21 février 2047

Petit oiseau, mon joli petit oiseau ... Tes ailes sont cassées, ton beau cou brisé ... Mon joli petit oiseau qui ne peut plus voler ...

La voix de Vivienne, ses notes douces à son oreille, la tirent brusquement de son coma. Elle hurle, Lizzie, de cette voix qui n'en est pas vraiment une. Celle qui ressemble à un cri d'animal blessé, effarouché. Traumatisé. Ses yeux fous balayent la pièce. Éclairée. Beaucoup trop pour ses prunelles qui n'ont plus connu que le noir ces trois derniers mois. Elle rue en tous sens mais on l'a entravé. Encore. « Lizzie ! Calme-toi. Doucement. » Elle reconnaît ces accents familiers aux relents de bienveillance et de délicatesse. Maman. Elle se tait. Observe Jane Callaghan et sa mine qu'elle ne parvient pas, plus, à déchiffrer. Elle ne connaît plus ni l'inquiétude ni la prévenance. Elle ne comprend pas. « Oui, c'est ça, mo cridhe, c'est ça. Tout va bien. » Les effluves de la leader des Phénix viennent lui chatouiller les narines. Ces bras dans lesquels elle aimait se blottir, ce parfum de nature sauvage. Maman. Elles ne sont pas seules. Elle voit Obbie, tout près. Scarlett, aussi. Ils l'observent. Ils attendent. Quoi ? On ne prend pas la peine de lui expliquer. « Tu es rentrée. Tu es sauvée. Tout va bien. Je suis là. » Elle ne demande pas où. Non, elle humecte ses lèvres sèches, craquelées, crevassées. Elle n'a pas mal. C'est très étrange. Elle s'y était habituée, à la douleur, cette compagne fidèle. Elle lui manquerait presque. Elle lui manque.

Soudain, elle voit cette main qui se lève vers son visage, son front, ou sa joue, elle l'ignore. « On s'occupe de ... » Jane est obligée de suspendre sa phrase de réconfort, tant la sirène sortie des tréfonds de la gorge de sa fille remplit la chambre. Encore. Elle a beau retirer aussitôt son geste, se reculer, lui intimer sur le même ton maternel à la sérénité, rien n'y fait. Lizzie a recommencé à se contorsionner. Quelque chose craque. « Stupefix. » Le corps décharné retombe mollement sur le matelas. « Est-ce qu'elle a ... » L'Irlandaise abaisse sa baguette, son regard descendant lentement sur la silhouette de Lizzie. « Oui. Elle s'est brisée le poignet. » répond-elle tout en caressant le membre formant un angle peu naturel. Et encore, si seulement il n'y avait que ça, de cassé.

3 mars 2047

Depuis quatre jours, Lizzie O'Meara n'a plus ni brisé les tympans, ni tenté d'étrangler qui que ce soit. Un médicomage est même parvenu à lui prodiguer des soins alors qu'elle était éveillée. Elle refuse les calmants et à ce sujet, Jane Callaghan a été claire : nul ne doit la forcer. Surtout pas. Du moins, tant qu'elle ne représente pas un danger pour elle-même ou pour les autres. Après ce qu'elle a vécu, paraît-il qu'il est important qu'elle ait l'impression de reprendre un semblant de contrôle. Si bien que désormais, elle ne passe plus l'essentiel de ses journées à végéter dans son sommeil artificiel. On lui a même retiré ses liens, afin qu'elle puisse se déplacer librement - dans sa chambre, en tout cas. Plutôt inutile. Dès que quelqu'un ose entrer, il la trouve irrémédiablement assise au même endroit : devant la fenêtre, à regarder les arbres de Vivecime s'agiter sous la brise hivernale, flottant dans ses vêtements devenus trop grands. Elle présente son profil taillé à la serpe de la douleur, son teint blafard et ses genoux cagneux blottis contre son menton. C'est tout. Mais c'est déjà ça.

Elle a également écarté toute proposition de visite. Là encore, la leader Phénix a demandé à ce que l'on se conforme à son souhait. Seule Victoria a accès à la pièce, évidemment fermée à clef, par sécurité. Elle suppose, puisqu'elle n'a pas essayé de sortir. Pourtant, ce jour-là, quand la porte s'ouvre, ce n'est pas la silhouette gracile de la brune qui apparaît dans l'embrasure. Celle-ci est massive, musculeuse, pas loin de se cogner au chambranle, les joues mangées par une barbe blonde. Sam. Elle lève le nez. Un regard bovin répond à l'oeillade humide de son compagnon. Quoi qu'il ne l'est peut-être plus. Ça fait longtemps, maintenant. Elle s'en fiche. « T'as une clope ? » Un croassement d'outre-tombe. C'est tout. Mais c'est déjà ça.

Elle guette, Lizzie - ou ce qu'il en reste. Le moindre geste, la plus petite ombre esquissée par le corps massif de l'américain. Elle a appris à observer, à se préparer à l'inéluctable. Tandis qu'on la brisait, son seul mécanisme de défense résidait dans ce nouveau sens de l'observation. Ce qu'elle voyait, elle pouvait l'anticiper. Et ce qu'elle pouvait anticiper, finalement, ne pouvait plus tellement l'effrayer.

Sam, il est plein de précautions. Elle voit ses mains et leurs nouvelles parures. Elle pense à s'interroger, puis, se dit que non, pour quoi faire au juste ? Il t'a laissé. Il ne viendra pas. Non, non, mon petit oiseau, il t'a déjà oublié. Elle hante jusqu'à ses moments d'éveil, la Mangemort. Ses folles intonations doucereuses sont devenues une extension du tympan de la brune. Elle pourrait être là. Pourquoi elle n'est pas là ? Elle l'a laissé, elle aussi. Méchante Vivienne. Elle avait promis. A la vie, à sa mort.

« Je t'allume ? » L'estoc est brusque. Les souvenirs se précipitent, affluent, se heurtent à l'entrelacs, au sac de nœuds qu'Andrew McKay a patiemment emmêlé dans son esprit faible. La jeune femme recule tout d'un coup, son dos osseux heurtant l'un des carreaux, la cigarette fumant entre ses doigts blancs et striés de cicatrices. Elle fixe le blond méchamment. Quelque chose essaie de ressusciter dans ses iris mortes ... En vain. Mais il a été là, l'éclair coléreux. Si infime qu'il a pu échapper à son visiteur, toutefois, oui, il était bel et bien là. Elle tire une bouffée. L'instant de vie est passé. « J'veux pas te voir. » C'est gratuit de méchanceté. Et elle a tellement l'air de le penser. Elle le pense certainement, d'ailleurs. Ce visage, il lui rappelle trop de choses. Celles que ses geôliers ont extirpé, piétiné et déformé avant de les lui remettre dans la tête. Sauf qu'ils n'ont pas réussi à tout prendre. Ils n'ont pas eu le temps. Et elle a lutté un moment, très fort, autant qu'elle le pouvait. Alors c'est là, quelque part. Et ça continue de lutter. Donc, non, elle ne veut pas le voir.

« Pourquoi tu veux pas, Lizzie ? » Elle le fixe. La cigarette va et vient jusqu'à ses lèvres. Petites inspirations nerveuses, des vagues de fumée qui l'entourent et ... Le silence. Il souffre. Elle lui fait mal. Je sais pas, Jones. Je sais pas pourquoi je veux pas te voir, alors qu'avant, une journée loin de toi, c'était déjà trop. Et qu'il y a eu des jours, peut-être des semaines où à chaque pas qui s'approchait de ma cellule, j'espérais l'écho de ta démarche lourde et non le cliquètement des talons. Je sais pas, Sam, je sais pas. Ils t'ont juste pris. Comme ça, petit à petit, ils t'ont retiré à moi et quand mon cœur a été tout gelé, réduit en miettes et en cendres, t'étais juste parti. Elle entend résonner ce discours dans son esprit. Le balaye. Il ne la soulage pas, ne diminue pas la douleur dans ses membres ni ses organes. Son estomac ne lui paraît pas moins crier cette famine inextinguible. Non, ça ne lui fait pas de bien. L'Américain ne lui fait pas de bien. « Parce que t'existes plus. Parce que t'es plus rien. » Ça, par contre ... Ah oui, ça, ça a du goût dans sa bouche quand elle le prononce, toujours sur le même ton âpre. Celui de la bile. Elle le connaît bien, désormais. C'est acide, ça brûle la langue et ça éveille l'instinct. La survie. Elle a bien failli le perdre. Elle n'était pas loin quand ils l'ont trouvé. Quand, enfin, ils sont venus la récupérer. « J'voulais crever là-bas. 'Fallait pas venir. 'Fallait me laisser. » qu'elle confie, indifférente à la tempête délétère qu'elle sent se lever, électrique, grondante. Elle l'abîme et elle aime voir ça. C'est satisfaisant. Il devient son reflet, une psyché dans laquelle elle rêve presque de se noyer. Elle lui attrape la main, y enfonce ses ongles rongés, aux cuticules ensanglantées. Le mégot incandescent tombe entre eux et elle le le blond. Un regard fou, pernicieux, qui ne veut rien sinon plus de mal. Toujours plus de mal. « J'veux la voir. Je veux Vivienne. » Une petite voix à mi-chemin entre douleur et extase. Comme si elle ne savait pas bien sur lequel de ses pieds malhabiles danser. Mais l'aveu de traîtrise, lui, il est aussi franc qu'on peut l'être. Tu vois Sam, ils t'ont pris et ils l'ont mis elle, à la place. C'est elle mon monde, maintenant.

« On l’a crevée. » Ses yeux s'écarquillent et elle le regarde, lui. Le meurtrier. L'assassin de ses fantasmes. Dans une phrase avortée, ses lèvres expulsent d'ultimes volutes de fumée grisâtre. Morte, morte, ils ont tué Vivienne. Réalité qui se fraie un chemin jusqu'à son esprit en perdition, glace son sang dans ses veines, fait manquer à son cœur un battement. Plus jamais, tu la verras plus jamais. Elle te chantera plus de chanson, elle t'appellera plus sa petite colombe, elle nourrira plus ton bac affamé. Fini. Et la main de l'américain qui écrase la sienne alors qu'il lui détaille la scène par le menu, allant jusqu'à lui proposer de faire une virée pour lui ramener le crâne probablement scalpé de la sang-pure. Il aime ce qu'il fait. Elle le voit, puisque, après tout, elle l'a dit, il n'est que son reflet. Cette perversion dont il se pare, elle la reconnaît comme la sienne. Écho infâme du plaisir infâme qu'il prend à la faire souffrir. Elle le hait. De tout son être, de tout le vermeil qui s'écoule en elle, elle le rêve soudain aussi cadavre que son ancienne geôlière. Un gémissement, puis soudain, un geste. Son poing libre s'écrase sur la pommette du blond. Le coup est maladroit, imprécis, manque de force à défaut de conviction. Le geste du désespoir.

Et Lizzie se met à hurler. « MENTEUR. CREVARD. FILS DE PUTE. » Injures et coups pleuvent sur la silhouette de Jones. Elle le griffe, le frappe. Son visage émacié, rougi par une colère sans nom, est strié de sanglots. Les larmes creusent des sillons humides, gouttent sur ses omoplates osseux. Et elle ne cesse, à aucun moment, de crier. « J'TE HAIS. GROS MYTHO. ENFOIRÉ DE MERDE. VA CREVER COMME TOUS LES AUTRES DE TA SALE RACE DE SANG-DE-BOURBE. BÂTARD. » Elle pourrait lui en roucouler toute la journée, des mots doux de ce genre. Des mensonges, comme celui qu'il lui a servi. Parce que Vivienne morte, ça signifie que le calvaire est terminé. Pire, qu'il n'a jamais eu lieu. Que plus rien ne justifie toute cette douleur dont elle continue de se repaître. Que ça n'a plus de sens. Alors que si peu de choses en ont déjà.

Peut-être qu'il l'a maîtrisé, elle ne sait pas. Cette sensation d'oppression, s'agissait-il de l'étau des bras de Sam ou du carcan de plomb dont son hystérie a opprimé sa poitrine ? Vraiment, elle l'ignore. Impossible de déterminer si l'ennemi contre lequel son corps malingre était tangible ou non. Elle n'entend même pas la voix qui vient se mêler de leurs affaires. « Qu'est-ce qui se passe ici ? » C'est Jane. C'est maman. « Sam ! Dehors ! Immédiatement ! » Cette fois, elle passe bien dans d'autres poignes. On la cloue au sol, Jane est venue avec du renfort. un stupefix. Sa silhouette retombe. La Banshee se rendort. Le silence s'abat sur la chambre alors que la leader de l'Ordre dévisage son beau-fils, pâle comme un linge, les lèvres tordues en une moue douloureuse. « Qu'as-tu fait ? » La vie. Il essaie de me ramener à la vie, maman, pense la gamine avant de sombrer dans un sommeil sans rêves.

« T’es dispo ? »
« Le temps c’est le seul truc qu’on me laisse avoir depuis que je me suis fait charcuter par Arutha Kark.  » Oui. Nero était dispo. Mais pas nécessairement libre. On estimait encore que sa convalescence suite au sectumsempra n’était pas achevée. Et lui estimait clairement, que tous feraient mieux d’aller bien se faire foutre. On lui pardonnait mal sa récente évasion, pas plus que son corps qui lui aussi avait eu du mal à lui pardonner ce qu’il lui avait infligé. Alors, on le surveillait encore comme un chaudron sur le feu, ses mères, son père, et Mindy aussi. Il tentait de s’occuper, on lui avait fourni quelques livres. Mais le Callaghan était incapable de focaliser son attention sur les lignes plus de dix minutes. Le roman d’amour à l’eau de rose qu’on lui avait dégoté le barbait tant il lui semblait éloigné de la réalité. Il imaginait mal comment l’héroïne, Gwendoline, duelliste émérite fonde comme une gourde et se jette aux pieds d’un Hector potioniste désagréable. Nero pensait pouvoir s’intéresser davantage au manuel de métamorphose qu’on lui avait confié. Mais le sang-mêlé ne comprenait pas un traitre mot de ce qu’il lisait. L’auteur faisait appel à des concepts, que le sorcier ne maîtrisait pas, voir ne connaissait absolument pas. Il refermait à chaque fois le grimoire, excédé, et avec une piètre image de lui-même. Le tout le poussait à broyer du noir plus encore, et inéluctablement ses pensées dérivaient encore et toujours vers Lizzie. En voyant Sam entrer dans son antre de convalescent, c’était à Lizzie qu’il avait aussitôt pensé. Il ne s’était pas dit « Chouette, Sam. », mais instantanément : « Lizzie ». La figure du yankee était désormais indissociable de celle de sa sœur, comme une extension de cette dernière. Il était son beauf, un morceau de Lizzie.

« Alors, ouais je suis dispo. Grave dispo même.  » avait-il complété en s’armant d’un mince sourire. Dans ses traits poignaient une malice, celle de ceux qui comprennent sans qu’on leur dise. Sam ne lui rendait pas visite pour le plaisir de sa compagnie, pas plus que pour prendre de ses nouvelles, et encore moins pour s’étendre sur ses sentiments. L’américain ne fonctionnait pas de la sorte, pas plus que Nero. Non, si le blond était là, c’est qu’il avait un plan. Forcément. Un plan concernant Lizzie. Ça aussi, c’était certain. « Qu’est-ce que tu me proposes ? C’est quoi le plan, Jones ?  »