Damian ne se souvient plus du visage de ses parents. Ils sont morts alors qu’il était tout jeune, à peine garde t’il en mémoire leurs silhouettes sur une photo jaunie depuis longtemps disparue, mais des visages, non, il ne reste plus rien. Sans doute sa vie aurait-elle été différente sans cet accident de voiture qui l’a rendu orphelin à deux ans. Il n’a heureusement pas conservé de chagrin, on garde peu de sentiments de cet âge-là. Ses premiers souvenirs sont ceux de l’orphelinat de la banlieue de Londres, et ils ne sont pas heureux. Pas facile de grandir sereinement quand vos substituts de parents étaient tarifés, et mal payés en plus. A force de voir des enfants toute la journée, l’affection s’effaçait et laissait la place à un froid automatisme. Damian pleurait peu, se plaignait peu, et faisait peu de bêtises, donc on avait tendance à le laisser dans son coin, pour s’occuper des autres, plus turbulents. Les autres enfants s’y intéressaient, eux, mais plus comme souffre-douleur. Il était si petit, et n’osait jamais dénoncer personne. Trouillard. Poule mouillée. Cot cot cot ! Il y avait un peu de ça, ça n’était pas si faux, ce minuscule début de vie ne lui avait offert que des déceptions, et Damian faisait le dos rond, résigné, attendant que la tempête passe, car elle passait toujours.

En 2030, Damian avait 7 ans quand le projet Filet du Diable fut mis en œuvre. Il était trop jeune pour en comprendre tous les tenants et aboutissants, tout ce qu’il voyait, fut que sa vie changeait encore. Certaines personnes disparaissaient de son horizon, quel que soit leur destin, funeste ou pas. D’autres apparaissaient, plus étranges. Des sorciers. Quelle découverte ! Et d’autres personnes dénuées de pouvoirs aussi, comme lui, dont beaucoup, beaucoup d’enfants. Ces nouveaux visages étaient-ils plus, ou moins bienveillants que les précédents ? Bah, c’était kiff kiff. Mais au moins maintenant, même si il ne le savait pas, avait-il une valeur. On ne gaspille pas ce qui peut se revendre, on essaye de l’améliorer plutôt, histoire que le prix grimpe.

Plutôt bien fait, et plutôt docile, et plutôt chétif aussi, le Ministère qui avait récupéré l’enfant décida de faire de lui un domestique. Encore heureux, il n’aurait pas survécu plus de quelques semaines dans des mines. Cependant cette nouvelle existence, bien que pas si terrible pour un orphelin à qui ses parents ne manquaient de toute façon pas, était extrêmement inquiétante pour le petit bout d’homme. Les sorciers l’impressionnaient terriblement, lui petit « moldu » sans intérêt. Il craignait que le sort s’acharne encore, qu’on se remette à le considérer comme un punching ball. Qu’on le tue. Ou pire, qu’on l’envoie dans les mines. Cette perspective le terrifiait. Malgré sa bonne volonté, le stress était tellement présent à chaque moment de son existence, qu’il n’arrivait pas à sereinement apprendre ce qu’on essayait de lui faire rentrer dans le crâne. Et pourtant, ça n’était pas si compliqué ! On ne songeait pas à faire passer un doctorat aux enfants moldus ! Juste savoir lire les notes laissées par les Maîtres, pouvoir y répondre par écrit, compter l’argent des courses… Simple. Basique. Voire un peu plus pour les plus attentifs, mais dans le petit crâne de Damian, ne se greffait que moins que l’essentiel. Le reste restait englué dans la peur avant d’atteindre son cortex.

Ses craintes attinrent leur paroxysme à l’approche de ses douze ans. On avait expliqué aux enfants survivants du Filet quel sort serait le leur, et ce qu’on ferait aux « invendus ». L’exécution. Etais ce vrai ou faux ? En tout cas, Damian y croyait. Ce qui était à la base fait pour les motiver à bien faire produisait sur lui les effets contraires. Son cœur se voulait courageux et volontaire, mais sa tête et son corps n’acceptaient de s’y résoudre. A la date fatidique de la vente aux enchères, il ressemblait à un sac d’os flottant dans des vêtements trop amples. En plus peu instruit. Inutile, en somme. Banale bête de somme, s’il n’était pas fort, au moins se devait-il d’être intelligent ou ingénieux, mais ses notes n’allaient pas dans ce sens. Il avait toujours une petite gueule d’ange, certes, mais aux yeux ourlés de cernes noires. A peine lui jetait on un regard critique. Il était tellement tôt pour que sa vie s’abrège pourtant. Si il avait pu plaider sa cause, prier pour qu’on l’épargne, hurler au secours, mais tout cela était interdit. Lorsqu’à la fin de la séance une famille daigna enfin dépenser quelques pièces de misères pour lui, il se sentit reconnaissant envers eux comme jamais auparavant. Jamais on avait fait d’effort pour lui, de sacrifice pour lui, s’agissait-il de quelques piécettes. Quoi qu’on lui demande de faire, il l’accomplirait de bon cœur, Damian en était sûr. Il les rendrait fiers, ces sorciers au nom si exotique. Les Zabinis. Merci. Merci. Merci.

C’étaient à eux qu’il devait son salut et sa vie, et Damian apprit rapidement qu’il n’était pas tombé dans n’importe quelle maisonnée. La famille Zabini, rien que ça ! Le luxe dans lequel il débarqua, même si ça ne lui était destiné en rien, était étourdissant pour le petit orphelin qui n’avait connu que la débrouille et le minimum vital. Ces sorciers vivaient dans de véritables palais, même si ses moyens de comparaison étaient maigres, avaient accès à toute la culture qu’ils voulaient, à la nourriture la plus raffinée, au Monde Entier. Libres, comme il ne le serait jamais, ça, Damian en avait conscience, il avait accepté ce fait depuis longtemps, et son status social proche de la moquette ne le tourmentait plus. On lui présenta rapidement celle qui avait insisté pour acheter ce petit esclave maladif : Mademoiselle Cassandra Zabini. Miss. Princesse. Maitresse. Petite déesse incarnée. La très jeune fille avait deux ans de moins que lui, mais déjà le caractère bien trempé d’une personne de deux fois son âge. Elle était extrêmement impressionnante pour l’esclave timide, qui se plia immédiatement à son autorité. Ses désirs étaient des ordres. Aussi fantasques soient-ils.

Damian ne connaissait aucun enfant sorcier, à part ceux qu’il servait chez les Zabinis, et Miss Cassandra en particulier. Le caractère de l’enfant lui paraissait donc… normal. Ca devait sans doute ressembler à ça, un petit sorcier né avec une cuiller en argent dans la bouche. CQFD. Oh, il n’en était absolument pas jaloux de tout ce qu’elle possédait, juste étonné, ils n’étaient tellement pas du même monde. Elle était tellement fascinante. Tellement jolie, qui allait devenir tellement belle. Mais oh, jamais en aucun cas il n’aurait pu voir sa maîtresse comme autre chose qu’une créature fascinante intouchable, ils n’étaient carrément pas de la même race, son affection n’était que dévotion, et rien que cela, de romantisme il ne fut jamais question une seconde. Son seul but était de lui faire plaisir et de la contenter dans ses demandes. Miss Cassandra était plus mature que lui, plus directive, plus ingénieuse, et ce rôle de suiveur pantois lui convenait parfaitement.

C’était tout ce qu’il désirait, pour faire honneur à ses sauveurs. Sa dévotion devint sans limites, sans qu’il n’attende rien en retour. Il en récolta cependant les fruits, puisqu’avec le temps, il put constater qu’il était très bien traité comparé à d’autres moldus. Oh, les esclaves n’étaient pas (pour la plupart) enchainés dans des bulles de verre. Ils avaient des obligations à l’extérieur, et c’est là que Damian se fit quelques amis, parmi d’autres domestiques, esclaves eux aussi. Il découvrit grâce à leurs histoires combien il était chanceux d’être domestique chez les Zabinis, et combien il devait leur rendre grâce. Certains récits étaient à glacer le sang. Les sorciers avaient le droit de vie, de torture, et de mort sur eux. Droit de négligence aussi. Dans sa maisonnée, ils n’étaient pas trop à plaindre : un Elfe de maison s’occupait du ménage, et entre Tadhg et lui, il y avait assez de domestiques pour tout ce qui restait d’autre à faire. Et lui, encore plus que son compère au mauvais caractère, était privilégié et protégé par le bon vouloir de Miss Cassandra. Les années passèrent, renforçant son sentiment d’appartenance aux Zabinis, renforçant sa loyauté, et il n’aurait changé sa situation pour rien au monde. Le reste du monde semblait si dangereux et si sordide. Tout ce que Damian espérait était d’être un domestique exemplaire, ce qu’il réussissait plutôt bien dans l’ensemble, malgré une maladresse terrible qui l’accablait parfois. Il acceptait les punitions aussi bien que les satisfactions, et aurait accepté largement de mourir pour sa famille, et de mourir deux fois pour Miss Cassandra.

La jeune femme qui décida de l’emmener dans ses valises, lui, et pas quelqu’un d’autre, après les terribles incidents de la Tour des Médias pendant la fête d’Halloween. La politique ne l’intéressait pas vraiment, Damian n’y comprenait rien ou presque. Tout ce qu’il savait, c’était que d’un côté se trouvaient les gentils : sa famille et les gens qu’elle considérait comme acceptables, et de l’autre tout un tas de malotrus, sorciers ou non, qui auraient pu leur nuire. Les ennemis de ses amis étaient ses ennemis, à lui aussi. La cause Mangemort était celle qu’il embrassait car c’était celle des Zabinis, même si lui-même était Moldu, et d’aucuns auraient trouvé cette idée absurde. Tant pis, il avait sa propre logique. Quoi qu’il en soit, Miss Cassandra avait décidé de quitter le pays pour se ressourcer chez ses lointains parents en Italie, et Damian devait l’accompagner, comme il l’avait déjà fait lorsque sa maîtresse avait des envies de dépaysement.

Quelle douce sensation que ce soleil chaud vous caressant la peau. La Dolce Vita était Dolce même en tant qu’esclave, Damian en était convaincu. Il lui semblait que la misère était moins pénible au soleil. Miss Cassandra le traînait partout à sa suite, entre Milan et Venise, chez ses parents de la branche Italienne. Damian ne pipait mot de ce que racontaient les locaux, aussi restait-il un peu méfiant à leur égard, suivait il sa maîtresse avec encore plus d’attention et de ferveur. Les Zabinis Italiens chez qui ils logeaient lui attribuaient parfois quelques menus travaux, mais en général c’était elle qui lui indiquait quoi faire, et quand. Ils visitèrent ainsi plusieurs maisons, plusieurs villas, plusieurs palais. La Famille italienne était immensément riche, plus encore sans doute que l’anglaise, si bien que Damian en avait le tournis.

Leur escapade continentale allait durer sept mois, avant que Miss Cassandra décide de rentrer au  Royaume-Uni, en ce début d’été 2047. Ce retour avait à voir avec des évènements récents arrivés ici, entre autres la prise de Londres par les terroristes. Ce fait avait durement marqué Damian, chagriné de savoir que sa ville natale, aussi malheureux y avait-il été, avait été détruite et mise à sac par ces saligauds de rebelles. C’était bien ainsi que l’évènement lui avait été décrit, et Damian n’avait en aucun cas remis en cause cette terrible histoire. Comment pouvait-on ainsi s’en prendre à une capitale pleine de gens innocents ? Quels monstres étaient-ils, ceux qui profanaient l’ordre établi, ceux qui causaient du souci aux sorciers honnêtes, et à sa chère famille ? Damian comptait bien, désormais de retour au pays, prouver encore une fois s’il en fallait, son attachement à la cause Zabini, donc aux Mangemorts, en se rendant utile.