Une marche craqua dans le silence nocturne du manoir Kark. Pied soudainement en lévitation au-dessus du degré suivant, une silhouette se figea. Le cœur battant, Nilhem Kark retint sa respiration, essayant dans le même temps de ne pas réveiller trop de tableaux avec le bout illuminé de sa baguette, de calmer les tremblements qui l’agitaient et de ne pas se prendre les pieds dans le bas de son pantalon de pyjama rayé, bien trop grand pour lui. Et ceci, quand vous étiez un Kark beaucoup plus cérébral que physique déjà dans des conditions normales, était un exploit non négligeable quand vous veniez de vous réveiller au beau milieu de la nuit, couvert de sueur et enroulé dans vos draps qui avaient soudain des airs de filet du diable. Non que Nilhem ait particulièrement peur du noir (enfin, pas depuis quelques années en tous cas), mais il était, depuis quelques temps, en proie à de violents cauchemars qui le laissaient haletant. La nature de ceux-ci changeait mais il y avait trois thèmes récurrents qui s'alternaient sur l'écran de l'esprit du jeune homme. Il n'avait pas particulièrement envie d'y repenser à l'instant même, alors qu'il tentait de se garantir un passage silencieux et sûr vers le grenier, sans réveiller toute la maisonnée. Il n’avait aucune envie de passer la moitié de sa matinée à subir les soupirs et remarques acerbes de sa chère sœur qu’il aurait privée de son beauty sleep. Expirant et marmonnant dans sa barbe qu'il ferait bien de se reprendre, il poursuivit son chemin en essayant de faire le moins de bruit possible. Son pyjama manqua encore de le faire tomber une ou deux fois avant que finalement, il n'arrive à la porte du saint des saints, son Antre, dans laquelle personne ne pénétrait sans sa permission. Quelques arabesques compliquées du bout de sa baguette plus tard, il entrait rapidement et fermait la porte derrière lui, à laquelle il s'adossa, respirant enfin aussi bruyamment qu'il le souhaitait.

C'avait été un mélange de tout, cette fois-ci. Il était pratiquement sûr qu'il s'était réveillé en hurlant. Le rêve lui revenait par flashes, douloureusement. Il y avait sa mère, le regard inquiet. Cette pièce sombre dont il ne parvenait pas à s'échapper. Des exécutions, des courses-poursuites dans de noirs couloirs sans fin. Et il y avait son corps sans vie, gisant à ses pieds. Cette fois, il lui avait fait boire une potion de sa composition. Mais il y avait tant d'autres cauchemars où il la poursuivait, où elle tombait dans les escaliers, où elle se faisait torturer, assassiner par ses proches. Quand ce n'était pas de sa propre main ... Un frisson le parcourut alors qu'il serrait les poings, l'un dans le vide et l'autre sa baguette qui aurait émis un grincement de protestation si elle l'avait pu. Rose. Une belle épine qu'il s'était mise dans le pied, si on lui pardonnait ce jeu de mots de mauvais goût. Cela aurait pu le faire sourire si la situation n'était pas aussi dramatique. Il avait tout essayé pourtant, il avait fréquenté une Sang Pur, ces derniers temps, juste pour essayer de penser à une autre, de la visualiser à sa place dans ses songes ... et rien n'y faisait. C'était toujours la peau pâle, la chevelure de feu et les prunelles chargées de reproches de la Moldue qui le hantaient ... depuis bien trop longtemps maintenant. Il avait même pensé, en désespoir de cause, se lancer un Oubliettes pour en finir ... mais il n'était pas certain de l'effet que cela aurait pu avoir. Donc il avait opté pour une autre solution.

Cette pensée le fit tressaillir et se reprendre, tout du moins suffisamment pour rouvrir les yeux. Devant lui s'étendait une surface immense qui était son territoire. Il y avait deux ou trois établis avec divers objets les jonchant, deux gros chaudrons au fond de la pièce qui bouillonnaient, sur deux feux magiques, et une grande table centrale partagée entre une partie recouverte de rouleaux de parchemins et une où s'entassaient des fioles, des mortiers et autres ingrédients dédiés aux potions. Son univers, son joyeux bazar. Il avait toujours eu besoin de tout mener de front. Les idées n'attendaient pas, comme il aimait à le rappeler, et c'était bien la raison pour laquelle cet espace était parfait : il pouvait démarrer plusieurs expériences en parallèle ... même si cela finissait bien souvent en désastre. Il y avait en tous cas deux projets qu'il poursuivait en non-stop. Le premier, celui dont il ne parlait absolument pas, était en rapport direct avec le susmentionné problème. Se passant la main libre dans les cheveux, il s'avança d'un pas traînant jusqu'aux deux chaudrons au fond de la salle. L'un contenait un liquide rose, et en émanaient des vapeurs sentant comme la fleur éponyme, le vieux livre et le miel de châtaignier. Quant à l'autre ... Nilhem retint un haut-le-coeur en s'en approchant. La surface était d'un noir de jais, des bulles verdâtres explosaient à intervalles réguliers à la surface et diffusaient un fumet de ... en réalité, il ne voulait même pas essayer de détailler ce que cela pouvait sentir. Il savait ce qu'il avait mis dans le chaudron et c'était déjà bien assez. Essuyant de la sueur perlant de son front, il jeta un coup d'oeil aux sabliers trônant au-dessus. Il y en avait encore pour quelques heures avant de goûter cette énième tentative ... d'un anti-Amortentia. Il ne s'agissait pas d'y trouver un remède, pas du tout. Il s'agissait de le débarrasser de cette obsession qui menaçait de lui faire définitivement perdre les pédales. Ce n'était pas la première et ce n'était sans doute pas la dernière. Quelqu'un de sage lui aurait sans doute dit que, comme l'Amortentia ne créait pas l'amour, trouver à réaliser son exact contraire ne tuerait pas ce qu'il ressentait. Mais comme il n'en parlait pas et essayait activement de se convaincre que ces sentiments n'avaient rien de réel tant ils étaient déplacés ... eh bien il continuait à ingurgiter potion répugnante sur potion répugnante ... sans le moindre effet. Cependant, il continuait à tenter. Il fallait qu'il garde espoir s'il ne voulait pas revenir au plan initial consistant à essayer de s'enlever une partie de ses souvenirs, qui risquerait fort de poser quelques soucis.

Surtout s'il oubliait ... tout le reste. S'arrachant à la contemplation de ces deux surfaces bien trop troublantes, le jeune sorcier s'approcha de ses notes. Il n'y avait rien de ses travaux à Magicorp, il ne ramenait jamais de travail à la maison (même s'il ne devait pas vraiment y avoir endroit plus sûr au monde). Non, cette partie était la plus importante et lui posait pas mal de soucis ... d'autres soucis, plus sains, qui lui permettaient d'équilibrer un peu les choses. Faisant venir son siège d'un coup de baguette, il la troqua contre une plume, non sans avoir chaussé une paire de lunettes (qu'il ne portait que dans son laboratoire - hors de question que quiconque voie son énorme tarin affublé de ce nouvel accessoire, on le remarquait bien assez comme ça pour éviter d'en rajouter). Cela ... c'était tout autre chose. Il avait commencé après Tinworth. Alors que tout le monde criait au scandale et se laissait aller à la peur ... c'était autre chose que Nilhem Kark avait ressenti. C'aurait été mentir que prétendre qu'il n'avait pas éprouvé une grande crainte, à l'unisson avec toute la communauté sorcière. Mais il avait surtout trouvé cela ... fascinant. Il se doutait que le Département des Mystères devait travailler sur la question, ainsi que d'autres sorciers beaucoup plus avancés qu'il ne l'était mais ... il avait décidé d'y jeter un coup d'oeil également. En essayant de comprendre comment cela était possible. Il avait réussi à dégoter quelques plantes, dans la littérature, qui pouvaient anesthésier quelques particularités magiques, mais rien qui n'ait cette échelle ni cet impact aussi total ... mais il continuait. Chaque indice, chaque bout d'information le faisait partir de plus belle, emprunter plus de livres, poser plus de questions et continuer à amasser de la connaissance, encore et encore. Ce serait sans doute avec cela qu'il mourrait, de toutes les manières, comme le lui rappelait régulièrement sa chère soeur. Etouffant un grognement, il reprit quelques notes avant de laisser tomber sa plume. Ses yeux le brûlaient et il ferait bien de retourner dormir. Il avait encore une longue journée qui l'attendait à Magicorp le lendemain, des essais pour le show de sa cousine quand il sortait et il voyait ensuite Cassandra, autant dire qu'il n'était pas couché de sitôt. Il ne pouvait pas encore passer une nuit blanche de recherches, il ne survivrait pas à sa journée et il était hors de question de faire faux bond aux femmes numéro 2 et 3 de sa vie (il ne se risquerait cependant jamais à les classer, de peur d'un bain de sang). Il ne lui restait plus qu'une solution.

Dans un geste las, il remit ses lunettes à leur place et se dirigea vers la sortie,
non sans faire venir à lui d'un Accio informulé une des fioles posées sur la table centrale. Une nouvelle tentative pour une potion de sommeil sans rêves ... sachant que la dernière l'avait vu se réveiller avec une imposante moustache (une abomination qui n'avait fait que faire ressortir son n... enfin vous avez compris l'idée), il prenait de gros risques. Ce n'était pas comme si c'était la première fois ou que cela lui faisait particulièrement peur. Il attendrait cependant d'être de retour dans sa chambre avant de l'ingurgiter. Au cas où. Histoire de ne pas s'écrouler dans les escaliers. Porte fermée, baguette prête, il posa le pied sur la marche, se sentant plus confiant qu'en montant ... Son talon appuya sur l'arrière du bac de son pantalon. Il se sentit partir en arrière, lâcha la fiole dans l'espoir d'attraper la rampe qu'il griffa de ses doigts ...

[Dans le souci absolu de protéger la dignité de son personnage, la narratrice en restera là quant au récit de cette nuit en particulier.]