« Ma pédagogie diffère de tes autres professeurs, cousin. », dit Hélios en sortant de la cheminée. Les deux Kark entrent dans une auberge de chasse où dorment (vous l’aurez deviné) des chasseurs, chercheurs, voyageurs et toutes sortes de curieux de la nature. Hélios inhale la fraîche odeur boisée de cette fin de journée du printemps en descendant quelques marches. Il avait déjà réservé une chambre avec deux lits, ainsi il passe deux secondes auprès de qui le droit avant de sortir à l’extérieur. « Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit : l’entraînement dans un environnement contrôlé est important. Pour les bases, la théorie ou les débutants. Ainsi que pour la répétition des mouvements, de la prononciation... Par contre, c’est face à la nature implacable que la vraie puissance d’un sorcier se révèle. C’est dans le chaos qu’on apprend à survivre à toutes les situations. Un apprentissage essentiel pour un Kark. » Comme toi, comme moi. Le soleil descend. C’est le crépuscule. L’apprentissage débutera bientôt.

Si Hélios met de la gravité dans ses paroles, il n’en reste pas plus enthousiaste qu’un enfant de sept ans à Noël. Depuis son retour en Russie, il souhaite former Nilhem au combat, ainsi qu’à quelques préceptes de magie noire. Néanmoins, le temps et sa tante ont joué contre lui. Calliope possède une attitude très protectrice, en particulier pour son cousin et il a été donc très difficile à Hélios d’obtenir quelques jours pour lui apprendre un ou deux trucs. Avant, Saïmen s’occupait de cela mais depuis les derniers évènements, peu de petits-enfants du défunt Mervyn veulent lui adresser la parole. Tout content, le duelliste a signé présent à s’occuper du petit Nilhem par la suite. Il a tout prévu : son sac est rempli de potions de soin pouvant traiter une panoplie impressionnante de maux. Si sa tante retrouve son poussin en mauvais état… Hélios la craindrait plus que les loups qu’ils sont venus chasser.

Ils arrivent en lisière de la forêt de Winterfold. « Suite au projet Filet du Diable, les moldus ont cessé de chasser les loups sur tout le territoire. Par conséquent, ils ont pu rapidement recommencé à se reproduire. Dorénavant, il y en a partout : même trop. Cela nuit à l’écosystème. Pire encore, certains se sont reproduits avec des loups Grand-Seigneurs, une créature magique. Avec les chiens errants, cela a donné naissance à une espèce hybride nuisible pour les habitants, en particulier les fermiers. C’est pourquoi le Ministère laisse quiconque les chasser sans licence, car leur population doit baisser. » Hélios possède une connaissance limitée sur les créatures magiques mais dès qu’il s’agit de bestioles bien méchantes, sa mémoire devient excellente. En plus il faut les tuer… C’est à la fois un exercice formateur mais une belle manière de venir en aide aux populations locales. Un travail digne, donc. « Les hybrides sont particulièrement agressifs, voraces et sont aussi des nécrophages. Ils sortent essentiellement au crépuscule et la nuit tombée. À cause de leur croisement, ils peuvent posséder des capacités surprenantes mais ils restent fondamentalement des loups. Ils sont alors sensibles à tout type de sortilèges : Endoloris, Avada Kedavra, Sectumsempra… et d'autres. Il faudra les trouver ou ils viendront à nous. Ensuite, nous les affronterons et les tuerons. Ce sera notre bonne action du jour. » Pas pour rien qu’Hélios les mentionne. Il vaut mieux pratiquer ces sorts noirs sur des animaux que sur des êtres humains. Pour ensuite… les utiliser sur les ennemis. « As-tu des questions avant qu’on entre dans la forêt ? »

« C’est un service rendu à la population, oui. », répond le Kark sans la moindre hésitation. « Ils peuvent attaquer les habitants imprudents des villages mais ils s’en prennent surtout aux fermiers et à leur bétail. Les hybrides attaquent aussi les moldus, contre lesquels ils sont très vulnérables. » Un bon moldu ne devrait pas se faire manger par les loups. Ça calmera sa conscience quant au massacre de son père, suite à l’attentat du Château. Il sait aussi que ça embête les fermiers de perdre leur main-d’œuvre, devoir en racheter de nouveaux…surtout s’ils possèdent moins de talents que les précédents. Cette infestation canine gêne le peuple.

Tu as déjà fait ça ? À la question du petit cousin, Hélios sourit, malin. « À plusieurs reprises. » Il scrute la lisière de la forêt où s’échappe une noirceur envahissante. « En Russie, essentiellement. Les quelques loups que nous verrons n’ont rien à avoir avec ce que tu peux trouver là-bas… » Les alentours du domaine de Sofia regorgent de surprises. Dire qu’il devait parfois se battre sans sa baguette, les muscles à l’air comme un moldu. Dégager des bestioles nuisibles qui attendaient avec patience la chance de lui sauter à la gorge et de sucer son sang jusqu’à la dernière goutte. De charmantes créatures. À la question du comment, Hélios le chasseur a tout préparé. « Ils nous traqueront. S’ils tardent à venir à notre rencontre, j’ai ce qu’il faut. » Il montre une fine potion remplie d’un liquide rouge vin. Un Attire-Loup crée à partir de sang de louve. Bourré de phéromones et autres substances stimulant l’agressivité. Ils pourront le sentir à des kilomètres. « Lumos. La nuit tombera plus vite que tu le penses. Garde ta baguette sous la main jusqu’à qu’on sorte. Fais attention, éveille tes sens, tes instincts. Ça court vite ces bestioles. » À défaut de rassurer son cousin, il lui donne les meilleurs conseils qui lui viennent à l’esprit.

Ils entrent dans la forêt. Ils passent près d’un panneau en bois sur lequel est écrit : Attention, créatures magiques dangereuses la nuit. Le visage d’Hélios se marque d’un rictus. Ce n’est pas écrit qu’il était interdit d’y entrer… Ils continuent de marcher à travers un petit sentier entouré d’arbres sombres. Les plantes dansent au rythme du vent frais du soir. Des bruits suspects résonnent ici et là mais ils proviennent d’écureuils retournant dormir dans les ouvertures des arbres. D’ailleurs, l’un de ces arbres bouge avec peu de naturel. Le Kark fronce les sourcils lorsqu’il observe une maigre racine mouvante tentant de s’entortiller à la cheville de Nilhem. Hélios, d’un sortilège muet, envoie la racine valser ailleurs. « La végétation aussi est gourmande. Méfie-toi. » Par le Lord, je fais bien de le former le Nilhem ! Il a beau être un inventeur génial, il a besoin de comprendre certaines choses… À propos de la nature. Et des femmes. Après cet incident, ils continuent à s’enfoncer dans les bois. Le sentier devient de plus en plus sinueux et abandonné. Quinze minutes plus tard, le duelliste entend les premiers hurlements des loups. Le soleil nocturne commence à briller. L’heure de la chasse a commencé. « Ne bouge plus. », ordonne-t-il à son cousin. Il veut le silence. Il écoute la musique du vent, le chant des animaux, les branches qui se tortillent… puis des pattes fines, presque inaudibles, qui descendent une colline parsemée d’herbes. Les loups chassent en meute et pour attraper une proie, ils attaquent sur plusieurs fronts. « Dos à moi. Prépare-toi au combat. Ils arrivent. Ils essaieront de nous encercler. Rappelle-toi : ce sont des bêtes, il ne faut pas hésiter à utiliser de puissants sortilèges pour les abattre rapidement… C’est un peu comme avec les filles. Tu ne dois pas être craintif ou indécis. Il faut savoir prendre les devants. » La baguette d’Hélios pétille de magie et d’excitation. Le Kark, lui, attend. Avec impatience, mais il attend. Son premier sortilège lui pend sur le bout des lèvres.

Les loups sortent des bosquets. Leurs pelages s’hérissent, les crocs se dévoilent et leurs haleines fétides de chair morte arrivent jusqu’au nez d’Hélios. Trois d’entre eux font face au duelliste et ils avancent avec lenteur, jaugeant l’humain qui les défie. Au moindre faux pas, ils sauteront sur lui pour le dévorer. Un seul des loups – plus gros et au pelage gris, presque blanc – se distingue de la meute, y compris celle qui arpente encore les bois. Sa tête noire alimente davantage le contraste. L’hybridation crée de drôles de créatures. Alors, le Kark commence le combat. En chœur avec son cousin, il lance son premier sortilège : « Avada Kedavra ! » L’énergie verte fonce à toute vitesse vers un mâle bêta qui s’effondre au sol comme s’il subissait un épisode de narcolepsie. Avec la propulsion, évidemment. Hélios sourit alors, fier mais l’un des canidés fonce la gueule ouverte dans sa direction. Les réflexes du duelliste lui sauvent la vie lorsqu’il invoque un bouclier magique pour lui et Nilhem. Celui-ci se casse sous les coups répétés de l’animal mais cela a laissé de temps au Kark pour préparer sa prochaine attaque. « Blixten ! » Un éclair surgit de la voûte céleste, illumine le champ de bataille avant de rugir sur le loup. L’animal vole, est parcouru de spasmes et de filets électriques et se plante contre un tronc d’arbre. Il pleure avec des couinements de chien mais le fils d’Arutha peut avoir le cœur rocailleux.

La meute se distance alors, un peu. Elle hésite à lancer un nouvel assaut sur le duo. Hélios, sentant toujours le dos de son cousin, voudrait le féliciter mais il demeure trop concentré. Ne brise pas ta concentration ni la sienne. Nous devons nous focaliser sur… Par le Lord je suis si fier de lui ! Jamais je n’aurais cru qu’il puisse sortir des jupes de sa mère à ce point, et pour chasser comme un homme, un vrai ! Il est un digne Kark ! Le puissant hurlement de l’alpha résonne. Il grogne, halète. Le duelliste lui lance un Flumen Ignite mais les flammes viennent s’amalgamer sans mal sur sa fourrure. Les yeux de la bête deviennent rouges et provoquent une lumière infernale. Même Hélios déglutit. Ne pas avoir peur, ce n’est qu’un loup… Vraisemblablement en possession de capacités magiques insoupçonnées mais un loup. Il lance un Stupefix en direction du loup blanc mais il l’évite de justesse. Les autres membres de la meute commencent à courir autour des Kark, dans une stratégie étrange où leurs ombres cherchent à créer un effet de cloisonnement. Ou pour les empêcher de les viser comme des cibles de foire, en plus de leur masquer la provenance d’une prochaine attaque. Un comportement fascinant sans doute pour quiconque s’intéresse aux créatures magiques. Une attitude inquiétante pour quiconque se retrouve dans ce filet de griffes, de dents et d’instincts meurtriers.

Le non viendra:

Hélios se doute que les loups leur sauteront dessus dans une attaque concertée. Erreur de sa part, il anticipe mal ce moment crucial où l’attaque aura lieu. L’habitude de confronter des humains, sans doute. Grâce à ses réflexes, il invoque un bouclier leur permettant d’éviter quelques coups létaux mais celui-ci éclate vite. L’un des loups vient mordre le bras d’Hélios – par chance pas celui duquel il tient sa baguette – et tente de le tirer vers la forêt. Soumis à la force de l’animal, ses pieds glissent vers la meute. Il trébuche presque mais il se reprend, tente de se stabiliser. S’ils me traînent plus longtemps, ils me dévoreront dans les buissons. Ils tentent de nous séparer pour mieux nous avoir. Non ! Il faut maintenir la formation… L’adrénaline lui permet de faire fi de cette tarte à la fraise la douleur mais il grince des dents. « Sectumsempra. » Son ventre s’ouvrant, l’animal lâche prise et commence à couiner en tentant de s’éloigner. Le bras droit du Kark est imbibé de son propre sang pur alors qu’il se relève, recule en essayant de revenir vers son cousin.

Le temps lui manque pour s’enquérir de l’état de son compagnon de chasse. Le loup alpha se dirige avec calme vers lui, une lueur mauvaise traversant ses globes oculaires. Le duelliste sourit, d’un air de défi. « Approche pour voir. » La bête bondit sur lui, le corps en une forme d’arc qu’il croyait impossible pour un être vivant de produire. La baguette pointée vers lui, un éclat vert défile sur celle-ci mais la vitesse organique dépasse celle de la magie cette fois. L’alpha griffe, mord, déchire le haut musculeux du corps du Kark. Déterminé, il garde le bras aussi droit qu’il le peut et hurle. « Avada Kedavra ! » L’alpha retombe au sol, dénué de tout esprit. Un corps sans vie, sans combativité. Privé du chef de meute et conscient de leur nombre allant en décroissant, le reste de la traque commence à partir la queue entre les jambes.

Sans plus attendre, Hélios sort les potions de soin. Il met la gomme sur son bras et sur son torse avant qu’il souffre le martyr. Il se retourne vers son cousin, lui aussi en sale état. Il tend le sac à potions. « Ça va ? Prend ces potions, tout de suite. Ces blessures peuvent s’infecter rapidement. » Alors que Nilhem s’administre les doses nécessaires, le fils d’Arutha lui donne une légère tape sur l’épaule (en espérant qu’il ne touche pas une blessure). « Si on m’avait dit que tu serais venu te battre la nuit contre des loups énervés il y a peu, je n’y aurais pas cru ! » Tout sourire. Je sais qu’il n’a surement pas géré autant qu’il l’espérait ou qu’il se sent un peu nul… Ce n’est qu’un commencement ! On ne devient pas un guerrier du jour au lendemain mais je suis certain que je pourrais faire un homme de lui. Il est un Kark, il a le potentiel ! Il est resté à mes côtés au lieu de transplaner comme il aurait pu le faire. Je crois en lui. Il pointe l’alpha blanc gisant au sol. « On va l’apporter à l’auberge. Il y a un taxidermiste là-bas. Ça fera un souvenir ! », annonce-t-il avec enthousiasme. « Ta chambre au manoir de Scylla gagnera en prestige, crois-moi. »

L'échec anticipé:

La remarque de Nilhem donne à Hélios l’envie de lui parler des filles. Encore. Pas ce soir… ou peut-être oui ce soir, mais pas maintenant, pense-t-il en scrutant l’état physique de son cousin. Il a déjà fait un pas de géant. Il deviendra un homme, un vrai. Lentement mais surement. Il a réussi à se défendre contre les loups, puis il s’est battu contre les Phénix ! Avec ça, comment ne peut-il pas acquérir le goût de conquête qui rapproche du sexe opposé ? Je me le demande…

Il fronce les sourcils quand le chéri de Calliope décline le trophée qu’il lui a offert. Au lieu de quoi, il prend un loup quelconque. Hélios utilise un sortilège de lévitation pour l’alpha. Tant pis, ce sera pour ma chambre. Je comprends le cousin… Il veut la bête qu’il a lui-même tué. Quelle initiative ! J’ai vraiment hâte de continuer à lui apprendre des choses… Je n’ose même pas imaginer ce qu’il pourrait devenir.

Sans plus de cérémonie, les deux Kark prennent le chemin du retour. Les bêtes de la forêt se tiennent à carreaux, le vent souffle, solitaire. L’hymne du feuillage accompagne les guerriers. Veni, vidi, vici. Hélios commence à sentir la douleur due à ses blessures toujours en voie de guérison mais il ne montre que sa posture la plus fière. Pas de plaintes. Père le giflerait s’il le voyait chouiner. « Tu as su garder ton sang-froid et combattre les bêtes. Je suis fier de toi. », sent-il le besoin d’ajouter. « J’ai… conscience que ce n’est pas aussi facile pour toi que pour moi, ce type d’expédition. C’est pourquoi je vais t’enseigner quelques sortilèges en milieu contrôlé la prochaine fois, avant qu’on retourne confronter la nature. » Le pauvre cousin aura besoin de récupérer et comprendre toute l’essence de la leçon de ce soir. Ça lui prendra un peu de temps. « Quand l'ennemi reviendra à nos portes, tu seras prêt. », ajoute-t-il, souhaitant remonter le moral et l’estime de Nilhem.

Ils sortent de la forêt. La demi-lune les guette. Hélios a choisi cette nuit en particulier : hors de question de tuer du loup les soirs de pleine-lune. Le risque de contagion à la lycanthropie serait trop élevé. Au loin, la silhouette décharnée de l’auberge brille par son feu à travers ses minuscules fenêtres, de là où le duo se tient. De la fumée s’échappe d’une cheminée. « Nous aurons un repas digne, ce soir. Il faut manger pour récupérer ses forces. »

Ils investissent l’auberge. Hélios laisse Nilhem se réconforter près d’un feu de foyer. Lui, il va au comptoir avec les cadavres de loup. Un taxidermiste arrive, jette quelques sortilèges aux cadavres (qui perdent leur odeur de charogne par magie) et se les approprie. Le duelliste verse quelques galions au brave basique et prend quelques serviettes. Il retourne en compagnie du cousin, près des flammes. « Tu bois ? », demande-t-il, empreint de naïveté.

Hélios cligne des yeux. « Du whisky Pur Feu ? » Voilà sa seule et unique réaction avant de reprendre une mine plus digne. Il prend du whisky Pur Feu… Une Bièreaubeurre, j’aurais été étonné… Nilhem prend du whisky Pur Feu, je n’y crois pas… Il commande souvent des bouteilles comme ça ? Ce n’est pas pour me déplaire mais… Nilhem… Pour la première fois de leur expédition, il suit son cousin. Dès qu’il s’assoit à leur table, il pose une des serviettes près de son compagnon de chasse pour qu’il se nettoie le visage.

Il boit comme un trou !, pense le Kark en l’observant. À son tour, il avale le liquide sans dévoiler de faiblesse d’aucune nature. Un homme boit son alcool sans frémir. Puis, le whisky Pur Feu, il connaît bien.

Cependant, sa question le préoccupe davantage. Il commentera son débit de boisson plus tard. Hélios voit où il veut en venir : le dégoût qu’il porte à la viande du repas lui donne la puce à l’oreille. De quoi d’autre peut-il s’agir, si ce n’est la mort ? « Tu sais… chaque morceau de viande que tu as mangé vient d’un animal qui a été tué… qu’il fut chassé ou élevé. » Un fait ridicule d’évidence qui prend toutefois un sens nouveau que lorsque la bête cesse de respirer sous ses propres doigts. Les gens pensent à autre chose lorsqu’ils dégustent leur met du soir : pas à ce que ça implique que de retirer la chair à un être vivant.

L’hériter sent que l’exemple demeure trop trivial pour que Nilhem comprenne tout l’étendue de la leçon. Il racle sa gorge, prend une nouvelle gorgée de whisky (une bonne gorgée) avant de continuer : « Je vais te faire une confidence... Quand j’étais dans les mines d’ensinis avec Scylla et Olivia… J’ai tué quelqu’un. » Que sa sœur l’y ait aidé, il préfère mettre ce détail de côté. Ça pourrait la mettre en danger si la rumeur se rependait… parmi ses nouveaux amis. Autant la situation la dégoûte, autant il se sent obligé de la protéger. Comme toujours. « Je n’avais pas le choix. C’était lui ou moi, comprends-tu ? C’est ça, la guerre. Et la vie est un long combat. » Il pose son verre sur la table. Le crépitement du feu couvre le fond de leur conversation. « J’aimerais qu’il en soit autrement… mais les choses sont ainsi faites. Parfois, il faut tuer pour ne pas être tué. Chasser pour se nourrir, dominer pour régner… » Une mentalité que son paternel n’a pas manquée de lui inculquer. « Tu finiras par t’y habituer. », conclut-il en prenant une bouchée de son repas. Il faut qu’il s’y habitue. Sinon, il ne pourra pas survivre… les faibles ne survivent pas. Ils finissent par se faire dévorer par plus fort qu’eux. Je ne lui souhaite pas ça.

Le sujet est lourd, Hélios le sait. Il tente une déviation : « Depuis quand bois-tu ? », demande-t-il l’air loquace, le sourire en coin.

Fou est celui qui oserait piquer dans les réserves de son père. Il faut vouloir mourir la gueule ouverte d’une horrible manière – comme les corps décharnés des Phénix lors d’un certain attentat… Ou vouloir fixer ses prunelles gorgées de haine.

Hélios a bu, une fois, avec Arutha. Il l’a mené lui-même vers ses réserves, a pris une bouteille et a bu avec son fils. Lorsqu’il se remémore ce moment… il ignore s’il peut, ou plutôt devrait, en vouloir à son père. N’est-ce pas la preuve qu’il l’aime s’il a partagé un pareil moment en sa compagnie ? Une association malsaine entre la consommation d’alcool et un amour paternel… ambiguë et violent. Parfois il voudrait lui éclater la mâchoire, parfois il se sent obligé de l’écouter… et de se sentir redevable envers lui. Ce souvenir file comme le vent dans les pensées du Kark. « Tu respires encore, c’est suffisant pour prouver ton innocence. », finit-il par répondre avec ironie. Une ironie maladroite… Étant donné la tension existante entre son père et sa tante, sans doute il aurait fait du mal à Nilhem. Et s’il avait blessé ou ne serait-ce que trop hausser le ton sur lui… Hélios craint d'imaginer la réaction de Calliope. « Dépendant… un verre de temps à autre ne fait pas de mal. », affirme-t-il pour se rassurer lui-même. Lui aussi, il boit. Tout revient au paternel lorsqu’il analyse ses habitudes de consommation. Oui, il pose avec aisance le verre à ses lèvres. Oui, il peut abuser. Il essaie de se modérer en sachant que certaines situations l’invitent à céder à la boisson… La prise de Londres lui a donné l’excuse pour s’enivrer. Le secret honteux de sa sœur le charme de s’abandonner à l’oubli.

Il hoche la tête lorsque son cousin admet cette honteuse vérité : c’est juste bon. Ça fait du bien, de pouvoir se délivrer du poids de la vie en quelques gorgées… « Je comprends. Il y a des choses qu’on préfère garder loin des yeux et des oreilles de nos parents. » Ou de nos grands-parents… Mais ils sont morts. « Calliope n’aurait pas approuvé notre randonnée non plus, tu sais. » Loin de vouloir lui transmettre la moindre culpabilité mais… Il apprécierait qu’il évite d’en glisser un mot à sa tante.

Il reprend une bouchée de son repas. Puis il pense à un sujet. Ça lui coupe temporairement l’appétit. « Il faudrait peut-être boire moins par les temps qui courent. » Faut-il qu’il mentionne sa beuverie avant l’attentat du Château, l’ayant mené à une performance risible et tragique à tous les niveaux ? « S’entraîner, se surpasser... s’entraider même si c’est difficile. » Il pense au schisme entre son père et sa tante. Il demeure convaincu que Mervyn Jr n’a rien du légitime successeur du grand Mervyn Kark mais… cette rivalité doit-elle s’embraser à un moment si crucial ? La coopération devrait être centrale… question d’éliminer l’ennemi Phénix avant de revenir à l’héritage... Si seulement ça pouvait être aussi simple. Si seulement il n'y avait que ça.

Que Nilhem se dégonfle dès qu’il aborde la politique, ça ne surprend guère Hélios. De toute manière, il se dit que l’opinion du cousin ne devrait pas lui plaire. Mervyn Jr le grand-frère… Il ferait mieux de rester hors de mon chemin, pense-t-il dans un courant d’air d’agressivité avant de passer à autre chose. Comme il pensait plus tôt, les querelles d’héritage débarquent à un moment inopportun qui empêche les Mangemorts de se concentrer sur leur ennemi premier.

La famille, c’est la famille. Et quelle famille. Hélas, Hélios voit d’autres visages dès que l’inventeur lui mentionne ceux qui oublient. Peut-être pense-t-il à Arutha, le duelliste imagine sa sœur. Traîtresse, corrompue… Et une autre voix s’élève parmi les vapeurs de l’alcool. Peut-être serait-ce les Kark qui auraient oublié que sa sœur fait partie de la famille.

Il secoue sa tête avec tranquillité. Cette réflexion le gêne trop. Les ennemis, oui, nous avons beaucoup d’ennemis… Ils croient qu’ils peuvent sortir de l’ombre maintenant. Nous allons les repousser. Les extirper hors de notre fief. « C’est vrai. Nous nous défendrons… et avec de la chance ce sera la dernière fois que nous aurons à le faire. »  À l’évocation de ceux qu’ils ont perdu, Hélios se serre la mâchoire. Mervyn. Comment ils ont pu… comment est-ce possible. Ce grand homme, ce génie, cette incarnation de la virilité en contenance, cette figure patriarcale dont le monde magique avait besoin…

Que poussière.

Et Elena. Digne épouse, grande femme. Ils ont trouvé la mort ensemble. Il n’y avait qu’elle pour égaler la grandeur de Mervyn Kark. Puis Thanatos.

Hélios lève son verre avec timidité avant de renfermer sa poigne au souvenir des disparus. Non, il ne doit pas être faible. Il doit tenir son verre comme il tient sa baguette. Force, pureté, puissance. Le symbole doit se gorger d’énergie. « À Mervyn, Elena et Thanatos... Ils ne sont plus mais ne seront jamais oubliés. » Cul sec.