Domaine Salamander, au fin fond des Cornouailles ~ 6 juin 2030

« Ça va aller, Cha', ça va aller ... C'est rien ... C'est bientôt fini ... » Chamaël est blotti tout contre elle. Il tente de retenir les larmes en serrant les yeux très fort. Elle ne peut pas le voir dans la pénombre mais elle le sait. Parce qu'elle connaît son petit frère par cœur, tout comme son aîné, lequel a passé un bras protecteur autour des épaules de Bev. Lui non plus ne pleure pas. Il les enveloppe de sa chaleur rassurante, sans dire un mot. Ils forment un trio entrelacé, assis entre les chaussures, les manteaux et les parapluies. Qui attend. Prie en silence - certainement, un vieux Mage mort près d'un millénaire plutôt - que les cris qui résonnent de l'autre côté de la porte fermée à clef cessent et qu'enfin, on les libère. « Arrête Lilith ! Par toutes les catins de Viviane, reviens à la raison ! » Titus a haussé le ton. Pourtant, d'habitude, avec sa femme, il est toujours égal. Il n'y a que face aux dragons que le Salamander s'enflamme. Sauf que là, elle est allée trop loin. « Tu ne comprends rien ! C'est pour les protéger, Titus ! Là-dedans, il ne pourra pas les trouver ! » « Bordel à queue d'éruptif, mais de qui tu parles ?! » « Il les cherche ! Il veut les marquer eux aussi ! Il ne les aura pas ... Non, non ... Moi vivante, jamais. » La voix est si proche que Bev comprend qu'elle s'est agenouillée devant le placard où elle les a enfermés, que ses murmures leur sont destinés à eux seuls, ses trois précieux petits. Si proches en âge, si près en tout, la fratrie qu'elle n'aurait jamais pensé si nombreuse.

Elle est en pleine crise de folie. C'est la première fois qu'elle se met dans un tel état. Lilith a toujours été ... Particulière. Après tout, elle est une Rosier, qu'importe ce qu'indique l'état civil, son mariage n'y a rien changé. Sauf que jusqu'ici, elle s'est toujours contrôlée. Ses assauts, elle les endiguait entre les expériences du laboratoire de Sevastian Dolohov. A la maison, quand elle est là, elle est normale.

Ses ongles crissent contre le battant. Un frisson parcoure l'échine de la petite fille. Bev a six ans, Lux un de plus et Chamaël, un de moins. Et ils ont peur de leur mère. « Lâche-moi ! Titus ! Non ! » Leur père a dû profiter de sa perte d'élan pour la maîtriser. Un éclair de lumière jaunâtre et tout à coup, les hurlements de Lilith cessent. Des bruits de pas, de corps que l'on soulève. Puis, le silence. Terrible. Si long. Plusieurs minutes d'éternité plus tard, la porte s'ouvre sur le visage chiffonné, à contre-jour, de leur père. « C'est moi. Venez. Tout va bien. » Lux sort bien sûr le premier. Mais sa sœur remarque que ses jambes tremblent légèrement quand il se relève. D'ailleurs, elle a besoin de la main secourable de leur père pour se redresser à son tour. Chamaël refuse de quitter son giron bien qu'ils soit déjà plus grand qu'elle. « Elle ... Elle est où ... Mam ... Maman ? » demande Beverly dans un geignement enfantin. Elle déteste pleurnicher mais ne peut pas s'en empêcher. Les traits de Titus se radoucissent. Ce ne sont que des gamins. Des gosses qui ont eu la trouille de leur vie. Les siens. « Je l'ai ramené dans sa chambre. Elle doit se reposer. Ça va. Je te jure que ça va, mon petit Hébride. Tu me crois ? » Quand il l'appelle comme ça, elle le croit. Toujours. Son père ne ment pas, il n'est pas très doué pour ça. Elle acquiesce, se rapproche de Lux. « Moïra ! Un chocolat chaud et pleins de chamallows ! » La bonne, restée en retrait, apparaît aussitôt et ouvre grand les bras pour accueillir la fratrie. Cette fois, Bev est la première à s'y précipiter.

On ne reparlera jamais de cet épisode de démence. Années faisant et ses propres troubles se dévoilant, la cadette des Salamander comprendra que sa mère aura, en quelque sorte, décompensé. Une seule fois. Même les bourreaux peuvent souffrir des conséquences de leurs propres actes : en participant si énergiquement à l'avènement du projet Filet du Diable, Lilith Rosier-Salamander avait bien failli s'y abîmer. Et à sa fille de se jurer de ne jamais en arriver à de telles extrémités.

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Domaine Salamander, Cornouailles, 1er septembre 2045

La jolie brune a les lèvres parcourues de tics nerveux. Son front est plissé par une inquiétude grandissante. Même ses mains se triturent. Beverly l'observe, le dos enfoncé dans le canapé, sa tête dodelinant légèrement contre le dossier. Contrairement à Serena, elle semble le calme incarné. « Je suis sûre que tu te fais du mouron pour rien ! » Sa meilleure amie redresse brusquement la tête. « C'est plutôt toi qui ne t'en fais pas assez, Bev ! Une heure ! La magie a été coupée durant une heure ! Est-ce que tu te rends compte ? » Son interlocutrice hausse les épaules. Certes, la Gazette en a parlé. Elle a aussi vu quelque chose à ce sujet à la TVM mais elle a rapidement désenchanté le miroir. Les médias exagèrent, ont sûrement déformé la réalité. « Bev, ma tante vit à Tinworth ... » Le cœur de la jeune femme s'accélère. Ça, c'est une nouvelle donnée qu'elle ne peut ignorer. Car elle vient de Serena. Alors oui, sa compagne n'est qu'une basique de rang trois, toutefois, elle est aussi sa meilleure amie depuis leur première année à Poudlard. Si Bev a bien appris quelque chose durant les années passées au Château, c'est que sa camarade était d'une loyauté implacable. D'une honnêteté indigente. « Qu'est-ce qu'elle a vu ? » demande-t-elle alors, soudain intéressée, au point d'en délaisser Sheitan, le chat de Lux, ronronnant sur ses genoux. « Demande-moi plutôt ce qu'elle n'a pas vu. Les baguettes n'étaient plus que des morceaux de bois inertes, les runes se sont effacées les unes après les autres. Et ce silence, Bev, si tu savais comme le silence a été pesant d'après elle ... » Les deux jeunes femmes frissonnèrent. Le Ministère assurait qu'il planchait déjà sur cette sombre affaire, qu'il saurait très bientôt d'où provenait cette « panne ». Un incident mineur et isolé, ils en étaient certains. « C'est le début de quelque chose. » La blonde fronça légèrement les sourcils. Des notes lui parvenaient, dissonantes, lourdes, mal accordées. Bien sûr, ce n'était que qu'un effet de son esprit, cependant, elle aurait juré que quelqu'un s'essayait à l'écriture d'une symphonie aux airs de fin du monde. De celui dans lequel elle avait grandi, en tout cas. Avant qu'elle ait pu répliquer, la porte d'entrée claqua et elle reconnut le bruit des talons de sa mère frappant le parquet. Le domestique traversa le couloir afin de délester Lilith de son manteau mais cette dernière ne lui en laissa pas le temps. L'ignorant royalement, elle fit apparition dans le salon où se trouvait sa fille et son amie. « Serena ! Ne se fait-il pas un peu tard ? » Bev fit la moue mais la concernée ne releva pas. Elle offrit plutôt un grand sourire à la chercheuse. « Si, vous avez raison, Mrs Salamander. Je dois rentrer. On se revoit très vite, Bev. » Cette dernière se leva pour enlacer la brune et la remercier de sa visite. Elle attendit qu'elle fut sortie et se tourna vers sa mère. « Tu pourrais être un peu plus aimable avec elle ! » « Hum ? Ah. Oui. Un jour. » Enfin, Beverly remarqua l'air quelque peu égaré et les pupilles flamboyantes de Lilith. « Qu'y a-t-il ? » Ramenée à la réalité qu'elle avait quitté par la voix de sa fille, Lilith reposa son attention sur elle. « Nous partons pour Avalon demain, tes frères, toi et moi. » « Mais ils sont à la chasse, tu le sais bien. » Lilith balaya ses paroles d'un revers de la main. « Ah ? Et bien, je vais de ce pas envoyer un hibou pour qu'ils reviennent. » Plus la conversation s'égrainait, plus l'inquiétude montait chez Beverly. Et sa mère ne faisait rien pour l'apaiser, à fixer tantôt le vide de la pièce, tantôt celui de son esprit. « Maman ? Qu'est-ce qui se passe bor... » « Belzébuth, surveille ton langage. Nous partons, voilà tout. Nous serons de retour le lendemain, à temps pour ta répétition, ne t'en fais pas. Calliope a déjà préparé les chambres. Va faire tes affaires. » Dans ces moments-là, il était inutile de discuter. Elle prit Sheitan dans ses bras avant de se redresser, puis de prendre le chemin de l'escalier. Toutefois, elle s'arrêta en chemin, pivotant vers Lilith, laquelle, toujours en manteau de fourrure, n'avait pas bougé. « Ça a un rapport avec Tinworth ? » « Oui. » fut la sobre réponse qu'elle obtint. Implacable. A l'image de Lilith. Beverly lui fut gré de sa franchise. Elle n'en attendait pas moins. « Ton manteau, maman. » « Ah oui ! Merci ! Simon ? » Le domestique apparut au moment où la jeune fille quittait le selon.

Le lendemain, Beverly Salamander se voyait apposée la Marque des Ténèbres et intégrait le cercle des Mangemorts renaissant. Serena avait raison : quelque chose se préparait. Quant au récital, il ne faisait qu'augmenter en octaves, sortait tambours et trombones rugissant. Au pas de charge.

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Grand Opéra de Viviane, Avalon, 20 avril 2047

Tantôt lents, tantôt rapides, les va-et-viens horizontaux de la baguette suivent le rythme imposé par la musique. Instrument calé entre ses jambes, la tête blonde elle aussi balance, emportée par les notes qui filent et défilent. Aucun chignon austère pour retenir les mèches virevoltantes, aucune bonne morale pour entraver l'art des sons qui se dégagent en ondes colorées autour d'elle. Arc-en-ciel de saveurs théâtrales et mystiques ravissant public et musiciens. Non, rien ne semble pouvoir stopper l'orchestre, lequel sent plus qu'il ne voit l'apothéose de sa représentation approcher. Une flute chante le signal qu'ils connaissent et attendent, les cordes en cheveux de sirène frémissent et ... Les portes de l'Opéra s'ouvrent à la volée sur la silhouette du gérant. « Ils ont pris Londres ! » Le chef d'orchestre a suspendu sa baguette dans les airs. Les effluves polychromes cessent afin de laisser place à des murmures atterrés. « Qui ? » ose enfin interroger une femme sans nom ni visage. « Les terroristes ! Ils ont Londres ! » Le chuchotement se fait brouhaha. On se lève de son siège, prêt à quitter l'amphithéâtre afin de retrouver ce monde qui part en lambeaux.

Seulement, avant qu'une jambe ait pu passer un battant, une nouvelle note s'élève. Puissante et rageuse. Suivi d'autres, toutes aussi rebelles, dévastatrices. De celles qui refusent de ployer. « Beverly ! Qu'est-ce que tu fais ?! » s'inquiète la contrebassiste à ses côtés. Enfin, la Salamander relève le nez, les joues rougies par l'effort. Tant de ses gestes que de son expression se dégage une détermination indescriptible. « Je n'abandonne pas. Et toi ? » s'essouffle-t-elle tout en laissant son talon lui dicter le tempo que cet attentat leur a pris. En face d'elle, Hector, le chef d'orchestre, la dévisage avec fureur. Elle joue plus vite. Plus fort. La flute, encore une fois. Puis, le violon. Le piano. Ses collègues se fédèrent autour d'elle et de l'assemblée qui s'est tue, comme pour se rengorger de cette symphonie guerrière. Hector enrage, ne peut que suivre le mouvement.

Les rebelles ont peut-être gagné une bataille, mais concernant Beverly « Belzébuth » Salamander, elle n'est pas prête à rendre sa précieuse arme. Un jour, elle sera à la place de ce vieux croulant. Bientôt, c'est devant elle qu'ils s'agenouilleront.