S’il y a bien quelqu’un qu’on ne s’attend pas à croiser ce soir, c’est Nilhem Kark. Et c’est un peu sur cela qu’il compte pour passer la soirée tranquille … mais ça s’annonce un peu plus compliqué que prévu. La « foule » qui se presse vers le nouveau lieu du Boutefeu (inutile de vous dire qu’il n’a jamais mis les pieds dans le premier) n’est pas si éloignée de celle qu’il a l’habitude de fréquenter. Compter sur la discrétion des gens ? Peut-être, après tout, qui aurait envie d’avouer qu’iel aime parier sur des combats de moldus … quoi que cela, encore, pourquoi pas. Mais la suite de la soirée … un véritable scandale. Donc avec un peu de chance, même si on le reconnaît, il pourrait passer inaperçu. D’ailleurs, il n’a pas mis une de ses tenues habituelles, même si c’est quand même du Zabini (il ne faut pas abuser non plus), mais le pantalon sombre et la chemise assortie ne le font pas ressortir dans le décor, ce qui lui va parfaitement. Il s’est coiffé différemment, également, rien qui ne cache son nez, me direz-vous, mais c’est déjà pas mal. Cette sobriété pourrait cependant finir par le faire remarquer, au milieu des riches couleurs et de certaines tenues improbables – il pense d’ailleurs non sans émotion que quelqu’un qu’il connaît, ou plutôt connaissait bien, aurait a-do-ré les commenter. Mais il ne va pas penser à elle maintenant, ni à aucun moment de la soirée, par ailleurs. Il est venu pour voir une … eh bien. Une amie.

Il n’y a pas vraiment d’autre mot pour définir la relation assez inattendue qui s’est épanouie au fil des semaines entre Isilde Sabordage et lui. Improbable, la première soirée qu’elle lui a proposé, il y a des mois de cela, est devenu un rituel hebdomadaire, très rarement repoussé ou annulé, où ils … eh bien, se mettent minables, à défaut d’autre terme, et finissent souvent très mal. Il ne s’agit pas toujours de déterminer lequel d’entre eux tient le mieux l’alcool – même si le sujet reste très tendu étant donné que, comme il aime à le rappeler, après tout, c’est lui qui a remporté la première manche, et n’est-ce pas la plus importante ? Et elle enchaîne en invoquant la chance du débutant, enfin, c’est un débat à n’en plus finir dont les habitués de La Source entendent régulièrement parler. C’est un peu étrange, d’avoir accepté de la retrouver en ces lieux, pas du tout dans le monde de Nilhem, pas dans leur décor habituel, mais définitivement dans celui d’Isilde mais … lui faire confiance une première fois lui a plutôt réussi, autant renouveler l’expérience et voir ce que cela donnera. Et au pire … au pire il rentrera. Pas un souci.

Arrivé à l’entrée, il manque de rentrer dans une dame portant un chapeau monumental sur lequel est juché ce qui ressemble à … oui, c’est bien une reproduction de dragon ! Il se stoppe fort heureusement juste à temps, se projetant à la place contre la paroi de la grotte (parce qu’après tout, pourquoi pas …) et lève les yeux au ciel de sa propre bêtise … pour tomber sur son hôtesse de la soirée, déjà en charmante compagnie, un peu plus haut. Décidant que de toutes les manières, le ridicule ne risque pas de le tuer étant donné les états dans lequel l’a vu la Sabordage, il se fend d’un salut tout à fait pompeux (et du ton du couvre-chef qui manque de se renverser, mais cette fois, simplement parce que l’animal dessus bouge) : Mesdemoiselles, bien le bonsoir ! Il n’a pas encore décidé s’il était Alan ou Nilhem, ce soir, mais puisqu’il y a pour l’instant Chandra dans les parages, autant s’en tenir à son tout premier rôle. Et puis, il est à jeun … ce qui est d’ailleurs une surprise, c’est que les personnes en face de lui le soient aussi. Je suis surpris, moi qui pensais vous trouver au bar … en plein échauffement. Un sourire malicieux et une étincelle fleurant bon le défi animent le visage du Kark. Ah, que c’est bon de ne pas être soi … mais peut-être faut-il qu’il fasse attention à le rester tout de même un peu. Quelques temps. Le temps de tâter le terrain.

Le malaise, voilà l’état d’esprit dans lequel se trouvait Cassandra Zabini à l’instant présent. Un malaise, total, écrasant, qui l’empêchait même de penser correctement. L’appréhension lui tordait les boyaux et  l’accablait d’une nausée difficile à ignorer mais, heureusement pour elle, elle lui avait également coupé l’appétit toute la journée. Elle n’avait au moins rien à rendre, c’était déjà ça de pris.

Pourquoi se sentait-elle si mal ? Pour plusieurs raisons. Déjà, le lieu ne facilitait pas sa mise en confiance : les falaises proches de Tintagel étaient synonymes d’une soirée particulièrement atroce dans l’esprit de Cassandra, une soirée emplie de coups de feu, de flaques de sang, d’oreilles arrachées, de chaussures perdues et d’un putain de kraken. Et cette expérience traumatique n’était que le début, car ce soir elle allait mettre les pieds dans un endroit dont l’existence même la rebutait jusqu’au plus profond de son être.

Le Boutefeu, un club illicite de combats de moldus. Ce concept l’écœurait, et le fait que son père fasse  partie des clients les plus fidèles de ce lieu à la moralité plus que contestable l’emplissait de rage et de déception. C’était sa faute, sa faute à lui et à lui seul si Tadhg, son Tadhg, s’était enfui. Il l’avait forcé à se battre ici, et pour quoi ? Pour de l’argent ? Il avait de l’argent pourtant, ça n’avait aucun sens pour elle. Peut-être s’agissait-il d’un moyen de trouver de l’excitation dans sa vie trop bien rangée ? Peut-être les frissons de l’illégalité lui manquaient-ils après qu’il ait abandonné toutes ses magouilles quand Naïma Zabini avait finalement accepté de l’épouser ? Ou peut-être simplement voulait-il tromper l’ennui ? Elle n’en savait rien, mais ce qu’elle savait c’était que Tadhg avait été maltraité juste sous son nez et qu’elle n’avait absolument rien vu. D’une certaine façon, Cassandra se sentait également responsable, mais cette pensée était bien trop douloureuse pour être verbalisée de façon aussi claire.

Habillée d’un ensemble crop top et mini-short en murlatex beige, elle frissonna malgré sa cape beige doublée bleu azur à l’intérieur, enchantée pour la tenir à une température agréable quelles que soient les circonstances externes, et assortie à ses escarpins – azurs également –. Elle se sentait mal, vraiment mal. Elle voulait rentrer chez elle, mais elle ne pouvait pas. Elle avait une mission. Toutes les heures passées à distribuer et afficher des avis de recherche pour son moldu égaré à travers Avalon n’avaient abouti à strictement rien mais elle ne perdait pas espoir. Peut-être que quelqu’un au Boutefeu aurait une information ou même juste une idée de l’endroit où son pauvre Tadhg pouvait être. C’était improbable, mais c’était une piste qu’elle se devait d’explorer. L’idée de son adorable moldu et sa petite tête toute grognon vivant sous un pont lui fendait le cœur et elle s’en voudrait jusqu’à sa mort si elle ne faisait pas tout ce qui était en son pouvoir pour le retrouver et lui venir en aide.

Son moldu Damian à sa droite et son cousin Armel à sa gauche, elle prit une grande inspiration et se dirigea vers l’entrée de la grotte d’un pas qu’elle voulait déterminé. « Encore merci d’être là Armel, j’aurais vraiment pas voulu venir ici toute seule. » Enfin, dans tous les cas, Damian l’aurait accompagnée mais il ne comptait pas vraiment. Et à en juger par la façon avec laquelle il hochait la tête, il semblait être d’accord. « Normalement, ça aurait dû être à Tadhg de jouer les gardes du corps mais… Enfin, tu comprends. »

Ils furent accueillis à l’entrée de la grotte par un moldu à l’air torve qui la regardait avec une grande animosité sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi. « Vous l’inscrivez pour les combats ? » demanda-t-il en pointant Damian du menton. Ce dernier mit quelques secondes à comprendre qu’on parlait de lui et finit par tourner la tête vers Cassandra d’un air paniqué, cherchant l’assurance dans son regard que non, elle n’allait pas le forcer à se battre. « Qu-Quoi ?! Mais, mais pas du tout, voyons ! » s’offusqua la Zabini en attrapant le bras de son moldu d’un air protecteur. Elle poussa le malotru sans ménagement et entra dans la grotte en maugréant. Non mais quelle impolitesse !

La grotte de Merlin…

Cassandra avait toujours été plus intéressée par l’expérimentation que l’Histoire de la Magie mais même elle ne pouvait rester de marbre face à ce lieu légendaire. Il fallait avouer que ça en jetait ! Et bien qu’elle ne soit pas vraiment là pour faire du tourisme, il était incroyablement difficile pour la Zabini de ne pas faire preuve d’une extrême curiosité quant à tout ce qui l’entourait. Les feux follets qui arboraient toutes les couleurs de l’arc-en-ciel rajoutaient encore plus de magie à cet endroit qui en avait pourtant déjà à revendre, mais ce qui attirait le plus son attention était ces étranges cristaux qu’elle n’avait jamais vus avant. De quand dataient-ils ? Était-ce à cause de leur présence que Merlin avait choisi cette grotte ou bien étaient-ils apparus en réponse à l’importante activité magique qui avait dû avoir lieu ici bien des siècles auparavant ? Peut-être avaient-ils des propriétés magiques uniques ? La langue-de-plomb ne tarda pas à sortir sa baguette et discrètement récupérer un échantillon. « Tiens, tu savais que Nilhem viendrait ? – Oui, j’en récupère un et je lui montrerai la prochaine fois… Attends, quoi ? HEIN ?! » Nilhem était ici ?!

Qu’est-ce que Nilhem Kark pouvait bien foutre dans un endroit aussi sordide ? Avait-il commencé à supporter ce genre de pratiques barbares pendant les quelques mois où ils avaient été séparés ? La relation entre les deux amis était encore trop compliquée et trop fragile pour que Cassandra ne se risque à tout faire foirer maintenant, mais elle crevait d’envie d’aller lui demander des explications quant à sa présence ici. « Non, je savais pas. Mais ça n’a pas d’importance, j’ai pas besoin de ce genre de distractions. Je suis venue pour une raison claire : récupérer des infos sur Tadhg, c’est tout. Le reste ne m’intéresse pas. » affirma-t-elle en plaçant l’échantillon de cristaux dans une poche de sa cape, parfaitement consciente de l’ironie de la situation.

« Peut-être que l’un des moldus présents sait quelque chose ? Je me demande si… – Je m’en occupe ! – Damian, non, attends ! » Trop tard. Vif comme l’éclair, le moldu, dont l’enthousiasme et l’envie de bien faire étaient inversement proportionnels à son discernement, avait déjà filé sans avoir attendu la moindre consigne, fredonnant probablement la chanson du générique de l’un des innombrables films d’espionnage qu’il avait vus à la TVM. Cassandra soupira et balaya l’assemblée du regard à la recherche d’un indice sur la piste la plus prometteuse, faisant de son mieux pour éviter de croiser les yeux de Nilhem. Non mais vraiment, que pouvait-il bien faire là ? Il semblait en discussion avec Chandra Khan et une morue rousse… « Sabordage... » elle murmura, l’air menaçant. Cassandra avait été obligée de passer des jours et des jours coincée en mer à bord du Kraken avec Isilde lors d’une mission pour les mangemorts, et il n’était pas nécessaire de préciser que le courant n’était pas particulièrement bien passé entre les deux jeunes sorcières… « Ah mais c’est ça ! Mais quelle conne ! Sabordage ! La propriétaire du lieu s’appelle Arsenia Sabordage, et j’ai pas fait le rapprochement ! Isilde doit forcément savoir quelque chose ! » Oui, mais non. Elle n’avait pas vraiment envie d’aller quémander des informations chez Isilde, en particulier puisque celle-ci semblait être copain-copain avec Nilhem – depuis quand ils traînaient ensemble ces deux là d’ailleurs ? – mais, heureusement pour elle, et malheureusement pour Dagobert, elle connaissait un autre Sabordage. Le rouquin était également présent un peu plus loin, discutant avec Vivienne McKay, Maddox Macnair et deux autres rouquemoutes qui semblaient avoir un air de famille.

Dagobert avait menacé de tuer Cassandra une bonne dizaine de fois au cours de leur mission mais elle était prête à passer outre ce fâcheux détail pour le bien de Tadhg. Et puis, elle préférait clairement ça à l’idée de s’approcher de près ou de loin de la zone dangereuse qui entourait Nilhem Kark. Elle décida donc de fixer Dagobert jusqu'à ce que leurs regards se croisent et elle lui adressa le sourire le plus charmant, innocent et amical dont elle était capable, lui faisant même un petit coucou de la main, histoire de tester la température de l'eau avant de se jeter directement dans le bassin des requins.

Mouais, c’était pas fameux...

La soirée promet. Mais on ne peut pas dire que Nilhem s’en plaigne, bien au contraire. Il est des compagnies qu’on lui reprocherait d’apprécier, mais c’est une telle bénédiction, de sortir de son carcan étouffant pour quelques heures qu’il n’en a strictement rien à faire. Et l’insolence et la vulgarité d’Isilde le font toujours sourire, même s’il fait mine de s’en offusquer. Il ne pourra jamais la suivre sur cette voie, mais ça n’a pas la moindre importance. Le temps qu’il la fait rire … et Chandra aussi, finalement. Même si le rose a définitivement pris place sur ses joues, le jeune homme ne peut que le compter comme une victoire, pas gêné pour deux sous. Un peu, avec son bras en l’air parfaitement inutile. Qu’on ne s’affole pas, il n’en est pas à son premier vent et il en faut beaucoup plus pour le démonter. Ses sourcils se froncent cependant quand la pirate part toute seule dans l’un des longs monologues sans queue ni tête dont elle a le secret. Ce qui a pour effet au moins, de lui faire un point commun avec Chandra – nous passeront sur le sous-entendu de la demoiselle quant à ses possibles intentions envers la Khan, merci, il n’est pas suicidaire. Cette fille est dingue. Même en le sachant, elle ne cesse de me surprendre, confirme-t-il, sulagé finalement qu’elle prenne son bras, qui commençait à se raidir quelque peu. Allez, Karkounet, partons à la conquête du buffet ! Tu me dira des nouvelles des petits-fours de la plè... Lalyyy ! Karkounet ? Quand je vous disais que le charme de ce garçon n’avait pas de limites. Il n’a cependant pas le temps de s’étendre sur cette petite victoire qu’ils sont soudainement agressés par une pluie d’épais cheveux de jais. Relâchant Chandra, il fait un pas de côté, se sentant soudainement de trop alors qu’une langue chantante s’élève de ses lèvres.

Il en profite pour considérer l’apparition, qu’il finit par identifier sans trop de peine. Quoi ? Je n'ai plus le droit de venir t'embrasser ? Et qui est ce charmant garçon ? Il s’agit ni plus ni moins que de la mère de Chandra, et donc d’Ayesha, Kalyani Khan. Qui vient donc de dire qu’il est charmant. Inutile de vous dire que la carnation du Kark vient de passer de « pêche » à « brique ». Nilhem. Kark, Nilhem, je te présente ma mère, Kalyani Khan. Vite, vite, se souvenir de ses bonnes manières rapidement. Ouuuh, j'ai déjà entendu parler de ce petit oiseau-là ! Ayesha l'apprécie beaucoup je crois. Enchantée, jeune homme. Ce qui n’a rien d’évident, je vous prie de le croire, face à un duo de cette ampleur. La plupart des dames devant lesquelles il a pu exercer ses talents de conversation sont plus … disons mesurées. Non qu’il ne les juge, bien au contraire, mais cette abondance de charme féminin complètement libéré a quelque chose de fondamentalement intimidant et de grisant à la fois – ce qui ne peut qu’expliquer son béguin adolescent pour Ayesha, dont personne n’est au courant, Mervyn merci. Il lui faut donc quelques secondes supplémentaires pour retrouver ses esprits, surtout sous le regard complice des deux femmes. Il se redresse, se raclant la gorge pour faire bonne figure avant d’incliner la tête : Lady Khan, c’est un honneur pour moi de faire votre connaissance. On ne refera pas un Sang-Pur, et surtout pas Nilhem Kark et c’est sans doute tout aussi bien comme ça. Permettez-moi de vous dire que vous avez des filles absolument charmantes, et je peux aisément voir d’où elles le tiennent. Dans la bouche d’un autre, ç’aurait sans doute été subversif, dit sur un ton un peu dragueur. Mais de la part de cet énergumène en particulier, ce n’est rien d’autre qu’un compliment parfaitement honnête et dépourvu de toute pensée malicieuse. Et il y est arrivé sans bafouiller, j’aimerais un tonnerre d’applaudissements pour lui. Cependant, il y a des limites à ce qu’un pipou comme lui peut endurer, ainsi que Chandra, sans doute. C’est donc à moitié en toute innocence, à moitié en parfaite connaissance de cause qu’il continue. J’ai d’ailleurs promis un rafraîchissement à Chandra et aimerais tenir ma promesse, avec votre permission, bien entendu. Qu’on ne dise pas que ce n’est pas un gentleman, s’il vous plaît. Même s’il est complètement décalé avec son environnement, Nilhem reste Nilhem. Et il n’en a pas honte une seule seconde.