua.

« Miss Dolohov, quel plaisir de vous voir. »
Il accompagna sa parole d’une petite courbette à son intention, espérant très fortement que leur interaction s’arrêterait là. Mais quelque chose dans le sourire satisfait de sa mère lui disait que ce ne serait vraisemblablement pas le cas. Le soupçon qui l’avait habité plus tôt se faisait maintenant doute, qu’il espérait ne jamais voir confirmé.

Hadrian regarda simplement en coin sa mère jouer les maquerelles. Arabella avait été éduquée à la dure loi des Mulciber et gardait toujours ses distances avec tout le monde, y compris son fils unique. Oh, certainement qu’elle l’aimait, il le savait… Mais cela n’empêchait pas que pour elle, certaines choses étaient plus importantes que l’amour, comme un mariage stratégique qui ferait gagner sa famille en réputation et, pourquoi pas, en richesse même. Comme si c’était encore nécessaire. Bon, il était plutôt mauvaise langue en disant cela, car il estimait que c’était nécessaire. Il était un Mulciber et un Salamander et s’il devait y avoir une descendance de cette branche, elle devait briller plus fort que toutes les autres et pour cela, il fallait une femme à la hauteur de la tâche. Et il l’avait trouvée, mais il valait mieux ne pas y penser ce soir. Rien qu’à la simple idée, il sentait que ses poings se crispaient autour de son verre. Il regarda sa mère les pousser l’un vers l’autre. Elle n’apprécierait sans doute pas qu’il la traite de mère maquerelle, mais cette attitude n’avait rien de la dignité avec laquelle elle aurait dû se comporter en pareilles circonstances. Il concentra son regard sur Rowena Dolohov qu’il regarda de haut en bas. Sans doute que sa mère l’aimait bien et la trouvait à la hauteur d’être celle qui partagerait leur sang et le reste de leur vie. Et il devait avouer que physiquement, il aurait pu tomber sur pire… Peut-être. Tout irait mieux si elle n’avait pas cette langue trop bien pendue et cette vacuité sidérale dans la tête. Instruite peut-être, mais ses préoccupations ne volaient pas plus haut que celle de toutes les gamines pourries gâtées qui pensaient que tout leur était dû car leur sang était pur. Son cœur sans doute était vide de toute émotion, ça, il le croyait sans problème.

Ils restèrent les deux et il reprit encore un verre. Arabella semblait ravie et mentionnait à Lexy à quel point elle aimait le piquant de leur fille. Une manière tout à fait polie de faire remarquer que celle-ci s’était montrée impolie, mais elle ne voyait pas cela comme un problème. Arabella savait à quel point son fils ne pourrait se contenter d’une femme trophée, déjà qu’il n’avait jamais voulu se marier.

Il glissa une main dans sa poche et regarda les « adultes » décamper avec cet air entendu qu’ils avaient tous. Il roula des yeux en entendant la question de la jeune femme avant de la regarder en haussant un sourcil.

« Ta tête instruite n’a toujours pas réussi à faire le calcul ? »
Cela lui semblait tellement évident. Il se sentait pris au piège, mais il n’avait pas l’intention de le montrer. La pire chose qu’on pouvait faire face à un danger, c’était de montrer qu’on était vulnérable. Il préférait rester de marbre et la regarda s’étouffer en se disant que ce serait pas mal si ça pouvait entraîner sa mort. Ça éviterait tellement de problèmes. Mais il était à côté d’elle et les gens le regardaient, alors il tapota de sa grosse main le petit dos de la demoiselle.

« Allons, allons, respire calmement, sinon tu vas t’étouffer. »
La question qui en suivit le fit cependant lâcher un ricanement. S’il avait pu avoir quoi que ce soit à faire la dedans, il aurait été loin d’elle. L’image d’un champ de blé traversa son esprit, mais il la chassa avant de répondre simplement, la voix tendue mais pas beaucoup plus fort qu’un murmure.

« Crois-moi, Dolohov, si j’étais de mèche, tu aurais été la dernière personne sur ma liste. Après la fin du monde. » Il reprit une gorgée. Ils étaient désormais dans le vif du sujet et il ne faisait aucun doute. Il la regarda encore de haut en bas. Rowena Dolohov était sa future épouse.

Il l’avait sérieusement trouvée lente pour se rendre à l’évidence. Dans les familles de sang-pur, pareilles gentillesses n’étaient jamais innocentes. Depuis leur plus jeune âge, ils étaient élevés à croire et surtout comprendre que rien dans la vie n’était gratuit, encore moins la gentillesse. Les amitiés sincères étaient rares et un enfant qui passait du temps avec ses parents pouvait fréquemment les entendre pester sur des amis qui pourtant étaient censés être proches. Les liens désintéressés étaient trop rares dans ce monde comme pour ne pas se méfier du moindre évènement de la sorte. En même temps, il espérait lui-même que ses parents avaient abandonné l’idée de le caser. Il était tellement réfractaire à chaque fois. Pour le coup, il était lui-même trop naïf… Il était le seul enfant de sa lignée, le premier né homme qui plus était. Il n’y avait pas la moindre chance pour qu’il ne fût pas marié. Il devrait plutôt être reconnaissant de ses années de sursis. S’il avait su que ses parents complotaient tout cela derrière lui, il aurait agi autrement, il aurait mieux préparé le terrain. Il aurait eu la fille qu’il voulait vraiment.
Il ricana lorsqu’elle lui proposa de fuir d’un air aussi menaçant que possible, se vantant de les avoir fait tous décamper. Elle se pensait si impressionnante, de sa petite taille et petite stature, avec son visage aux traits quasi-enfantins et pourtant si désirables.

« Du calme petit monstre, tu vas te faire mal à essayer d’avoir l’air effrayante. » Il reprit une gorgée et puis fit venir le serveur à lui, avec tous les verres qu’il y avait, posant son verre vide dessus et en prenant un autre, plein, et lui dit d’un ton sans appel. « Restez dans les parages, si vous tenez à la vie. » L’alcool serait sa solution pour ce soir. C’était probablement son seul refuge et il comptait en profiter. Il reprit une rasade. « Ta mère doit surtout se dire que vues tes manières, elle ne peut pas exiger d’un homme qu’il reste près de toi plus de dix minutes. » Il regarda sa montre. « D’ailleurs, même trois minutes te rendent à peine supportable. » Il parlait doucement, son visage ne dévoilant pas l’agacement qu’il ressentait en ce moment précis. Ils étaient des oiseaux de l’élite et rien ne les déphaserait des apparences qu’ils devaient sauver.

Mais en réalité, malgré ses piques incessantes, son cerveau était en pleine ébullition. Il ne voulait pas de ce mariage et finalement, ses parents ne pouvaient pas le forcer à se marier. Ils ne pouvaient pas prononcer des vœux à sa place, et pourtant, ils pouvaient simplement ruiner sa vie si l’envie leur prenait. Ils pourraient lui interdire de chasser, lui enlever les voyages et ces longs moments de solitudes qui lui permettaient de respirer. Il pesait les pours et les contres. Il la regarda, essayant de voir quelle excuse il pourrait trouver pour ses parents, mais il comprenait bien qu’en bien des points, elle était parfaite pour lui. Fille d’une bonne famille, caractère bien trempé, Mangemort et ambitieuse, il n’était pas surpris que ses parents l’aient choisi pour elle. S’ils savaient ce à quoi il aspirait, ils ne l’auraient peut-être pas choisie elle. Sa mâchoire se crispa. Le souvenir était encore trop douloureux, il valait mieux ne pas y penser.

« Tu pourrais décider toi de fuir, comprendre que je suis beaucoup trop loin d’ici en permanence et que tu préfèrerais quelqu’un qui partage les mêmes intérêts que toi qui sont… » Il la regarda et avec une moue dit. « le maquillage je suppose ? » Mais il était d’accord avec elle. Sa mère était rarement aussi douce avec qui que ce soit, même quand il était bébé et ce regard criait clairement au complot. « je vais vite aller… » Il fit un pas en avant, mais n’eut pas le temps de faire plus avant d’entendre les verres tinter. C’est comme s’il était hors de son propre corps qu’il entendit la suite. Il ne pouvait pas sauter et les interrompre. Il ne pouvait pas les faire taire. Il ne voulait pas que ça arrive. Il sentait les sueurs froides et ses yeux scrutèrent la salle pour chercher quelqu’un, quelqu’un qui ne devait pas entendre ça, la seule personne qui pourrait le convaincre de tout changer. Entendre sa mère parler de leur excitation, puis Lexy Dolohov annoncer de vive voix ce que eux-mêmes venaient de comprendre. Cela lui fit l’effet d’une douche froide et il reprit aussitôt une nouvelle coupe au domestique qui avait compris le message. Il n’eut pas le temps de la boire qu’elle était prise par Rowena Dolohov. Il la regardait, complètement étourdi. Bientôt Rowena Salamander, sa future épouse. Il reprit encore une coupe et but. Il lui semblait que peu importait la quantité d’alcool qu’il ingurgiterait, il ne serait pas assez soûl pour ça.

Mais il voyait les regards autour d’eux. Ceux qui étaient proches venaient les féliciter et ils devaient jouer la comédie. Ils ne pouvaient pas garder l’air ébahis plus longtemps et après le moment d’absence, ils devaient se remettre, reprendre les convenances. Ils étaient l’élite et ils ne pouvaient pas se laisser déstabiliser par ça. Prenant une grande inspiration, il marmonna à l’adresse de sa fiancée. « Jouons le jeu le temps de fête. On stratégisera après. » Mais l’annonce était faite et il avait beau parler de stratégie, il savait qu’il était pris au piège. Il posa sa main sur la taille gracile de la jeune femme, la rapprochant de lui un peu brusquement. Ils devraient jouer la comédie aux yeux du monde désormais. Ancrant son plus beau faux sourire sur son visage, il serra la main des gens qui le félicitaient, vantant la chance d’avoir une femme aussi belle que Rowena pour partager sa vie. C’était la seule qualité qu’il lui trouvait réellement, alors autant l’exploiter.

C’est drôle comme l’être humain peut facilement être conditionné. Jamais il n’aurait cru qu’il suivrait aussi docilement les convenances, alors même qu’elles le gênaient fortement. C’était arrivé comme un réflexe, après la grosse annonce, de prendre cette jeune femme par la taille et agir comme c’était attendu de lui. Son grand-père dans la foule devrait être fier de lui, c’était au moins une bonne chose de gagnée. Mais cette attitude le dégoûtait et ce qu’il venait de se passer de plus belle. Il n’avait pas envie de se marier. Il avait encore moins envie de se marier à n’împorte qui. Et pire que tout, c’était de devoir se marier avec la peste qu’était Rowena Dolohov. Jamais ils ne pourraient fonder un foyer, leurs parents ne le comprenaient-ils pas ? Il se sentait pris au piège et dans un étau dont il n’était pas près de pouvoir sortir. Il voulait autre chose, il rêvait d’autre chose. Il voulait la voir ELLE, et si vraiment, il devait vivre avec quelqu’un, ça devrait être elle et uniquement elle. Pas cette pimbêche de Dolohov qui ne semble pas voir plus loin que le bout de son nez.

L’afflux de gens finit par se calmer et petit à petit, Hadrian défit son étreinte de la taille de Rowena. Il n’en fallut guère plus pour qu’elle détale comme un animal sauvage finalement libéré de sa cage. Il la regarda fuir avec un regard dur, pendant qu’il se servait un whisky pur feu. Elle pouvait détaler autant qu’elle le voulait, la cage était assez grande pour courir sans en échapper. Il s’en rendait compte bien à contre cœur. Cette femme serait la femme qu’il épouserait. Cette femme porterait ses enfants. Et avec elle, il devrait leur donner une éducation digne de l’élite qu’ils étaient. Sa main se serra autour de son verre et il dut en enchaîner un deuxième. Il avait trop bu ce soir et son regard devenait légèrement trouble. Il n’allait pas rester là alors qu’il venait d’être fiancé à la femme de ses cauchemars, il allait trouver une solution et très vite. Il ne rentrerai pas au Manoir Salamander ce soir. S’il présentait une autre personne, sa mère ne pourrait pas lui refuser cela, n’est-ce pas ? Certes, ce n’était peut-être pas une anglaise, mais elle restait une femme respectable, une alternative parfaite à Rowena Dolohov. Tout était une meilleure alternative à Rowena Dolohov, si on réfléchissait bien.

Il poursuivit sa soirée en parlant à d’autres gens qu’il appréciait plus ou moins, tenant une conversation superficielle parce que, s’il devait être honnête, il était trop soûl pour autre chose. La bonne nouvelle, c’est qu’au moins, ses fiançailles lui fournissaient l’excuse parfaite pour être ailleurs. Si ces idiots savaient avec qui étaient ses pensées en ce moment. En tous cas bien loin de sa petite fiancée dont les gens vantaient la beauté, et l’intelligence, et la grâce, et bla et bla et bla. Ladite fiancée était aux abonnés absents. Tant mieux. La soirée arrivait à la fin et les gens commençaient à partir. Ce fut l’excuse parfaite pour s’enfuir discrètement. Ses parents le retrouveraient quelque part à un moment donné. Et puis qu’ils se débrouillent pour l’excuser auprès des Dolohov. Sortant dans le jardin, il transplana à un endroit qu’il connaissait bien et toqua à la porte. Elle était sa dernière chance. Elle était celle qu’il voulait, avec sa blondeur, ses yeux bleus et sa maturité. Elle était celle que son corps réclamait et elle ne s'appelait pas Rowena Dolohov.