once upon a time
« Mais il marche encore ce truc ?
Bah ouais, tu vois pas c’est allumé là? Ah merde, j’avais pas vu. Ouais, heu, franchement j’ai aucune idée de comment commencer cet enregistrement, donc on va faire au feeling j’crois. Je vais pas passer par quatre chemin, dans une semaine pile c’est ton anniv’ Brian, et comme tu sais que je t’aime presque autant que tu me les brises, je me suis dis qu’avec ta passion pour les vieux trucs de hippies, j’allais t’offrir autre chose qu’un pack de bières. Ouais, j’ai retenu le message, t’en as marre de mon manque d’originalité. Mais t’as vu, je fais des efforts. J’ai retrouvé ce magneto dans les affaires de Chicot, j’espère qu’il m’en voudra pas. Hé, tu te rends compte ? Ce truc marche encore aux piles. Ouais, je te vois sourire là, en écoutant mes conneries. J’espère que t’es fier de moi, j’ai même pas cédé à la tentation de t’écrire une chanson. Ce serait tellement cliché que tu m’aurais viré du squat. Quoi que, tu m’aimes trop pour ça. Ici c’est le remake de Plus belle la vie, version punks destroy shootés à la bière de Super U. Ouais, tu sais, là où Ed passe ses journées à amadouer les petites vielles avec son clébard. Tu te rends compte, hier encore il est rentré avec un sac de provision. Les gens le prennent trop en pitié.
Mais assez parlé de lui, c’est ton anniversaire, et Iris et moi voulions te le souhaiter proprement. T’as intérêt à aimer parce qu’on s’est vraiment cassé le cul à le réparer.
Même si t’aimes pas, tu te forces à sourire, fais comme si t’étais content. Fais-le pour notre ego … Et pour pas te faire larguer. Ce serait vraiment bête. N’écoute pas cette sorcière, elle ment comme elle respire.
Tu sais que j’ai raison, Brian. J’ai toujours raison. Comme la fois où vous aviez voulu faire ce concert dans l’autre bar moisi et que je vous avais assuré que c’était une mauvaise idée. Personne ne m’a écouté et y’a eu une descente de keufs. Qui c’est qui a réussi à négocier avec eux pour pas finir en garde à vue ? Moi. Prions sainte Iris pour nous sauver la peau du cul à chaque fois qu’on prend les mauvaises décisions.
Bref, voilà, avec tout notre amour et – désolé – quand même de la bière parce que c’est la symbolique et qu’on n’oublie jamais la symbolique. On t’aime … Je t’aime. Bon anniversaire. Fête bien tes dix-neuf balais et n’ou...
Hé les gars, y’a de l’électricité en bas ? Mes amplis ils marchent plus. J’sais pas, Iris tu peux aller allumer la lumière pour voir ?
Ok … Nan, que dalle. Peut-être qu’ils se sont rendus compte qu’on squa… Attendez, mon portable déconne. Qu’est-ce que … Merde, le mien aussi ! C’est quoi ces conneries, il fonctionnait super bien il y a dix minutes !
Il y a un truc qui tourne pas rond, Tony. Éteins le magnéto, ça sert à rien qu’on enregistre ça. Ouais, t’as raison. »
« 9 mai 2030. On pensait qu'avec quelques jours, l'électricité serait revenue et ça se serait calmé mais c’est le chaos. Le vrai. Ed et Brian sont revenus de la supérette du coin. En passant par le centre ville pour revenir au squat, ils sont tombés sur des affrontements violents. Des soldats étaient partout, y’en a qui tiraient, mais les deux autres ont pas réussi à voir sur quoi. Les bâtiment importants était en feu, selon Ed. Sur le coup, on les a pas cru, on pensait qu’ils se foutaient de nous. Mais j’étais bien forcé de croire Brian. Il peut pas me mentir sur un truc aussi énorme, en me regardant droit dans les yeux. Il pouvait pas me mentir à moi. Iris a décidé qu’on pouvait pas rester là. C’était trop dangereux. Qu’on allait être confrontés aux forces de l’ordre si ils nous trouvaient. Alors dès qu’on s’est tous mis d’accord, on a prit le strict minimum et on s’est cassé en vitesse. Hors de question de passer par le centre, qu’Ed n’arrêtait pas de répéter, comme si on avait pas entendu. Il serrait la laisse de son clébard vraiment fort. Je crois qu’il flippait à fond. Je crois qu’on était pas les seuls à avoir eu la même idée : y’avait des embouteillages sur la route à la sortie de la ville. La banlieue a laissé place à d’autres villes, plus petites. On a marché longtemps avant d’atteindre la campagne. On crèche dans la ferme de l’oncle de Chicot pour la nuit. J’arrive pas à pioncer. J’arrête pas de penser à ce qui va se passer. A ce qu’on va devenir. »
« 10 mai 2030. Je … Je sais même plus quoi dire. On a été obligé de repartir. Le village a été attaqué par des bestioles tout droit sortis de l’Enfer. Et ... Brian. Il est mort. Bouffé par – merde, je sais même pas ce que c’était. Un loup-garou ? C’est ce à quoi cette saloperie ressemblait le plus. J’ai l’impression de tourner complètement barjo, j’arrive plus à penser correctement. J’ai rien pu faire, j’étais trop loin de lui. Le truc est apparu de nulle part et lui a sauté dessus. Brian n’a même pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Je sais pas comment j’ai réussi à m’enfuir, semer l’autre saloperie trop occupée à bouffer Brian pour poursuivre le reste. Sans doute qu’il m’a trouvé trop insignifiant. P’t’être qu’il s’est dit que la nature s’occuperait de moi, s’il le faisait pas lui-même. Je vois pas d’issue à cette folie. J’aurai du mourir avec Brian. Être avec lui jusque dans la fin, comme toutes ces histoires mélodramatiques à la noix où les couples meurent sur une musique triste, main dans la main. Comme des cons, des cons heureux, ensembles jusqu’à la fin. Nan, au lieu de ça je suis paumé dans la cambrousse, avec Iris, Chicot et Ed. On passera pas la nuit. C’est peut-être mieux comme ça. »
« 11 mai 2030. J’ai jamais été aussi déçu de me réveiller. Quand je pense à mes parents et leur foi à la con. ‘‘Jéhovah nous donne toujours un but. Lorsque quelqu’un meurt trop tôt, c’est que notre seigneur devait le rappeler.’’ J’ai toujours pensé que c’était conneries, mais aujourd’hui encore plus. S’il existe, Dieu est un connard sadique qui n’a aucune empathie. Brian ne méritait pas de mourir. Et je suis sûre que la cousine de 10 ans de Chicot qui s’est faite aussi tuer ne méritait pas son sort. C’est n’importe quoi. Et puis ils sortent d’où tous ces trucs ? Je veux dire … On les aurait remarqué depuis un moment, s’ils existaient. Quelqu’un l’aurait forcément remarqué, en aurait parlé. Y’a bien des gens qui devaient être au courant, des événements qui pouvait laisser présager notre nouveau futur très no futur. Ah ... Maintenant que je me souviens, y’avait eu ce truc, là, à propos d’Assapor. Ils en avaient parlé dans mon collège, mais comme on n’avait pas la télé à la maison, j’en avais jamais su plus. Peut-être qu’on aurait du se méfier dès le début. Maintenant c’est trop tard. On va tous crever. »
« 25 mai 2030. Peut-être que ce dictaphone me permet d’extérioriser ce que je veux pas dire aux autres. J’y arrive pas. C’est trop compliqué, la communication. Je me contente de rester en vie. Et en parlant de ça, on est passé par un village ce matin, pour faire le plein de ravitaillements. Y’avait quasiment personne dans les rues. Et puis quand on est entré dans une épicerie, on les a vu. Les gens malades. Y’avait une vieille, j’aurai juré qu’elle avait choppé la peste. C’était atroce à voir. Les monstres n’étaient pas venus faire leur boulot ici : la maladie s’occupait très bien des survivants. On est pas restés. On a rien prit. Iris savait qu’on allait être infectés si on s’approchait trop près. On nage en plein cauchemar. Pourquoi ça arrive, tout ça ? Ed n’arrête pas de répéter que c’est les sorciers. Il fait une fixette là dessus. Peut-être qu’il a tourné complètement cinglé. Peut-être que c’est le plus lucide d’entre nous. Je suis plus sûr de rien désormais. »
« 1 juin 2030. Ed a choppé la peste. C’était prévisible : il a toujours eu une santé pourrie. Déjà qu’il allait pas très bien, quand il a commencé à virer super pâle et que les espèces de cloques dégeu lui ont poussé sur le corps, on a sut qu’il allait pas s’en sortir. J’ai pas tout compris, je suis un peu à l’ouest depuis le début, mais Ed nous l’a caché et quand on l’a découvert, il a hurlé qu’il voulait pas crever. Qu’il voulait pas qu’on l’abandonne. Chicot a sorti un flingue, celui qu’on a trouvé en pillant un commissariat abandonné la semaine dernière. Je lui avait confié parce qu’il avait déjà fait du tir avec son père et qu’il était le plus à même de nous défendre. Mais cette arme, il s’en est servi pour tirer sur Ed. En pleine tête. Il l’a abattu comme un chien. Iris a hurlé, elle s’est jeté sur Chicot et l’a frappé de toutes ses forces. Elle pleurait beaucoup. Je crois qu’elle aimait Ed, comme j’aime … j’aimais Brian. J’ai du les séparer, pour pas qu’ils s’entre-tuent. J’arrivais même pas à être en colère contre Chicot. Peut-être parce que je suis à côté de mes pompes, ou peut-être parce qu’il a eu raison. Ed nous avait peut-être contaminé, et il aurait continué avec nous si on n’avait pas découvert la maladie. Il aurait pas voulu qu’on le laisse. Mais de là à le tuer ? Je sais pas. Je sais plus. »
« 15 décembre 2030. On se les gèle. Iris ne nous parle toujours pas. Elle fait toujours la tronche, elle parle pas, elle nous regarde même pas. Chicot a eu très vite des remords. Il arrête pas de s’excuser, mais elle ne lui répond pas. J’crois que je la comprend. Si ça avait été Brian à la place d’Ed, j’aurai tué Chicot de mes propres mains. Je suis mal placé pour juger. C’est juste que j’ai plus grand-chose d’autre auquel penser. Toutes ces histoires de magie … Je pense que c’est des conneries. Chicot pense que c’est peut-être des mutations scientifiques, qu’on est attaqués par un autre pays. Il a peut-être raison. Ou alors c’est des extraterrestres. Aha, dans tous les cas c’est le gros bordel. Toutes les fois où j’avais rêvé d’anarchisme, de chaos, je me disais que ce serait géant, mais à cette échelle, je me sens surtout tout petit. Comme un mioche qui sait pas comment le monde fonctionne. Le clébard d’Ed continue de nous suivre de loin. Je lui laisse des restes quand on part, pour pas qu’il crève de faim. Ce con doit se demander où est passé son pote. Mais Ed reviendra pas. Même s’il nous suit jusqu’au bout du monde. »
« 6 février 2031. Hier on avait croisé un gars qui avait fuit les grandes villes plus au sud. Il disait que des gens étranges regroupaient les survivants. Pour faire quoi, on a jamais su, il a pas vu grand-chose puisqu’il s’est enfuit. J’aurai p’t’être préféré en savoir plus mais ce con a l’air aussi paumé qu’on ne l’était. Et ça nous faisait une belle jambe, à pas avoir plus d’infos. Le gars est reparti de son côté. Et ce matin, on s’est fait attaquer. C’était un gars tout seul, avec un bout de bois à la main. Il avait l’air bien habillé, et bien nourri. Pas comme les clodos qu’on étaient devenus avec les deux autres. Il nous a regardé bizarrement, comme si il nous avait analysé. Puis il a prononcé un truc que j’ai pas compris et un jet de lumière a fait voler Iris contre un arbre. Tout est allé très vite après, parce que j’avais l’impression de vivre dans une autre réalité. J’arrivais plus à réagir, et je savais que j’étais le prochain. Le mec a levé son bout de bois vers moi et au même moment Chicot lui a tiré dessus. Il a touché la tête. L’autre est mort sur le coup. Après j’sais pas. Je me souviens vaguement être allé vérifié si Iris allait bien. Elle respirait plus. Elle est morte. »
« 7 février 2031. Chicot s’est foutu en l’air. Il s’est tiré une balle dans la tête. Le bruit m’a réveillé. Quel con … Je me retrouve complètement seul. Ils savaient pourtant bien qu’il faut pas me laisser seul avec moi même. J’arrive pas à me supporter. »
« 15 avril 2031. Rien a déclarer. J’ai trouvé une cabane en hauteur, dans la forêt. Je vais crécher là, de toute façon y’aura personne pour me trouver. »
« 26 juin 2031. J’avais pas vérifié ce qui restait comme munition dans le flingue. Cinq balles. Si je croise encore des types avec des bâtons, j’ai intérêt à les voir en premier et à pas me louper. Ou faire comme Chicot. J’hésite. »
« 1 août 2031. Les piles fonctionnaient plus, donc je suis allé faire un tour dans le village le plus proche pour en trouver. Tout le monde était mort, probablement la peste. J’ai remonté mon bandana pour pas trop respirer l’air, mais vu la chaleur et le peu de fringues que je portais, ça servait clairement à rien. J’ai vu encore une de ces bestioles à la con, au loin. Elle m’a pas vu, et je me suis pas attardé. J’ai plus trop envie de crever maintenant. »
« 9 septembre 2031. Y’a plus rien de comestible à bouffer au village, et j’arrive plus à trouver de fruits sauvages. Je vais partir plus au sud. »
« 27 novembre 2031. Je suis descendu près de Caen. Y’a strictement rien à part des champs morts à perte de vue. Je sais pas si c’était une bonne idée. Y’a plus de crétin pour me raisonner un peu. Je commence à me parler à moi même, ça me tient occupé. »
« 2 décembre 2031. J’ai trouvé une maison abandonnée. Y’avait une bestiole qui ressemblait à un ornithorynque quand je suis arrivé. Elle était en train de chourrer des bijoux dans le salon, mais elle s’est cassée directe dès qu’elle m’a vue. Encore un de ces trucs extraterrestres je suppose. Il était pas agressif, c’est un début. »
« 1 avril 2033. Bon anniversaire Tony. J’avais complètement oublié l’existence de ce dictaphone mais il vient de tomber de mon sac à l’instant. C’est l’univers qui me rappelle mes souvenirs, ahaha. Ah. C’est pas drôle putain. »
« 2 avril 2033. Au fait, je suis actuellement dans l’est de la France, je me fais passablement chier à essayer de survivre, alors je bouge pour découvrir des nouveaux trucs. Je pensais trouver, je sais pas, des gens normaux, des survivants … Y’avait bien des villages habités, mais c’était pas par des gens comme moi. Y’en a qui volent, sur des balais je crois. Pouvaient pas avoir l’air plus cons. Je me marre, mais j’ai eu peur de me faire repérer. Maintenant je me déplace à couvert. On sait jamais. Peut-être bien que c’est des sorciers après tout. »
« 3 janvier 2034. J’ai trouvé des survivants. Je crois que j’ai dépassé la frontière, ils parlent tous allemand et je pige que dalle. Au début j’ai cru que c’était ces connards magiques, mais quand j’ai sorti mon flingue ils m’ont menacé avec des arcs. On a pas besoin d’arme quand on fait des trucs surnaturels. C’est comme ça que j’ai su qu’ils étaient clean. Je vais rester avec eux. Sont emmerdants parce que je comprends que dalle à ce qu’il baragouinent, mais ils ont l’air gentils. Parler à quelqu’un d’autre que moi même, ça m’avait manqué. »
« 27 juillet 2039. Fait une chaleur à crever. Je viens de mettre la main sur des piles, maintenant que je me retrouve à nouveau seul comme un con. On était huit au début. Le dialogue était compliqué. On communiquait surtout par gestes. Je les ai suivis, puisque je n’avais aucune attache nulle part. On est allé jusque dans les coins les plus reculés de l’Europe. Je crois qu’on était en Russie pendant un temps, dans une région inhabitée. En voyageant, j’ai eu le temps d’apprendre leur langue, de sympathiser. Y’avait Maria et Cathrin, avec leurs gamins, Franz et Emil. C’était avec elles que je parlais le plus. Elles savaient faire tout un tas de trucs, comme fabriquer des arcs et des flèches, chasser, faire du feu sans allumettes ou briquet, et réparer des trucs. Josef était médecin. Pas un très bon parce qu’il était encore étudiant quand l’apocalypse nous est tombé sur la gueule, mais utile quand même. Il ne m’aimait pas et je le lui rendait bien. Le gars n’avait pas compris que désormais, nous étions tous dans la même galère. C’est lui qui est mort en premier. Monsieur s’était écarté du groupe et il s’est fait tuer par un ours. Y’avait Karolina, elle était Tchécoslovaque, et son petit frère Gabriel. Ils ne parlaient pas beaucoup, ils étaient même plus jeunes que moi. Je pense qu’ils avaient du voir des trucs vraiment durs, parce qu’ils avaient jamais l’air détendus. Ils rigolaient pas. Karolina est morte l’année qui a suivit la fin de Josef. Elle était montée en haut d’une falaise pour faire du repérage. La pauvre fille a glissé en voulant redescendre, et a fini sa chute dans le ravin. Son frère est parti peu de temps après à cause d’une infection au pied qui a terminé sur une gangrène terrible. Je crois qu’il s’était ouvert volontairement. Pour qu’on l’achève. Avec la petite famille, on est retourné en France où on a vécu sur les routes jusqu’à hier matin. Je m’étais absenté pour chercher du bois. J’avais mon sac au cas où j’aurai besoin de quelque chose de coupant ou d’une boite quelconque. Je suis parti un quart d’heure et quand je suis revenu, le campement était vide. Y’avait leurs sacs, le début du feu, mais personne. Au fond je savais ce qu’il s’était passé, mais j’étais dans le déni. Je voulais pas y croire, peut-être. Je les ai cherché, j’ai sifflé notre signal au cas où l’un de nous se perdrait. Mais rien. Ils avaient sans doute été rafflés par les sorciers. »
« 30 octobre 2039. C’est bientôt Halloween. Peut-être que je devrais me déguiser en zombie pour la blague. »
« 9 mai 2042. Ça fait trois ans. Pas moyen de mettre la main sur des foutues piles avant ce matin. C’est l’apocalypse, plus personne n’a besoin de pile et pourtant c’est la pénurie dans toute la région, à croire que les stocks ont été épuisés en même temps que la populace à déserté. C’est pas comme si les sorciers en avait vraiment besoin en plus. La Normandie ... C’est devenu un no-man’s land. Y’a pas un chat dehors. Là où ma famille vivait, c’est devenu un village fantôme, laissé à l’abandon après la prise de pouvoir des siphonés de la magie. Pas de trace de mes parents ou de mes sœurs. Doivent tous être morts à l’heure qu’il est. J’espère que ces connards se sont faits bouffés. Comme Brian.
En général je m’approche pas trop des villes, mais j’avais plus rien à grailler et mon clebs commençait sérieusement à me regarder comme un steak géant. Ah ouais, j’ai trouvé un chien aussi. Il compense l’absence des autres guignols qui ont tous clamsé depuis le début de la fin. Je l’ai appelé Sid. Le chien. Comme Sid Vicious. ‘L’a la même tête de con, c’est marrant. Il lui manque une oreille et je crois que c’est un bauceron – ça j’en suis pas certain, et au pire c’est pas comme si quelqu’un en avait quelque chose à faire. Trois ans sans bavasser à propos de ma vie à travers un magnétophone, ça me laissait pas beaucoup de choix de conversation. Je parle à Sid, des fois j’espère qu’il me réponde, mais ce couillon me regarde avec la langue qui pend sur le côté. Je voudrais bien être un clébard des fois, être innocent, pas savoir quand j’ai l’air débile. P’t’être même que les autres magiciens magiques, là, ils me foutraient la paix. Ce serait sympa. »
« 21 juin 2042. J’ai rencontré un de ces sorciers. Pas un de ceux qui veulent anéantir les gens comme moi. Un autre. C’est Sid qui l’a remarqué en premier : ce débile s’est mit à grogner, on s’est vite fait repérer. Le gars avait un de leur bout de bois bizarre à la main et il l’a levé aussitôt vers moi dès qu’il nous a vu. J’ai pas été con, j’ai tiré aussi mon flingue, ça l’a calmé un peu. Il m’a appelé moldu et comme il a vu que je comprenais pas ce que ça voulait dire, il m’a expliqué que c’était comme ça qu’on appelait les gens qui n’étaient pas sorciers. Ils se compliquent la vie, je vous jure. Comme si on avait pas eu assez avec le racisme. Mais ce qui importe surtout, c’est ce qu’il m’a appris. Tout ce que je ne savais pas. Et ça faisait beaucoup. Ces gars étaient là depuis le début, à se cacher comme des rats puis un mec est arrivé et il a prit le pouvoir parce qu’il était pas content du système déjà existant. Et évidemment, ça a fini par retomber sur les moldus. Tous les gens qui ont disparus, la peste, les bestioles … C’est à cause des sorciers. Mais bizarrement je leur en veux pas autant que je ne l’aurai pensé. Peut-être parce que le type qui m’a expliqué ça avait pas l’air de spécialement me mépriser. Il disait qu’il était pas d’accord avec toute cette merde. Qu’il était parti. Je sais même plus depuis combien de temps j’erre. Je lui ai souhaité bonne chance pour ses problèmes à lui. ‘M’a proposé de faire un bout de chemin avec lui, peut importe où ça nous mènerait. J’ai pas refusé. Avoir une véritable discussion, ça m’avait manqué. »
« 1 avril 2043. Je viens de faire le calcul, j’ai pris 32 ans. J’ai l’impression d’en avoir 50. Le temps passe trop longtemps quand toutes les journées se ressemblent. Ma seule occupation est de changer de cachette régulièrement et de pas crever de faim. La musique me manque, bordel ... »
« 19 mars 2044. Puisque nos chemins ne se sont toujours pas séparés, Andromède me propose de partir en Angleterre. Parait qu’il connaît quelqu’un qui peut nous faire passer. C’est clair qu’ici y’a plus grand-chose à voir : on tourne en rond comme des débiles en essayant de survivre, à défaut de vivre. C’est limite si je suis pas coincé dans un rêve bizarre qui n’en finit pas. Est-ce que les crétins du squat auraient approuvé que je devienne ami avec un de ceux qui nous font vivre cet enfer ? Est-ce que Brian m’en voudrait ? J’espère qu’il m’en veut pas. »
« 8 juin 2044. J’ai refais mon stock de piles : il a fallu que j’explique à Andromède ce que c’était et à quoi ça servait. Avant je me serais dis qu’il était vraiment con de pas savoir un truc aussi simple, mais quand je vois à quel point j’y connais rien sur la culture sorcière, j’me dis que je devrais parfois fermer ma grande gueule au lieu de déblatérer des conneries. Des fois je me dis qu’à tout moment il va me vendre à ses potes, que je vais disparaître comme Maria, Cathrin et leurs gosses. Mais ça n’est pas encore arrivé. Toute cette putain d’histoire me rend parano. Vivement que les choses reviennent à la normale. »
« 21 août 2044. On y est. En Angleterre. J’y croyais moyen quand Andromède m’avait parlé d’un contact qui pouvait nous faire voyager de l’autre côté de la Manche, mais il l’a vraiment fait. Je sais pas combien il a payé pour nous faire passer, avec mon clebs, il a rien voulu me dire, mais j’estime que ça a du lui coûter un bras. Si je peux, un jour, je le rembourserai. C’est une promesse. »
« 25 décembre 2044. Joyeux noël. Je me retrouve à nouveau seul avec Sid. Andromède va bien, ‘fin je crois, on a juste décidé qu’il était temps de partir chacun de notre côté. Il avait des trucs à faire et ça impliquait d’aller dans des villes de sorciers. Non merci, je choisi encore la vie. »
« 6 février 2045. J’ai refais l’inventaire. Il me reste que deux piles. Bientôt la fin de ce dictaphone, j’imagine. C’est trop compliqué de récupérer quoi que ce soit dans ce pays, je connais pas les points stratégiques comme en France. Quelle idée à la con d’être venu ici. »
« 29 juillet 2046. J’avais rangé le dictaphone pour économiser le restant d’énergie qu’il lui restait – bon après tout il me reste encore deux piles mais ces trucs-là s’épuisent trop vite. ‘Fin bref, tout ça pour apporter les dernières nouvelles : j’ai retrouvé Andromède. Le hasard fait bien les choses et l'Angleterre est sans doute plus petite que ce que je croyais. Tout ça pour dire que monsieur s'est installé à l'aise dans une ville caché au milieu de la forêt. Il appelle ça Vivecime. Il m'a proposé de les rejoindre et j'étais pas mécontent parce que ça commençait à me les briser de dormir au milieu des cloportes et des araignées. Leur ville assez cool, on se croirait dans un foutu film fantastique. Y’a des sorciers et des moldus comme moi qui vivent là, à l’abri des nazis magiques. Andromède se terrait là depuis un moment, ‘l’était content de me voir apparemment. C’est devenu un « phénix ». Putain, je sais même pas ce que c’est. »
« 3 janvier 2047. Tout le monde parle de « Voldemort », de Morbi-machin-chose, genre comme si c’était la nouvelle du siècle. Comme j’y comprends toujours rien, je regarde les autres s’agiter comme des gosses. Je devrais être content de retrouver la civilisation, mais y’a comme un truc qui bloque. Comme un mur entre eux et moi. Même Andromède commence à ma saouler, à me répéter sans cesse que je devrais essayer de m’intégrer. Il veut que je rejoigne ses potes les piafs. Je veux juste qu’on me foute la paix. »
« 4 janvier 2047. J’ai fini par accepter. C’est pas comme si j’avais quelque chose à perde de toute manière. La vraie question est : est-ce qu’il faut présenter un cv pour devenir terroriste ? Une lettre de motivation peut-être ? »
« 1 avril 2047. Le temps passe trop vite et j’ai déjà 36 ans. Peut-être que demain je vais me réveiller et je serai sans doute mort. Comme cadeau, et pas des moindres, la résistance prévoit de reprendre Londres. J’ai épuisé la dernière pile pour l’occasion. Il me reste plus beaucoup de temps pour raconter ma vie à ce petit bout de ferraille.
Mais pourquoi tu demandes pas autours de toi si y’a quelqu’un qui a des piles?, me dira-t-on. Peut-être que j’ai plus envie. Peut-être que j’en ai marre. Je suis sûr que je réécoutais tout depuis le début, je ferais le constat pathétique de ma vie. J’en ai pas franchement envie. J’ai survécu, c’est déjà ça. »
« 20 avril 2047. On a reprit Londres, mais à quel prix? Beaucoup de blessés, quelques morts. Andromède fait parti du lot qui ne fêtera jamais la libération de Londres. Cette victoire a un goût amère. C’est un peu comme la mort de Brian, sauf que c’est différent. D’abord parce qu’Andromède était un ami, rien de plus. Et puis parce qu’on m’a fait voir le corps, pour que je confirme qu’il s’agissait bien de lui. J’arrive pas à me défaire de cette image. Peut-être que j’avais pas envie de le voir. Peut-être que ça me rappelle les autres, quand ils sont morts chacun leur tour. Je sais même pas si j’ai envie de rester à Londres, vivre là où est morte une personne de plus que j’appréciais vraiment. J’imagine que je vais retourner vagabonder dans la nature avec Sid, les laisser dans leur ville à la con. Ou peut-être que je vais rester, j’en sais rien. Là tout de suite, j’ai besoin d’alcool. Beaucoup d’alcool. Puis faut que je balance ce dictaphone. En finir avec le passé, ce genre de conneries … Si seulement ça pouvait me faire oublier en même temps. Ce serait vraiment sympa. Y’a probablement un sort pour ça, cela dit. Faudra que je demande à quelqu’un tiens. Ouais … Je parle, je parle, mais faut une fin à tout ça, n’est-ce pas ? Bah voilà.
Adieu. »