Les derniers jours avaient été éprouvants : entre le retour à la maison de toutes ses sœurs, les changements au sein des mangemorts et l’enterrement de son grand-oncle Amleth, Cassandra s’était retrouvée obligée de prendre quelques jours de congé pour garder l’esprit clair. Et puis, il y avait Nilhem aussi… Quand elle avait proposé à son meilleur ami de venir habiter chez elle le temps que sa situation ne s’éclaircisse, elle avait pris la responsabilité de s’assurer qu’il aille bien, et laisser le Kark seul avec ses idées noires toute la journée pendant qu’elle allait s’amuser au Département des Mystères lui semblait être une décision particulièrement irresponsable, bien qu’elle aurait grandement apprécié le temps passé loin de cette maison – bon sang, ce que sa famille lui tapait sur le système –.


Ses seuls moments de solitude, elle les trouvait le soir, enfermée dans sa chambre ; enfin, de presque solitude, puisque Damian n’était jamais très loin, mais il ne comptait plus vraiment tant le moldu était devenu une part d’elle, comme un familier avec lequel la jeune sorcière partageait tout. C’est dans l’un de ces moments de solitude que Cassandra se trouvait à l’instant, vêtue d’un simple débardeur noir moulant en soie d’acromentule et d’une culotte en satin noir, elle tentait de trouver ce qui clochait dans l’immense télescope en laiton qui trônait au milieu de sa spacieuse chambre. Assise en tailleur à même le parquet, baguette en main, elle faisait lentement défiler dans les airs chaque minuscule pièce de l’appareil devant ses yeux, les inspectant chacune minutieusement à la recherche du problème. Autour d’elle étaient éparpillées diverses revues scientifiques, rapports et comptes-rendus sur ses recherches, notes gribouillées à la va-vite et cartes du ciel ; malgré son apparence toujours impeccablement soignée, et la minutie quasi-obsessionnelle avec laquelle son dressing était toujours rangé, Cassie avait toujours été terriblement bordélique lorsqu’il s’agissait de ses recherches. Elle aimait prétendre que son esprit était beaucoup trop rapide pour tout ranger de façon efficace mais la vérité était plutôt qu’elle arrivait beaucoup plus facilement à faire des connexions logiques dans le désordre, lorsque les éléments étaient amovibles.


Ses yeux s’écarquillent. D’un coup de baguette elle fait s’approcher la lentille qu’elle observait de son visage et ce qu’elle y voit la remplit de bile : une trace de doigt, et du gras. « Gouda... » elle susurre d’un air vénéneux. Quand cette grosse truie s’était-elle introduite dans sa chambre ? Et surtout pourquoi elle avait touché à son télescope, par toutes les catins de Viviane ?! Ça ne se mangeait pas ! Ou bien est-ce qu’elle voulait vérifier si la lune était vraiment faite de fromage ? En tout cas elle allait devoir tout reconfigurer de peur que ses calculs ne se retrouvent faussés dans l’avenir, ignorant ce que sa sœur avait bidouillé et ce qu’elle avait laissé tel quel. Furieuse, Cassandra enfouit son visage sous une montagne de magazines et grogna de frustration en s’allongeant par terre, quand des coups incertains à la porte se firent entendre. « Damian ? » La sang-pur souleva les magazines et jeta un coup d’oeil en direction du lit du moldu, qui semblait dormir à poings fermés. La mignonitude de la scène fit un petit peu descendre son niveau d’agacement, ce qui la poussa à laisser son adorable moldu dormir et à ouvrir la porte elle-même, telle une va-nu-pied. Malgré l’heure avancée, Cassandra n’était pas fatiguée, et c’est sans la moindre délicatesse ou retenue qu’elle ouvrit la porte de sa chambre pour révéler « Nilhem..? Tu ne dors pas encore ? » Question rhétorique, évidemment, Nilhem n’avait jamais eu tendance à faire des crises de somnambulisme, c’était plutôt le genre de Chamaël, ça. « Ça va ? Tu… veux rentrer ? » s’enquit-elle en se déplaçant légèrement pour lui laisser la place de passer.

Ça faisait plusieurs jours qu’il était comme ça : robotique, froid, presque absent. Si Cassandra le trouvait différent après son retour d’Italie, comme une autre version du Nilhem qui avait toujours fait partie de sa vie, la personne qu’elle avait devant elle à présent était tout simplement un parfait inconnu. Elle était inquiète, terriblement inquiète même, mais elle gardait cette inquiétude pour elle-même, l’enfouissait sous une montagne de détermination et de courage illusoire. Elle ne voulait pas rajouter ses propres états d’âme au fardeau que le Kark portait déjà sur ses épaules. « Un souci ? – Gouda. » elle répond avec un geste désinvolte de la main, comme si ce seul nom était une explication valable au bordel qui encombrait les deux tiers de sa chambre.


Il semblait errer dans la pièce, comme s’il ne savait même pas ce qu’il faisait ici. Cassandra l’observait, tentant de faire preuve de patience, se triturant nerveusement les mains pour s’empêcher de le cogner et de le forcer à se mettre à parler. « De la délicatesse, morue. Sois douce. » Des indications plus faciles à dire qu’à faire pour le bulldozer qu’est la jeune sorcière. Mais, après quelques instants, la patience de la Zabini se voit récompensée, et Nilhem finit enfin par accoucher. « Cass’ … j’ai besoin de toi. »


… Ah.


« J’ai besoin de toi. » Il répète. « Je ne m’en sortirai pas tout seul. Alors ne pars pas. S’il-te-plaît. »


Elle devrait être heureuse, non ? Se sentir flattée. Non ? Après tout, c’est tout ce qu’elle a toujours voulu : être importante, qu’on ai besoin d’elle, compter pour quelqu’un. Et pourtant, tout ce qu’elle ressent c’est le poids de cette responsabilité que, en son for intérieur, elle rêve de pouvoir fuir. Ça et de la honte ; une honte étouffante, écrasante, qui l’oppresse, qui la prend aux tripes. C’est juste lamentable, absolument lamentable, que Nilhem ait besoin de dire ça à voix haute ; de lui demander, la supplier même, de ne pas s’enfuir, mais nécessaire également, parce qu’elle assez horrible pour avoir considéré de le faire, encore une fois. Elle ne peut pas prétendre qu’il est stupide et qu’il n’a pas besoin de lui demander d’être présente, elle lui a déjà prouvé par le passé qu’elle n’était pas fiable, qu’elle n’était pas une bonne amie. Elle a peur aussi, peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être la personne qui sera capable de l’aider. Peur d’avoir raison de douter d’elle-même. Mais malgré tout ça, elle ressent tout de même une certaine détermination. Parce qu’elle veut être à la hauteur, parce qu’elle veut l’aider. Parce que malgré son égocentrisme à l’épreuve de tout et son coeur fermé à pratiquement tous les êtres vivants de la planète Terre, elle aime Nilhem, vraiment, et elle veut lui rendre une partie de tout ce qu’il lui a donné au fil des ans.


« Je sais. » Elle s’approche de son ami et se force à sourire faiblement, ça empêche les larmes de couler. Elle a trop pleuré ces derniers temps, ça l’agace. Elle se sent faible. « Ne t’inquiète pas, tu peux compter sur moi. Je vais m’occuper de tout. » Elle l’attrape par le menton et dépose un baiser sur son front, puis se sent complexée par cet acte de tendresse qu’elle n’a pas l’habitude de montrer. Un ange passe, elle est mal à l’aise. « Tu veux m’aider avec ce télescope ? Ça ira plus vite à deux. » Ce genre d’activité serait probablement bien plus normal pour eux. Elle se rassoit en tailleur au milieu de son foutoir et reprend son inspection des minuscules pièces cuivrées qui composent son précieux télescope et les nettoie toutes avec minutie à coups de baguette magique. « Le médicomage s’est réveillé, je sais pas s’ils te l’ont dit. » elle l’informe, sur le ton de la conversation.  « Il ne va pas porter plainte. » De toute façon, même s’il le voulait, il ne pourrait pas. Son sang était trop bas pour oser espérer poursuivre un sang-pur en justice sans qu’il n’y ait eu mort d’homme. Et puis, elle était sûre que sa famille avait été généreusement indemnisée en privé par les Kark, afin d’éviter de la mauvaise publicité. On pouvait dire ce qu’on voulait sur la pression qui pesait sur les épaules de la haute société sorcière, être né impur semblait tout de même infiniment moins enviable.