Il retourne sur les lieux de son méfait. Son second prénom n’est pas là pour rien ; encore moins avec un passé de Gryffondor derrière soi. Tranquille pas tranquille, Hélios demeure quelque part ce seigneur qui exige, une tornade de force sculptée.

De l’orchestre d’Avalon, il n’exigeait qu’une seule chose.

Le Kark sait qu’elle viendra. Il connaît la salle symphonique par cœur, ainsi que leurs programmes, leurs employés et pas mal de membres de l’orchestre (dont quelques-unes toujours entêtées à vouloir prendre son nom de famille, ou le temps d’une nuit en sa compagnie). Il sait donc que son plan a fonctionné, qu’une certaine dragonne est revenue de Prague.

Par ailleurs, il se cache dans l’ombre pareil à un espion. L’orchestre joue une symphonie. C’est la répétition. Ton bon goût constate la grande (et usuelle) qualité de l’orchestre. Or, ta nouvelle oreille musicale détecte une plus-value… un nectar auditif qui vient ajouter un brin d’excellence à la partition.

Beverly.

Il y a deux manières d’écouter la Salamander : par ses mots ou son violoncelle. Hélios demeure patient : il commence par la musique, puis la voix, sans parler de son élégante silhouette… Oui, le duelliste est en manque de Bev’, c’est plus fort que lui. Il attend.

***

Pause d’une trentaine de minutes. Hélios conserve cette ombre qui le rend presque invisible. Il faut remercier Varian pour lui avoir montré tout l’art du camouflage… et autres choses dont il préfère garder que d’amères souvenirs. Dès qu’il aperçoit une crinière blonde se séparer de l’ensemble des musiciens, il n’hésite pas une seule seconde à s’activer. Il finit par la rejoindre alors qu’elle prend un couloir de transition du bâtiment.

Hélios apparaît, au coin d’une intersection d’allées. Le sourire malin de mise se dessine sur son visage. « Et pas rouillée du tout en plus de ça… », raille-t-il avec tendresse. « Pardon, j’écoutais durant ta répétition… Je ne suis pas déçu du voyage. Tiens, peux-tu maintenant te moquer en tchèque ? » Attitude moqueuse puis ensuite : « Tu m’as manqué. »

Réintégrer l'orchestre d'Avalon. Non perdue dans l'assemblée de musiciens, mais bien à leur tête. Parce qu'il en est ainsi et que, disons-le, elle l'a entièrement mérité. Elle sait que ce statut de chef d'orchestre, même par intérim, fait grincer quelques mâchoires - généralement mures et masculines. Toutefois, le son de cet émail molesté ne saurait troubler l'intense satisfaction que la Salamander ressent lorsqu'elle s'installe derrière le pupitre, baguette s'élevant afin de signifier le début de la symphonie. N'en déplaise, elle est à sa place. Elle a travaillé dur pour montrer à ses pairs qu'une femme, qu'importe son âge, est autant capable qu'un homme.

Pourtant, ce soir, c'est derrière son violoncelle qu'on la retrouve durant la répétition. La directrice est dans la salle, observant le ballet de la troupe. Leur patronne à tous a fait venir un des leaders en la matière, directement de Barcelone. Aussi Beverly a-t-elle laissé, le temps de quelques heures en tout cas, Luis Ortega-Mendoza lui voler sa toute fraîche place. Si ça l'agace, elle n'en montre étonnamment rien, stoïque face à ce contretemps qu'elle sait éphémère. Rapidement, elle entend les dissonances, ses camarades peinant à suivre les instructions empruntées de leur meneur. Même Harriet à sa gauche, d'habitude prompte et vive, emmêle ses doigts sur sa clarinette. Et puis, elle se laisse emporter par ses propres accords et plus rien n'existe. Comme d'habitude.

« Señorita Salamander, n'est-ce pas ? » Le fort l'accent latin lui agresse le tympan, mais elle esquisse un sourire. S'il l'arrête ainsi sur scène, alors que la répétition est à peine interrompue, c'est qu'il a forcément quelque chose d'agréable à lui dire. « En effet. » Les yeux du chef d'orchestre brillent. « Vous êtes très douée. » « Je sais. » Soufflé par cette réplique d'un naturel désarmant, l'homme manque en perdre la suite. Se reprend après un raclement de gorge sonore. « Que ... Que pensez-vous de Barcelona ? » Ses joues se creusent davantage. Une offre ? Ça lui plaît. « Beaucoup de bien, monsieur. Mais plus encore d'Avalon. C'est chez moi, ici. Si vous voulez bien m'excuser ... » Oui, ça lui plaît. Cependant, moins que les traits quelque peu décomposés de ce cher Luis, lequel devait déjà être persuadé d'avoir ferrer du gros poisson dans ses filets. Qui oserait se refuser à une telle réputation ? Elle, bien sûr. Elle voit la directrice un peu plus loin froncer les sourcils avant qu'elle ne se détourne. Lui renvoie un clin d’œil. Vous m'avez voulu, maintenant, il faut faire avec.

Une pause, donc. Beverly remonte dans les coulisses, vers sa loge. La nouvelle. L'un des plus grandes. Dans son esprit, elle répète la symphonie suivante, encore grisée par sa sortie, et la prestation qui l'a précédée. Sourde au reste. A tel point qu'elle manque de sursauter quand une silhouette se met sur son chemin. Et quelle silhouette ! Pour le moins ... Inattendue. Ou un peu trop attendue, allez savoir. « Hélios ... » est tout ce qu'elle trouve à opposer à ses gentilles moqueries, entre souffle et sourire. C'est à son tour d'être déconcertée. Trois ans. Trois années de silence. Plus, si l'on considère qu'elle ne l'a pas approché depuis Poudlard. Pas de près, en tout cas. Elle n'en avait pas le droit. Ne savait pas non plus quelle était sa place, parmi tous les démons qui l'habitaient. Ceux-là même qui ne hantent plus son regard. Il paraît apaisé. Serein. Et maintenant, il est là, face à elle. Venu l'écouter. Il n'est pas bien rancunier. « Tu m'as manqué. » « C'est réciproque. » Aucune hésitation. La même simplicité dans la réponse. La semblable vérité. Elle a pensé à lui. Y songe encore, comme on se remémore avec une certaine douleur un amour passé, frustré. Enlaidi par les tragédies de la vie. Heureusement, l'objet de cette affection, lui, est toujours aussi agréable à regarder. « Un verre ? » Un pas. Vers le couloir. Ses quartiers. Où ils pourront discuter à l'abri des oreilles indiscrètes.

La réciprocité de Beverly agite de grandes espérances en Hélios. Il est vrai que le temps aurait pu les séparer – le rendre méconnaissable, sans doute. Ou bien la magie noire aurait pu finir de le défigurer et enfoncer le dernier clou sur le cercueil d’un amour avorté. Serait-ce pour cela qu’il a arrêté de la pratiquer ? Pour revoir un jour le sourire d’une femme avec qui il a partagé un flirt ? Qui sait.

À la proposition du verre, le Kark hésite l’espace de quelques secondes. Il se reprend, ajoute : « Deux verres ? », plaisante-t-il. S’il compte boire, il l’ignore. Pendant son voyage, il repensait à son père. Plus il plongeait dans ses souvenirs, plus il comprenait à quel point son paternel buvait… de quoi nourrir ses nombreuses questions venu le soleil couché.

Quand Beverly avance d’un pas vers une direction, il comprend tout de suite de quoi il s’agit. Ses quartiers (Hélios, maniaque de l’orchestre d’Avalon ? rien qu’un peu). Il l’accompagne. « Trois ans qu’on ne s’est pas vu et tu m’invites déjà sur ton territoire. C’est à se demander si tu ne me tends pas un piège… » Piège de la passion, piège des jeux ou des piques acides… toutes sortes de pièges.

Ils réussissent à atteindre la chambre particulière de Beverly sans que la moindre groupie du Kark attente à son cou. Il faut dire qu’avec le nouveau statut de la Salamander, laquelle oserait l’interrompre lors d’une si importante discussion avec M. Kark ? Cela étant, certains magazines affirment que la tragédie d’Hélios Kark rajoute à son sex appeal (déjà plutôt haut au baromètre, mais la question de l’héritage financier doit jouer dans la balance médiatique).

L’endroit a changé… Malgré le fait que l’administration de la salle symphonique a conservé la même pièce dédiée à la violoncelliste mais l’aurait rénové pour correspondre au nouveau prestige de Beverly. Néanmoins, Hélios se remémore sans mal les mots échangés à la bonne vieille époque, ainsi que les regards brûlant se réverbérant à travers des miroirs.

C’est de retour en ce cocon d’intimité que le duelliste délie sa langue. « C'était comment, à Prague ? Moi qui croyais que tu n'en reviendrais jamais… Qui aurait pensé que l’orchestre d’Avalon aurait dû faire face à un si terrible accident. » Des oreilles de renard lui en pousseraient. « J’ai été le premier scandalisé et le premier à m’en réjouir. » À quel point il peut laisser sa charmante suffisance déborder… Après trois ans, il l’ignore. Cela dit, il ne serait pas Gryffondor s’il ne tentait pas le diable. Ce con d’Hélios a réussi à changer tout en restant fidèle à lui-même… Quel exploit. « Du whisky pur feu ? » Pour Beverly, il peut bien se gâter. Puis, le whisky pur feu… cette boisson les a, à maintes reprises, accompagnée. Pourquoi pas ?

« Trois ans qu’on ne s’est pas vu et tu m’invites déjà sur ton territoire. C’est à se demander si tu ne me tends pas un piège… » Regard par-dessus l'épaule. Ombre d'un sourire. Qu'il se demande à quelle sauce il sera mangé. Après tout, il est venu la trouver de son plein gré. « On ne sait jamais ce que l'on va trouver dans le nid d'un dragon. A tes risques et périls. » Sur cette sentence aux relents prophétiques, elle le précède jusqu'à sa grande et luxueuse loge. Évidemment, aucun moldu ne les y attend, prêts à les servir. L'orchestre s'est défait de ce personnel esclave-là depuis l'annonce d'un certain prêtre en 2046. Décision pour le moins plaisante à la Salamander, laquelle n'a jamais vu ces « employés » d'un bon œil. Une vraie gageure, à Prague, que de leur faire comprendre pourquoi elle exigeait un elfe - ou à tout le moins, un sang-de-bourbe - pour l'assister. Les tchèques, si loin des affres du Royaume-Uni. Parlant de son ancienne nouvelle vie, le sujet ne tarde pas à être amené alors que la porte vient de se refermer derrière leur duo. « Pour tout te dire, je ne pensais pas non plus en revenir aussi vite. » réplique-t-elle, joues creusées, tout en prenant place sur le large canapé de velours bleu roi qu'elle a justement fait ramener de ses quartiers praguois. Sans gêne aucune, elle se déleste de ses escarpins, avant de ramener ses jambes sous elle. Parfaitement à l'aise pour une conversation, comme s'il s'agissait d'une vieille connaissance, d'un intime et non d'un ex-prétendant qu'elle a muré dans le silence des années durant. « Le deuxième. Je réclame la primeur de cette joyeuse nouvelle ! » s'exclame-t-elle, pas non plus embarrassée pour deux sous de se réjouir du malheur de quelqu'un d'autre. En l'occurrence, le chef d'orchestre alité depuis le terrible accident, ainsi que le qualifie très justement Hélios. Mais qu'y peut-elle, après tout ? Cette chute qui a laissé l'homme dans un coma dont on ignore encore s'il est réversible, elle n'en porte aucune responsabilité. Croit-elle. D'ailleurs, il ne lui vient pas à l'idée que son compagnon puisse y avoir sa part. Pour Beverly, le fait qu'il raille ce funeste destin autant qu'elle est simplement dû au fait qu'il sait à quel point elle rêvait de cette promotion. « Du whisky pur-feu ? » « Le meilleur, bien sûr. » D'un coup de baguette, elle ramène carafon et verres. Ces derniers ne tardent pas à se remplir d'eux-mêmes sur la table basse, avant de voler jusqu'à leurs doigts respectifs. « A quoi est-ce que l'on trinque, Monsieur Kark ? » Son sourire mutin revient à l'usage de ce surnom, petite blague entre eux qu'elle n'a pas oublié, elle non plus. « A la raison de ta présence ? Puisque j'attends encore que tu veuilles bien me la partager. J'ai entendu dire que tu avais développé une certaine passion pour les arts. Je suis donc le deuxième coup de ta pierre ? Une bonne compagnie pour de la bonne musique ? » Et au rythme des battements de son cœur ayant changé de tempo, s'accélérant face à l'attente de la réponse, on se demande ce qu'elle espère de lui.

Monsieur Kark. Cette simple appellation lui donne la pêche. Qui aurait crû qu’il aurait appris à rire de la déférence. Son père deviendrait fou s’il pouvait voir ça… si seulement. « À ta promotion, Bev’ ? », réplique-t-il d’une familiarité révoltante mais voulue. Quelle mondanité burlesque, entre ces deux-là.

Or, le sujet dérape ailleurs. Tout ce qu’elle dit est vrai mais il se perd dans les pupilles de la blonde. C’est ça, qui l’intéresse. Plus que tout. « Je dirais plutôt que c’est toi qui m’as invité dans le monde de l’art… et vois-tu, depuis, je n’en suis plus sorti. » Il parle en homme sincère. Bien des choses l’ont sauvées – ou empêchées de sombrer – et l’art en fait partie. C’est ce qu’il lui fallait : autre chose que la violence des combats, la compétitivité des duels, la pression d’héritier et une aisance presque malsaine, paradoxalement maladroite, avec la gent féminine. « Il n’empêche que je serais un menteur si je ne t’avouais pas que ta présence contribue toujours à mon appréciation de la musique. Je crois même que j’aime un peu trop ça… Peut-on m’en vouloir ? », finit-il par conclure d’une mine rusée. Il lève son verre. « À nos retrouvailles ? Ça doit bien valoir la peine qu’on se trempe les lèvres… » Dans tous les sens du terme, s’il sentait le besoin de mettre la chose encore plus en évidence. Il trinque et prend une gorgée. Boire du whisky pur-feu en la compagnie de Beverly Salamander… une habitude qui lui a manquée. Néanmoins, le goût amer du whisky lui rappelle une autre débauche. Elle lui donne mal au cœur. Au moins réussit-il à passer outre et prendre le coup comme autrefois : sans en démordre. « Alors, qu’as-tu à dire sur tout ce temps passé ? Attend, je sais, tu regrettais mon auguste présence du haut d’une tour au clair de lune, me tromperais-je ? », exagère-t-il d’une présomption artificielle. « Loin de moi l’idée de te bombarder de questions et de vampiriser ton temps… » Il s’agit de son objectif. « Mais j’ai encore du mal à poursuivre la trace des dragonnes lorsqu’elles prennent leur envol. C’est un travail en progression, si je puis dire… » Et il se rapproche, physiquement, mine de rien, ce Kark…