Tu ouvres les yeux sur un plafond vide de toute vie.

L’endroit inspire une froideur militaire. C’est là qu’on t’étend après les tests. C’est pour ça que tu possèdes ta chambre à toi, si tu peux appeler ça une chambre. Question d’isoler le sujet, le laisser loin de l’agitation du reste du bunker. Te laisser avec tes blessures si certaines ont déposé leur baiser sur toi.

Tu te lèves. Tu fais ton lit avec une précision millimétrée. Pas un rebord qui dépasse. Par la suite, tu te mets à genoux au sol et tu commences ta prière du matin. « Notre Père, qui es aux cieux… » Tu hésites un instant alors que t’entend un fracas sourd en-dehors de ta chambre. Tu te recentres. « … que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel… » La noirceur de tes pupilles imagine un monde de flammes, enfin capable de respirer… après la purge… et tu continues à prier à voix-basse. « Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du Mal. Amen. » Tu te relèves. Tu jettes un dernier coup d’œil à un fusil et une baguette qui dépassent de sous ton oreiller, puis au drapeau de l’Union Flag qui consiste en ta seule décoration. Sur le côté de ton matelas roupille une Bible.

Tu te sens d’attaque pour affronter la journée.

***

Tu as mangé. Tu t’es lavée. Tu t’es habillée sans relâchement aucun. Ta vie au bunker est bien rangée. La discipline y occupe une place importante. Aucun élément ne doit être négligé. Sans parler du risque d’insalubrité. Il faut éviter que la misère s’installe et montrer l’exemple aux troupes, pour le moral.

Tu marches de couloir en couloir au bunker. Tu regardes de gauche à droite. Tout le monde vague à ses occupations. Tu vagueras bientôt aux tiennes. Tu ouvres une porte qui mène vers la salle d’entraînement… celle que Stanley apprécie particulièrement, pour cause il forme. Il sculpte le corps et l’esprit des Inquisiteurs. Tu respectes ça, d’autant plus que malgré ses défauts, il suit la voie de Dieu. Par ailleurs, tu le vois, seul, en train de préparer… un truc. Il est vrai que le groupe d’entraînement n’est pas pour maintenant. Or, tu viens pour ta session spéciale. Un cours avancé. Et qui sait, tu montreras un truc ou deux ensuite aux autres. Transmission de savoir. « Bonjour, Stan. » Un sourire se dessine sur son visage. « J’ai déjà fait mes étirements musculaires. Ça nous sauvera du temps. » Bonne élève. « Je suis prête à commencer. »

Ça arrivera de nouveau… sans doute, oui. Et savoir comment s’en sortir, ça t’aidera beaucoup. Si Dieu refusait que tu puisses te défendre, il n’aurait pas envoyé Stanley pour que tu puisses survivre à d’autres agressions. Tu acquiesces. Tu repenses aux gens qui ont voulu t’assassiner. Leur en veux-tu ? Non, pas vraiment. Ils se sont laissés séduire par le pêché mais tu crois qu’ils trouveront la lumière et la rédemption. Puis, tu sais à quel point la barbarie sorcière a fait souffrir les humains… parfois, ça devient trop. Le vase déborde. Il voit alors une responsable en toi, même si tu te bats avec eux… tu suis la voie de la rédemption.

Bref, tu aimerais bien apprendre à réagir vite. Il faut vivre pour perpétuer le dessein du Seigneur.

Stanley s’élance dans son attaque, son énorme poing dirigé vers toi. L’avertissement et la vitesse te donnent le temps nécessaire pour réagir proprement. Tu t’écartes – là où aurait pu s’abattre le coup, c’est-à-dire ton ventre – et tu dévies le tout grâce à ton bras gauche. Sans grande force requise, avec fermeté. Au moins, tu as ce réflexe. Tu t’écartes de ton professeur. Par chance, comme Summers n’est pas ton vrai opposant, il aurait pu insister avec sa grande force. Sur ce point, il te domine, il s’agit d’une évidence. Même si tu t’entraînes, tu restes si maigre. Qui sait, peut-être que les expériences tendent à faire ça, te prendre ton énergie vitale… « Je crois que, la prochaine fois, ils attaqueront par derrière. » Le combat honorable existe dans les fantaisies. Ici-bas, la sournoiserie peut pallier beaucoup de difficultés : pourquoi s’en priver ? « Et sans préavis, malheureusement. », avoue-t-elle dans une demande vicieuse. Elle, appréciée qu’on lui foute des baffes par surprise ? Ça l’amuse, à l’occasion… et puisque ç’a une portée éducative, pourquoi s’en priver.

C’est sûr que l’attaque surprise possède cet avantage connu que bien orchestrée, elle empêche quiconque d’en ressortir… Tu acquiesces lorsqu’il te parle de rein, de côtes… cette conversation tourne à la description macabre mais puisqu’il s’agit d’éducation. Puis, tu te permets de te lancer sur ton propre scénario : « Ou au cou. Ça tue rapidement, poignarder le cou. », mentionnes-tu d’une ingénuité feinte. Il ne manquerait que ton rôle au-dessus de la tête pour que tu ressembles à un petit ange. Ah ça pour être un ange, tu en demeures loin. Pas par faute de foi, mais d’autres choses, tenu que le bon Dieu est bon.

Tu te dis que t’entraîner jusqu’à que tu saignes constitue une très mauvaise idée. « Si je suis en mauvais état, ce sera plus difficile pour les recherches. On évitera ça. », dis-tu, franche dans tes préoccupations. Eh oui, si tu meurs ou sors de là trop blessée, qui d’autre pourra endurer toutes ces expériences ? Tu dois rester en forme, un minimum, pour que le laboratoire expérimental de la Nouvelle Inquisition construise les meilleures armes de purification. C’est ton devoir, un point c’est tout.

Tu laisses Stanley mener la danse, en bon instructeur qu’il incarne. Tu l’écoutes lorsqu’il livre ses explications et en prend bonne note. Tu comprends en particulier le concept du coup de coude dans le bide. Qu’y peux-tu, c’est pareil qu’avec la description morbide : ton âme tourne autour de ça comme la Terre autour du soleil.

Tu acceptes l’exercice, malgré son grand sourire. Ses grands doigts entourent ton petit cou. Il pourrait te tuer ici. Même s’il ne serre pas, il pourrait resserrer ses griffes et en finir avec toi. Tu sais qu’il pourrait le faire à une autre sorcière… tu sais que certains Inquisiteurs profiteraient de l’occasion.

Et il ne fait rien. Tu poursuis l’exercice. Recule. L’nez dans le coude. Tu places ton coude près de son bide. Rien de bien sorcier, surtout que le tout se fait à vitesse réduite. Une fois la démonstration faite, tu te libères de son emprise. « C’est clair que ça m’aidera, ça et, si Dieu le veut, Sa Protection. » Tu souris à ton tour. « T’es sûr que tu veuilles que je contre-attaque ? Je ne vais pas t’envoyer à l’infirmerie mais je me sentirais mal si je devenais trop efficace. » Qui sait, si tu frappes au bon endroit…