5 mai 2002. Ajay Shafiq, fils de Ganesh Shafiq et Nesrin Gazi, cousine du sultan sorcier de Turquie, réclame sa pitance pour la première fois de sa vie. Il s'époumone si bien et si fort que ses rugissements feraient presque trembler les murs de la demeure familiale. « Regarde-le rugir comme un tigre ! » s'en amuse son père tandis que le petit Kumaran à ses côtés dévisage d'un œil curieux cette drôle de petite boule rose qui s'agite dans son linge. La fougue dont son frère fait déjà preuve à l'époque est comme annonciatrice de l'adulte qu'il deviendra. Un homme fier, énergique, prompt aux justes colères et à l'esprit vif. Ajay n'est pas un garçon facile. Il déborde d'une d'énergie que parents et domestiques de la maisonnée ont bien du mal à canaliser.

Quand il rentre à Poudlard, sa propension à déclencher duel après duel finit par lui faire frôler l'expulsion. Son statut de sang ne peut pas tout excuser. D'un commun accord – et avant de souffrir la honte d'un renvoi – ses parents l'envoient en Inde, dans la branche familiale restée au pays. Ils espèrent qu'il y prendra du plomb dans la cervelle. Que ce voyage à l'autre bout du monde saura lui donner le sens des responsabilités. À 14 ans, alors que le Royaume-Uni s'apprête à pleurer la mort du Seigneur des Ténèbres, Ajay devient un expatrié. Et ses parents n'ont pas eu tort. À Shringar, l'école de sorcellerie indienne, le jeune tigre est trop occupé à découvrir ce nouveau monde qui s'offre à lui pour continuer ses enfantillages. Il apprend le hindi, le bengali, les us et coutumes du pays de ses ancêtres, et la flamme qui l'anime trouve enfin le foyer où brûler d'une ardeur plus constante.

Durant son exil, Ajay écrit de longues lettres à sa mère. Il s'y inquiète de l'escalade des violences en Grande-Bretagne mais lui y décrit surtout les merveilles de l'Inde. Parmi la plus belle d'entre elles : Kalyani Khan, la bâtarde d'une des trois concubines de son « oncle ». Ajay s'en est entiché à l'excès et les deux adolescents vivent une romance passionnée. Nesrin Gazi met son fils en garde : en Turquie comme en Inde, si ces pratiques sont communes, ici, sur le vieux continent, on ne regarde pas d'un si bon œil les liaisons nées d'une telle passion. De plus, Ajay est d'ors et déjà promis. Mais le jeune tigre s'en moque. Il ne comprends pas ces convenances qu'il croit d'un autre âge. Amour et devoir sont deux mots bien distincts. Il ne voit pas le mal à savourer l'un tout en honorant l'autre.

Juin 2020. Ajay termine ses études. Il s'attarde dans son pays d'adoption et ceux alentours jusqu'à l'invasion conjointe des américains et de l'Ordre du Phénix en Grande-Bretagne. Alors que ses parents le pressent de rester en Inde, il se précipite à Pré-au-Lard. Il est jeune, fougueux, impatient et ne connaît pas la guerre. Pas vraiment. Il veut se battre. Porter la Marque des Ténèbres. Faire ses preuves. Il déchante assez vite une fois sur place. L'enfermement lui sied mal. Le soleil lui manque. La chaleur des bras de Kalyani encore plus même s'il ne rechigne pas à prendre Jamila Lagides pour épouse. C'est une gentille fille. Neuf mois après leur nuit de noces, elle met au monde le premier de leurs enfants. Un garçon. Nagendra. Le seigneur des serpents en sanskrit.

Malgré la situation précaire des Mangemorts, Ajay s'acclimate à son retour aux sources. La guerre lui fournit son lot d'adrénaline. Il est souvent en mission et quand il rentre à Pré-au-Lard, il délaisse souvent le lit de sa femme pour d'autres draps. Il ne se rend pas compte que Jamila s'étiole peu à peu. Comme une feuille de parchemin abandonnée sous le soleil. Il tente de l'entraîner dans ses aventures mais la pudeur de la jeune femme la retient. Il ne s'en offusque pas mais n'entends pas non plus les plaintes qu'elle murmure du bout des lèvres. Il brûle sa vie par les deux bouts, Ajay, et l'arrivée de Kalyani en Angleterre à la veille du retour des Mangemorts au pouvoir, finit de le rendre aveugle à la détresse grandissante de sa femme. On le sermonne, mais cela ne l'empêche pas de s'afficher au bras de son amante de cœur. Les qu'en dira-t-on l'indiffèrent. Il est fils d'un noble lignage. Petit-cousin d'un sultan. Il se croit intouchable.

2023. Jamila donne naissance à leur second enfant. Une princesse qu'ils nomment Khadija. Ajay exulte de bonheur alors que le ventre mordoré de Kalyani a commencé lui aussi à s'arrondir. Sa deuxième fille, Chandra, naît quelques mois après la première. Mais elle ne connaîtra jamais sa sœur. Deux jours plus tard, Jamila tente de se donner la mort après avoir noyé leur princesse. Elle est alors fait interner à Ste-Mangouste, et n'en quittera plus l'aile psychiatrique.

Le drame sonne complètement Ajay. Pendant des mois il n'est plus que l'ombre de lui-même. Il pleure à chaudes larmes dans les bras de son amante, en serrant ses enfants contre sa poitrine ou devant la tombe de la petite Shafiq. Mais la vie continue. La peine n'a jamais disparu. Il a apprit à vivre avec tout simplement. Le monde évolue et se transforme autour de lui. Kalyani lui donne encore quatre autres bâtardes au fil des ans. Ayesha. Indira. Meena. Aalia. Plus belles et farouches les unes que les autres. En 2042, il abandonne sa carrière de duelliste pour se reconvertir dans le business familial. Celui que le Projet Filet du Diable douze ans plus tôt a permis de faire fleurir au-delà de toutes espérances. Ce qu'il pense de l'esclavage ? Que c'est un commerce comme un autre. Ajay a grandi dans les préceptes de la hiérarchie du sang. Il ne dénigre pas les sangs inférieurs, ne se montre pas injustement cruel envers les moldus, mais croit en l'idéologie selon laquelle chacun doit avoir sa place dans la société.

L'incident de Tinworth ne l'inquiète qu'à moitié. Il y voit une défaillance anecdotique plus qu'une véritable menace. Pour autant, il répond présent quand Mervyn Kark rappelle les Mangemorts à ses côtés. Ajay a l'âme d'un guerrier. Les événements qui s'ensuivent finissent de toute façon par le convaincre qu'une rébellion de plus grande envergure se profile à l'horizon. Il est notamment présent lors de l’exécution publique du 24 juin 2046. Son fils est blessé dans la bataille et Ajay sent pousser un dangereux désir de vengeance au creux de ses entrailles. Le tigre gronde. Il est prêt à bondir et cela ne présage rien de bon.