Une main tendue

10 octobre 2047, à Avalon.

Cassandra Zabini avait toujours été une connasse, mais elle se soignait.


De toute sa vie, rares avaient été les membres de la gent féminine à s’attirer sa sympathie, et encore plus rares étaient celles qui ne portaient pas le même nom de famille qu’elle. Elle ne savait pas vraiment pourquoi, mais il lui était extrêmement difficile de bien s’entendre avec d’autres filles. Peut-être était-ce parce qu’elle les traitait toutes comme des compétitrices, ou parce qu’elle s’était toujours amusée à les rabaisser pour son simple amusement ou bien peut-être, plus simplement, étaient-elles toutes jalouses d’elle. Oui, ça devait être ça : elles étaient jalouses. Après tout, elles avaient de quoi. Mais voila, malgré tout, la compagnie féminine était une expérience dont elle était curieuse et, après les événements de Poudlard, Cassie commençait à se rendre compte des bienfaits de la camaraderie, en particulier lorsqu’ils étaient mis en opposition avec l’animosité à laquelle elle était tant habituée. Peut-être Scylla Kark avait-elle vrillé à cause de l’histoire entre Cassandra et Saïmen lors de sa fête d’anniversaire ? Ça aurait été compréhensible : se faire voler un bien aussi précieux par une femme à la beauté aussi intouchable devait provoquer un tel sentiment d’impuissance chez une faible d’esprit qu’il pourrait expliquer une perte de raison aussi drastique. Et si la Zabini n’avait pas été une aussi grosse morue juste pour le plaisir d’être une morue, peut-être Selden serait-il en sécurité à l’instant présent. Il était impossible de réécrire l’histoire, mais ces suppositions lui semblaient cohérentes, et réalistes. Après tout, tout était toujours à propos d’elle, n’est-ce pas ?


Toujours était-il que Cassandra avait décidé de changer sa façon de faire, peut-être pas avec toutes les bouffonnes du pays mais au moins avec celles qui ne lui avaient jamais donné de raisons d’être méchante, et encore plus avec celles qui lui avaient même montré de la gentillesse – celles-ci pouvaient se compter sur les doigts d’une seule main –. C’était pour cette raison qu’en cette froide journée d’Octobre elle avait invité une jeune femme au manoir Zabini, sans la moindre arrière-pensée, simplement pour boire un thé et sociabiliser. Nilhem, qui résidait dans une chambre d’ami du manoir depuis qu’il avait quitté la résidence de sa cousine, passait quelques jours chez les Lagides pour voir sa famille, c’était donc l’occasion parfaite pour recevoir Beverly Salamander et lui tendre une main amicale.


En tant que grande sœur de l’un des plus proches amis de Cassandra, Beverly – ou Bevzépute, comme l’appelait affectueusement Chamaël – avait toujours fait partie de son univers, sans qu’elle ne se penche vraiment sur son sujet. Il n’y avait pas de raison particulière à cela, les deux jeunes sorcières n’avaient jamais véritablement connecté, mais la gentillesse que lui avait montrée la Salamander lors du fiasco de Poudlard avait inspiré Cassie à faire preuve de bonté à son tour, pour le première fois de sa vie.


Vers 15h, la blonde arriva à la résidence Zabini et, après avoir été reçue à la porte par Salahdsézar, l’elfe de maison, fut accompagnée jusqu’au jardin, ou Cassandra l’attendait. Si le temps était morose à Avalon, le soleil brillait toujours dans le jardin de Naïma Zabini, et c’est donc au milieu d’une magnifique roseraie ensoleillée, habillée d’une courte robe en dentelle blanche à la jupe bouffante et d’un petit chapeau parfaitement aristocratique que la langue-de-plomb, assise à une petite table de verre garnie de biscuits en tous genre, accueillit son invitée avec un grand sourire sincère. « Beverly ! Merci d’avoir accepté mon invitation ! Assieds-toi, je t’en prie ! Salahdsézar, pourrais-tu apporter le thé, s’il te plaît ? – Très certainement, maîtresse. » affirma d’un air digne le petit elfe affublé d’une taie d’oreiller designer taillée sur mesure, en s’inclinant si bas que son nez chatouillait le gazon. En général, elle laissait ce genre de tâches à son moldu Damian, qui adorait se rendre utile, mais il faisait présentement quelques courses pour elle à Avalon – une sombre histoire de paire de chaussures achetées en soldes à son insu, sordide vraiment – aussi c’était à l’elfe qu’incombait le prestige de servir le thé à leur invitée et il était difficile d’imaginer qu’il soit autre chose qu’extatique face à cette perspective.


Alors que la petite créature décampait avec grâce et importance, Cassandra replaça son attention sur la Salamander. « Comment vas-tu ? Tu t’es bien rétablie depuis cette foutue soirée à Poudlard ? J’ai peu de souvenirs de ce qui s’est passé vers la fin mais tu avais l’air assez mal en point... »

Cassandra faisait de son mieux pour être polie et regarder Beverly dans les yeux quand elle parlait mais son regard finissait toujours par se reposer sur l’espèce d’armoire à glace qui accompagnait la blonde. Il lui rappelait son Tadhg, mais en moins mignon, avec ses gros muscles et son air désagréable. Peut-être pourrait-on le rendre plus pipou avec un makeover ? Elle n’avait pas vraiment de vêtements à sa taille de disponibles sous la main – Damian était plus grand et beaucoup plus svelte – mais ça n’était pas un obstacle insurmontable avec du fil, une aiguille et une baguette magique. A méditer… La conversation se déplaça vers un sujet qu’elle appréciait, à savoir elle-même, et Cassandra sortit de son esprit pour se concentrer sur son invitée. « Ouiiii… Obligée ! Le premier truc que j’ai fait le lendemain c’était prendre un rendez-vous chez Ludmila Kark pour qu’elle m’arrange tout ça, c’était pas possible cette frange dégueulasse ! Et Amy, tu sais, hein. Tu lui verses assez de bouffe dans sa gueule béante et elle oublie tous ses soucis, y a pas besoin de s’inquiéter pour elle. » elle affirme en riant de façon mesquine. Elle aimait sa sœur, vraiment, mais c’était une cible tellement facile, il était impensable de passer plus d’une heure sans envoyer une pique dans sa direction, qu’elle soit présente ou pas ; et Gouda savait très bien comment les renvoyer, il n’y avait pas de soucis à se faire de ce côté là, sa bouche était autant habituée à parler qu’à manger.


« En tout cas, pour une première mission avec les mangemorts, tu t’en es très bien sortie, crois-moi. Tu m’aurais vue moi, la première fois, par le nez de Voldy mais cette catastrophe, t’as pas idée. Déjà j’avais perdu une oreille : celle-ci, regarde. Mais c’était juste une blessure par arme moldue donc tout a bien repoussé depuis, heureusement, sinon je serai plus jamais sortie de chez moi. Et j’avais juste passé toute la soirée à gueuler sur les terroristes, pleurer comme merde et manquer de tous nous faire tuer parce que je m’énervais tellement que je réfléchissais même plus au danger. Et au bout d’un moment j’étais tellement hors de moi que je leur ai juste balancé mes chaussures dessus, je sais même plus pourquoi. Je les ai jamais retrouvées en plus, et c’était des pièces uniques. Tragique, vraiment. Ah, Salahdsézar arrive avec le thé ! » Le petit elfe de maison s’approcha de la table en verre et fer forgé avec une véritable armada de théières, tasses, sous-tasses, sucriers et divers ustensiles derrière lui, flottant dans les airs avec une cadence quasi-militaire, comme tant de petits soldats marchant au pas. « Thé noir du Sri Lanka avec pétales de fleur d’arbre-monde et copeaux d’or comestible. » il annonce avec importance en servant Beverly en premier tandis que Cassandra laisse échapper un « Ouuuuhhh... » admiratif. Il avait sorti le gros matos pour impressionner leur invitée apparemment, ce qui était compréhensible. Il fallait avouer qu’il était assez rare que ce pauvre Salahdsézar ait l’occasion d’en mettre plein la vue à qui que ce soit, tant les visites de personnes autres que la famille étaient rares au manoir Zabini. « Oh, Salahdsézar, pendant que j’y pense. Damian n’est pas là mais on pourrait peut-être trouver quelque chose pour occuper le moldu de Miss Salamander, non ? On a du coloriage ? Ah, c’est un sang-de-bourbe..? Eh beh je sais pas trop dans ce cas, il peut peut-être courir après les papillons dans le jardin ? Ça lui fera de l’exercice. Deux sucres pour moi s’il-te-pl… – Ah ! Enfin ! Des gens ! – Grand-mère ? Mais qu’est-ce que vous faites là ? » Dans toute sa splendeur, Ellaria Zabini apparaît dans le jardin. Vêtue d’une robe blanche moulante épousant toutes ses formes à la perfection, elle les rejoint dans la roseraie, l’air agacée. « Je perds mon temps, voila ce que je fais. Ça doit bien faire dix minutes que je erre dans ce manoir désert à la recherche de ta mère avec qui je devais aller faire un saut en Italie cet après-midi. – Maman ? Non, elle est en Grèce toute la journée. Ils shootent la couverture de Décembre de son magazine. » La matriarche pose ses mains sur ses hanche, clairement furieuse. « Et évidemment, elle annule mais ne me prévient même pas ? Typique de ta mère, ça. Elle a eu sa poussée de croissance dans les jambes, mais dans la tête on attend toujours. » Elle soupire et semble enfin remarquer la présence de Beverly et la farandole de desserts qui décore la table. « Qu’est-ce que c’est que tout ça ? Qu’est-ce qui se passe ? Qui est-ce ? – Grand-mère, je vous présente Beverly Salamander, je l’ai invitée à prendre le thé. Beverly, voici mon arrière grand-mère, Ellaria Zabini. – Le thé ? Comme c’est charmant... » Un ange passe, et la vénérable Ellaria lance un regard poussé à son arrière petite-fille, comme si elle attendait qu’on lui propose de rester. Cassie soupire et accède à sa requête silencieuse. « Grand-mère, voudriez-vous vous joindre à nous ? – Oh par Merlin, non ! Je ne voudrais pas vous imposer ma présence ! » se défend-elle alors qu’une nouvelle chaise apparaît magiquement et qu’elle prend sa place à côté de Cassandra.


« Salamander, hein ? » elle répète en tendant sa tasse vide à l’elfe de maison pour qu’il la remplisse. « Je connais bien ta famille pourtant, j’ai même failli épouser un Salamander il y a 20 ans de ça, Podrick. Comment se fait-il que je ne te connaisse pas ? Ça ira, Salahdsézar, merci. Merci. J’ai dit stop ! – Beverly est la sœur de mon ami Chamaël, vous le connaissez, non ? - Chamaël, Chamaël… Le blond ? Avec les yeux ? - C’est ça ! - Bien sûr ! Chamaël ! Je l’aime beaucoup, il est amusant ! Tu devrais sortir avec lui, Cassandra, plutôt que cet empoté de Kark qui dort avec toi. Ils ont tous un grain dans cette famille, tu le sais très bien. - Je ne sors pas avec Nilhem, grand-mère, on est juste amis. - Oui, eh bien j’ai entendu dire qu’il venait te rendre visite dans ta chambre pendant la nuit, parfois. » La jeune langue-de-plomb lance un regard amusé en direction de l’elfe de maison un peu trop bavard qui cache présentement son visage rouge de culpabilité derrière la théière. « Il traverse une période difficile, j’essaye juste de le réconforter. - Oh pitié, Cassandra, on sait tous comment tu réconfortes les garçons. » Elle éclate de rire et répète : « On est juste amis. Parfois on dort ensemble mais il ne se passe jamais rien. - Si tu le dis, ma chérie, si tu le dis… Toujours est-il, Beverly, que je ne te connais pas. Je suppose que tu n’es pas vraiment du genre sociable si tu ne viens jamais aux soirées mondaines. Et je ne vois pas de bague à ton doigt, tu n’es pas fiancée ? » Cassie roule des yeux en souriant légèrement, il devient de plus en plus évident pour elle qu’Ellaria cherche uniquement à se divertir cet après-midi après avoir été honteusement lâchée au dernier moment par Naïma. Et, comble de la malchance, c’est  sur elle et Beverly qu’incombe la responsabilité de veiller à l’amusement de l’illustre veuve noire. Elle-même est devenue immunisée contre le venin d’Ellaria depuis le temps, mais elle n’est pas sûre que la blonde ne possède les mêmes anticorps. A voir.