once upon a time
2031
«
Père ! »
L’épaisse moquette du salon étouffe le bruit de ses petits pas précipités. Aussi excitée qu’agitée, elle ne se soucie pas de sa destination ni de l’accueil que son père pourrait lui réserver. Elle sait juste qu’elle doit éviter le meuble sur la gauche, si elle ne veut pas se faire mal et, l’expérience au bout des pieds, elle l’évite comme une cheffe. Son père devrait être fier d’elle.
«
Père ! »
Appelle-t-elle encore une fois, de sa voix vibrante, pleine de hâte et d’envie, et perçante. C’est le silence qui l’accueille. Le regard froid de Fionn l’arrête net. Son sourire fond comme neige au soleil et la colère qu’elle lit dans la stature de son paternel fait naître une peur qu’elle avait, semble-t-il, oublié.
Péniblement, elle déglutit. L’idée de faire marche arrière et d’aller se cacher sous son lit ou dans les jupes de sa mère lui frôle l’esprit, mais elle n’a pas le temps de mettre ses pieds en marche. Son poignet, prisonnier de la poigne douloureuse de son père manque de se déloger tant la force qu’il utilise pour la traîner jusqu’au bureau est soudaine et violente. Ses petits pieds décollent de la moquette et ses yeux s’écarquillent sous le pic d’une douleur vive. Les larmes, du haut de ses cinq ans, elle ne peut les retenir. Elles coulent chaudes, tristes, surprises.
Sans un regard pour elle, sans un mot, sans une pensée, il l’abandonne dans l’obscurité effrayante d’un bureau aussi froid et inhospitalier qu’Azkaban. Les pleurs se font plus violents. Le désespoir, la détresse, la peur se mélangent à la peine et à la souffrance. Son nez se vide aussi vite que ses yeux et sa voix stridente s’écaille sous l’effort. Elle a mal. Peur. Et dans ses cris, elle essaie tant bien que mal d’appeler son père, sa mère, n’importe qui, pour qu’ils viennent la sortir de là.
Il n’y a personne. La réalisation la fait pleurer plus fort. Pourquoi ? La question tourne en boucle et elle se sent seule, si seule. Pourquoi ne l’aime-t-il pas ? Et pourquoi sa magie ne fait-elle rien ? Pas une boule de lumière pour l’éclairer. Pas un éclair pour ouvrir la porte ou les fenêtres. Rien. Rien que la solitude et les pics que son poignet lui envoie pour lui rappeler qu’elle a mal.
Petit à petit, le silence revient, entrecoupé par ses reniflements et ses tremblements. Il fait froid. Le petit coin qu’elle a trouvé à tâtons n’abrite pas de couverture et sa magie est absente. Depuis combien de temps est-elle là ? Elle hausse les épaules, comme si elle se répondait à elle-même. Elle ne sait pas. Combien de temps doit-elle encore y rester ? Elle ne le sait pas plus. Recroquevillée, elle essaie de se réchauffer avec la moquette, mais elle n’arrive qu’à s’irriter la peau. Et les larmes remontent. Où est sa mère ? Pourquoi ne vient-elle pas ? Elle s’endort, épuisée, un dernier appel à sa mère au bout des lèvres.
Elle a les yeux qui grattent, la vessie sur le point d’exploser et la faim qui dévore son ventre, lorsque la porte s’ouvre enfin. Le visage inquiet de sa mère apparaît dans l’encadrement, juste avant que son oncle n’ouvre un peu plus la porte pour le laisser passer.
«
Oh ma chérie. »
La tête dans le cou de sa mère, elle laisse les quelques larmes qu’il lui reste couler librement. Seule, elle ne l’est plus, croit-elle. Et la main de son oncle dans ses cheveux blonds vient la rassurer un peu plus. Tout ira bien maintenant, lui disent-ils, et elle acquiesce. Tout ira bien maintenant.
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1er septembre 2037
Lorsqu’elle était petite, sa mère lui racontait des histoires sur ses années passées à Poudlard. Il n’y avait que ça, pour la calmer lorsque son père lui faisait du mal. Il n’y avait que ça, pour l’aider à arrêter de pleurer. L’idée d’un monde qui l’attendait. L’idée d’une autonomie presque complète. L’idée d’être loin de lui et de ses commentaires et de ses mauvais gestes.
Lorsqu’elle était petite, sa mère aimait parler de son premier soir. Sur le lac, les yeux ébahis devant un château illuminé de mille feux et une excitation non dissimulée qui se communiquait de barque en barque. Et les murmures grandissant, à mesure qu’ils se rapprochaient de l’entrée, jusqu’à une cacophonie assourdissante, remplie des noms de maisons, des attentes extraordinaires et d’une imagination débordante. Sa mère parlait aussi du silence de plomb qui suivait l’ouverture des portes de la Grande Salle. Comme si un
silencio avait été jeté.
Jusque-là, Chloe pouvait confirmer chacun de ces dires. Jusqu’au dernier. L’angoisse dissimulée jusque-là derrière chaque plaisanterie et chaque murmure empli de rêves et d’envies montrait le bout de son nez. Les jambes lourdes presque flageolantes, elle se met en marche, derrière les autres élèves qui ouvraient le bal. Cachée au milieu du groupe, elle garde les poings fermés, comme pour se rappeler que c’était bon, elle y était. Bientôt, tout irait mieux.
L’ordre alphabétique fait qu’elle fait partie des premières à être appelées et, salive difficilement avalée, elle ne sait si c’est une chance ou pas. Elle sent son cœur battre un peu plus fort à l’appel de son nom et son ventre se serrer. C’est étrange cette sensation. L’idée d’être devant l’école entière la fait trembler, pourtant, après une dernière inspiration, elle s’élance. Au moins, elle a l’air aussi constipée que les autres passés avant elle.
Elle sursaute lorsqu’elle entend la voix grave du choixpeau dans sa tête. Mal à l’aise, elle se crispe sans s’en rendre compte. Il sonne comme cette voix qu’elle n’a que trop entendue en grandissant. Cette voix qui lui rappelait les mots de son père, l’inutilité de son existence, le désintérêt flagrant des autres envers elle, le soulagement que ses proches ressentiraient si elle disparaissait. C’est une invasion, une violation et elle n’a qu’une envie : qu’il annonce sa maison, que ce soit fini. Mais ça ne s’arrête pas.
Il ne s’arrête pas. Comme si, à chaque fois qu’il disait une chose, Chloe trouvait le moyen de le faire changer d’avis.
«
Courageuse, si courageuse. Avec un désir d’enfreindre les règles. Gryffondor serait parfait. »
Mais les règles, non ! Les règles sont là pour une raison. Combien de fois a-t-elle cherché à les enfreindre pour obtenir un sortilège de paralysie en retour ? Combien de fois a-t-elle osé défier l’autorité et été trop faible pour supporter les conséquences ? Non, les règles elles existent et elles méritent respect et obéissance.
Le silence qui s’ensuit la repose. Soulagée, elle laisse ses épaules s’affaisser, comme si l’affaire était gagnée. Gryffondor ? Elle ? Non. Elle ne pourrait jamais aller dans la même maison que son père. Quelle serait sa réaction ? Un rictus de consternation ? Une gifle à la moldue pour lui rappeler qu’elle ne mérite ni la magie, ni ce sang supérieur au sien ? Un sortilège de crache-limace pour laver l’affront ? Un frisson lui parcourt l’échine. Peut-être qu’elle est courageuse, elle n’en sait rien. Mais elle sait qu’elle ne l’est certainement pas assez pour affronter le regard de son père. Aucune maison ne sera assez bonne pour lui. Et elle ne pourrait certainement pas porter le même uniforme que lui.
«
POUFSOUFFLE. »
C’est fini. L’invasion, terminée. Les applaudissements se font assourdissants, mais elle s’en fiche. Elle ne peut retenir le sourire qui accroche ses lèvres. Soulagement, joie, fierté, tout se mélange. Au moins, sa mère et son oncle seraient heureux.
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2038-2041
«
Ta baguette plus haute. »
Il paraît ridicule de devoir lever le bras pour cet exercice. Pourquoi ne peut-elle pas simplement tenir sa baguette devant elle comme n’importe quel autre sorcier ? Elle sert à quoi cette position ? Aucun avantage de rapidité, aucune augmentation de la précision, rien que des courbatures et des crampes au bras à force de tenir la position trop longtemps.
«
Tes pieds plus écartés »
Et la prochaine étape c’est s’accroupir ? Un soupire d’agacement au bout des lèvres, elle le retient de justesse. Il ne lui avait jamais fait de mal, mais elle ne sait pas ce qui pourrait le provoquer.
Comment tu sens ? »
«
Con. »
La réponse lui échappe, mais elle n’a pas le temps de le regretter, Riagán rigole déjà et c’est avec soulagement qu’elle ose enfin le regarder. Il s’approche lentement et, doucement, il réarrange son bras. Moins tendu, plus lâche, plus à même de bouger rapidement. Elle sent la différence. Encore plus lorsque, tous seuls, ses pieds se détendent au passage.
«
Et maintenant ? »
«
Maintenant… tu regardes devant toi. »
C’est comme ça que ça commence. Elle n’a que douze ans, mais déjà son oncle l’initie au duel. Les raisons lui échappent, mais ça ne la dérange pas. C’est moins de temps passé avec son père, plus de temps passés avec Riagán et ça… ça n’a pas de prix.
Ça commence par le regard. Fuyant, peureux, toujours fixé sur le sol, il s’essaie difficilement à regarder les murs et les tableaux pleins de vie qui la fascinent. Lentement, mais sûrement, il passe des tableaux aux visages de ses camarades, puis des professeurs jusqu’à ne plus hésiter à les regarder dans les yeux. Le dos droit, la tête bien accrochée, elle apprend à sourire. Un sourire si simple, rempli d’une vivacité et d’un humour qu’elle peine, peu à peu, à dissimuler. Jamais irrespectueuse, mais toujours la blague pour ne faire rire qu’elle et les quelques élèves bons publics.
Bientôt, c’est le salut de rigueur qui n’a plus de secret pour elle. Le buste penché, la tête droite, le regard concentré et toujours… toujours ce sourire presque arrogant. Il paraît qu’il faut avoir en confiance en soi. Il paraît qu’il faut faire semblant jusqu’à ce que ce soit vrai. Et en troisième année, elle y est presque, elle pense. Presque. La fausse arrogance faiblit vite à chaque sort non bloqué, mais ça ne l’empêche pas de bosser. Ses réflexes se développent à la même vitesse que sa langue bien pendue. C’est mieux de narguer les autres lorsqu’on a de quoi se défendre derrière.
La danse, elle l’apprend par cœur. Vivre au château, survivre à la maison. Faire semblant jusqu’à ce que ce soit vrai. Prendre confiance. Savoir qu’elle est meilleure que
lui est une chose, mais le comprendre, l’entendre, l’intégrer en est une autre. Et son regard redevient fuyant. Ses réflexes disparaissent à la même vitesse que sa capacité de parler et la peur… cette peur qu’elle a toujours connut, elle ne sait plus quoi en faire.
«
Sombre idiote. Qui est-ce que tu crois impressionner ? »
«
Plus vite Chloe ! »
«
Disparais. »
«
Réfléchis. Utilise tes réflexes. Aie confiance. »
«
Bonne à rien. »
Mâchoire serrée, poing fermé autour du manche de sa baguette, regard furieux, elle se relève encore et encore et encore. À chaque entraînement. À chaque remarque. À chaque parole violente. Elle se relève sous une rage douce, lente, folle qui s’empare d’elle à mesure que les jours passent sous ce toit qu’elle déteste tant. Les secondes tiquent et les minutes toquent et les heures cognent furieusement contre sa poitrine à chaque fois qu’elle se retrouve en
sa présence.
Elle a quinze ans, doit rentrer au château d’ici quelques jours seulement lorsque le sortilège fuse. Son corps commandé par son instinct à la vue de la baguette de Fionn pointée dans sa direction. Elle n’est pas bête. Elle n’est plus naïve ni innocente et sa magie, à présent, elle fonctionne. Il est simple, mais efficace son sortilège. Les liens qui le saucissonnent en feraient une vue hilarante si elle avait seulement eu envie de rigoler. Elle se sent grande, tellement plus grande que lui, lorsqu’elle s’approche. Pour la première fois, elle le voit effrayé et la satisfaction est énorme. Si seulement elle pouvait rire. Elle se contente de le laisser là, seul, sa baguette posée là où il ne peut plus l’atteindre et de fermer les volets au passage. C’est toujours plus efficace, les punitions dans le noir.
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2045
Elle n’est pas dupe. Le regard inquisiteur, elle fixe son oncle et ses parents. Quelque chose a changé depuis quelques jours. Tendus, inquiets, ils se regardent beaucoup trop pour n’avoir rien à se dire. Et elle sait. Elle les entend. Elle comprend qu’ils se taisent dès qu’elle rentre dans la pièce. Est-elle censée être naïve et idiote, comme son père aime lui faire penser ?
Les quatre pieds dans le plat ne fonctionnent pas. Son père se moque ouvertement quand elle ouvre la bouche. Sa mère pince les lèvres et son oncle… son oncle ne rigole plus. Il se contente de la regarder et de l’entraîner. Encore et encore. Parce que ce n’est pas parce qu’elle est majeure et qu’elle a quitté Poudlard qu’il faut s’arrêter. Parce qu’elle a choisi un métier difficile et qu’elle n’arrive pas encore à faire apparaître son patronus. Parce que le travail acharné ne s’arrête jamais. Parce qu’il a peur, lui avoue-t-il finalement. Peur que la guerre reprenne, comme avant. Peur que le chaos règne, que ces traîtres pardonnés ne veuillent s’attaquer au nouveau pouvoir en place. Peur que cet incident à Tinworth ne soit qu’une étincelle qui allume la flamme. Peur. Peur qu’elle, Chloe, prunelle de ses yeux, ne soit qu’une victime parmi d’autres.
La marque des ténèbres, elle l’a toujours vue, mais jamais comme ça. Vive, sombre, réveillée. Lorsque la question tombe, elle hésite une seconde peut-être deux, mais pas tant que ça au final.
«
Souviens-toi. Tu es meilleure que nous »
Le deux septembre dit le calendrier. Elle a le dos droit, la tête droite et aucun signe de sourire lorsqu’elle reçoit la marque. Pas de fierté, pas de joie, simplement l’infime sentiment que ce n’est que le début d’une nouvelle ère. Elle ne sait que trop bien ce que ses parents ont vécu à son âge. Peut-être trop. La main de son oncle sur son épaule la rassure. Tout ira bien.
2045-2046
Faites vos jeux. Baguette en main, peur au ventre et rage de vaincre, elle est de ceux de Tintagel et des mines. Elle avait beau savoir, elle n’aurait jamais pu
imaginer. L’adrénaline, le danger, la peur si fidèle qu’elle en est tatouée sur le front, la douleur si forte qu’elle en ferait vomir et ce réflexe si violent de s’enfuir qu’il en devient l’ennemi numéro un. Le duel est une chose, les batailles en sont une autre.
Un regard échangé avec son oncle, loin, bien loin de cette plage maudite, lui rappelle la peur qu’il éprouvait lui avant qu’elle ne vienne gonfler les rangs mangemorts. Elle peine à sourire. Ils s’en sont sortis, ils s’en sortiront toujours.
«
Tout ira bien. »
Mais rien ne va plus.
Elle fait partie des quelques gardes qui transfèrent les prisonniers jusqu’à Avalon. Son loup de patronus ne saurait s’éloigner d’elle, volant, courant, roulant à mesure que les détraqueurs survolent et traînent leur auras de malheur et de désespoir.
Elle fait partie de ces gardes qui laissent les Pacificateurs récupérer les prochaines victimes du baiser avant de disparaître se mêler à la foule de la place de l’Ascension. Ces quelques gardes dont le service vient de se terminer après ce transfert rapide et propre.
Elle est propre et changée lorsqu’elle rentre par la porte d’Incantatia, là où son oncle lui demande ses papiers avec autorité et sans un sourire malgré la lueur dans son regard. Elle est dans la foule lorsque les fumigènes sont lancés. Elle est là, lorsque la fumée se dissipe et que les terroristes masqués sont révélés. Elle est là, entre les lueurs vertes et rouges des sortilèges lancés à l’aveugle sous la panique générale. Elle retrouve son oncle sans trop savoir comment. Elle voit toute la rage qu’il éprouve et toute la douleur lorsqu’il se fait frapper de plein fouet par des sorts qu’il n’avait pas vus venir.
C’est la terreur qui s’empare d’elle lorsqu’elle le voit tomber raide. Éclair rouge ou vert, elle ne saurait le dire. Elle sait juste que sa danse à elle n’est pas finie et elle n’a pas assez de protego pour se protéger de tout ce qui déferle autour d’elle. C’est un enfer. Un enfer qui brûle et ramène à la réalité. La guerre est là, déclarée, sans pitié et la mort, assoiffée, emporte tout le monde sur son passage.
La journée se termine à l’hôpital où, au chevet de son oncle et de ses parents, elle essaie de comprendre comment elle a pu s’en sortir sans rien de cassé. Égratignures, poussière et taches de sang parsèment son visage et ses bras, mais elle n’a rien. Riagán, lui, est dans un état critique.
«
Incapable. » à demi-mot, Fionn ne peut s’empêcher de critiquer. Et elle sait, comme toujours elle
sait qu’elle en est la cible. Incapable de protéger son oncle. Incapable. Incapable. Incapable. Parce qu’évidemment c’est de sa faute si les terroristes ont attaqué, et de sa faute si les Pacificateurs ont tous été visés.
Si elle avait pu lui faire bouffer sa baguette, elle l’aurait fait. Où était-il, lui pendant tout ce temps ? Avait-il mieux réussi à protéger sa femme ? La preuve était allongée dans le lit d’à côté, endormie. Rien de grave, mais suffisamment pour être surveillée.
«
Ordure. » lui murmure-t-elle en se levant. Sa baguette glissée contre les côtes de son soi-disant père, elle s’approche de façon à dissimuler son geste du public alentour. «
Si tu avais pu crever aujourd’hui, le monde s’en porterait déjà mieux. »
Elle est déjà loin quand il essaie de la suivre.
Rien n’ira plus jamais. Le fiasco de la Tour des Médias ne fait qu’empirer le constat.
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2047-2048
Elle aurait dû s’en douter. Elle aurait dû
savoir.
Les bras ballants, le regard fixé au sol, elle se sent comme à treize ans. Paralysée par la peur, incapable de se libérer des chaînes que son père aime lui passer aux poignets et fatiguée, si fatiguée de devoir se débattre, elle se laisse faire. Elle n’a même plus la force d’essayer de croiser le regard de sa mère dans un dernier supplice de libération. Le choix a été fait, la décision a été prise, commune aux patriarches. C’était ainsi. Fionn était si fier et elle… elle était battue.
Ses rêves de petites filles s’effondrent lorsqu’elle pose ses yeux sur Gareth pour la première fois. Il n’y a pas de coup de foudre, pas une seule trace d’affection pour l’homme qui deviendrait le père de ses enfants. Rien qu’un désintérêt total, à peine caché sous la curiosité minime qu’elle accorde à ses racines irlandais. Il aurait pu être mignon, avec ses cheveux un peu roux et ses taches de rousseurs qui parsèment son nez. Il aurait pu être beau, avec son sourire et son uniforme de médicomage. Il aurait pu être tant de choses, s’il n’était pas tout ce qu’elle ne désire pas. La sentence empire lorsqu’elle rencontre officiellement sa future belle-famille. Le charme est familial, certainement. Gareth aurait pu la satisfaire si et seulement s’il n’y avait pas eu quelque chose en trop, en moins… en… quelque chose de…
Un regard furtif à l’entrejambe dessine une ride de dégoût qu’elle dissimule par un léger mal de tête. Le premier qu’elle n’ait jamais eu et le premier d’une longue série, certainement.
Esquiver son futur mari s’avère être compliqué. Peut-être est-il épris. Peut-être est-il content de se marier. Peut-être est-il bon acteur. Peut-être est-il beaucoup de choses… et certainement que parmi ces choses il y a des qualités, mais elle s’en fiche. L’insistance dont il fait preuve n’aide en rien et s’il pouvait l’entendre, cela lui éviterait bien des migraines.
En l’état, il est simplement invivable et l’idée de l’épouser devenait insupportable. Encore plus lorsque, innocente, sa sœur vient s’en mêler.
«
Il n’est pas méchant, tu sais. »
Verre à la main, Chloe déglutit péniblement. Elle n’est pas sobre. Elle est au milieu d’une populace mangemort. Ils sont censés célébrer l’exécution d’O’Meara. Et surtout… elle n’est vraiment pas sobre et il y a quelque chose d’éro… il y a quelque chose dans la façon dont Maeve se tient qui lui donne chaud.
«
Non je sais… Il est gentil. »
Quel terrible compliment. Gentil. Elle aurait pu le qualifier d’intelligent, parce qu’il l’est, de charismatique, parce qu’il l’est… mais non. Il est gentil. Naïf, légèrement. Il le porte sur lui, le fait de n’avoir jamais participé aux affrontements. Si innocent. Elle se sent vieille, d’un coup. Fatiguée. Bourrée.
L’attaque est bien trop soudaine. Bien trop violente pour ses sens et son équilibre déjà bancal lui fait défaut. Elle n’aurait jamais dû venir. Elle aurait dû prétexter le travail. Elle aurait dû beaucoup de choses. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle se ressaisit grâce à Gareth et si elle l’avait pu, elle l’aurait embrassé.
Encore une fois, elle ne sait pas comment elle s’en sort. Ni au fief Kark ni à Londres. Elle sait juste que les tensions à la maison grandissent et elle ne peut ajouter son grain de sel. Elle n’a pas le courage de dire non à son père. Choisir ses batailles s’avère efficace quand il s’agit d’éviter une guerre familiale, moins lorsqu’il s’agit de ne pouvoir répondre à l’appel de la marque en plein milieu d’une garde à Azkaban. Peut-être qu’elle glisse les repas un peu trop violemment, mais elle s’en fiche. Son patronus s’agite autour d’elle. Le froid est mordant, le vent perçant. Son uniforme n’apporte que peu de réconfort. Son bras la brûle, le mécontentement se lit sur son visage, s’entend dans l’intonation de sa voix. Attendre le matin pour comprendre ce qui se passe est une véritable torture. Qui eût cru que le temps passe si lentement ?
Elle croit mourir lorsqu’elle lit les journaux.
***
«
Les jambes moins raides Chloe. C’est quoi ce truc ? »
Riagán est fatigué. Ses traits se font plus durs, les rides sur son front se dessinent toujours un peu plus et sa patience s’effrite. Les entraînements se font plus rares. L’ironie de la chose ne leur échappe pas, mais la vie est ce qu’elle est et ni l’un ni l’autre ne cherche d’excuse. Entre eux, le silence s’étend de plus en plus. Les traumatismes s’enchaînent et ni elle ni lui n’arrivent à en parler. Comme pour se préserver. Comme pour empêcher Riagán de culpabiliser. Comme pour faire semblant. Rien ne va plus. Pourtant, tout va bien lorsqu’ils sont tous les deux. Et quand vient le soir, qu’il trouve qu’elle a suffisamment bien travaillé, elle s’assoit à côté de lui à la recherche d’un réconfort dont elle a toujours eu besoin.
«
Tu es meilleure que nous, tu le sais ça ? »
«
Pourquoi ? » Elle n’a jamais su. N’a jamais voulu savoir. À ses yeux, ce n’était que pour lui redonner confiance. Pourtant quelque chose ce jour-là la pousse à poser la question.
«
Parce que tu existes. Parce que même si ton père voulait un garçon, tu existes et ton sang te mènera plus loin que n’importe lequel d’entre nous. Parce que tu es capable de beaucoup de choses, tu as seulement besoin de croire en toi. »
Tête baissée, elle l’écoute sans vraiment le croire. Elle n’est pas grand-chose de plus que lui. Être de rang quatre lui apportait des privilèges, mais elle n’était pas pure. Tout ça à cause de son père. Ce père qu’elle exècre et voudrait voir mourir, qu’elle voudrait même tuer de ses propres mains. Si elle avait été pure alors peut-être qu’elle aurait été capable de grandes choses. Il n’en est rien. Alors elle ne répond pas, laisse le silence s’étendre. C’est mieux ainsi.
Elle le laisse la prendre dans ses bras et le rire qui les secoue, c’est le dernier qu’ils partagent. Un peu comme un signe. Un peu comme un souvenir qu’elle voudrait chérir jusqu’au dernier jour de sa vie. Un peu comme un regret.
Elle avait cru voir et participer à des massacres. Elle avait cru qu’ils s’en sortiraient toujours. Elle avait cru beaucoup de choses. Le monde était voué à s’effondrer un jour ou l’autre. Prévu ou pas, le massacre est trop gros, détruit tout sur son passage. Le corps secoué de sanglots, les yeux noyés sous les larmes, pour la première fois de sa vie elle n’arrive pas à se relever.
▲
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2048-2049
Le monde tourne aussi vite que les corps s’amassent. Une fracture ici et là éveille en elle une douleur sourde qu’elle ignore aussi facilement que le sang qui gît au sol, à ses pieds. Les sens aux aguets, elle sent les mains de son père sur ses épaules, le dégoût qui et la peur qui lui contractent le dos, entend sa mère qui hurle, Maeve qui pleure, goûte ses propres larmes au creux de ses lèvres. Elle sent ses jambes trembler, ses poings se serrer, la panique serrer sa poitrine toujours un peu plus fort. Elle sent le hurlement se coincer entre sa gorge et sa langue, comme un rot qui refuse de sortir. Une gêne qui l’empêche de respirer.
Le monde tourne et plus rien n’a de sens. Pas même son père qui lui martèle quelque chose sans qu’elle ne l’entende réellement. Il y a une odeur de fer dans l’air, une odeur d’irréel. Une atmosphère de douleur et d’agonie et Chloe ne sait pas… ne comprend pas…
Plongée dans le noir, elle se souvient du jour où il avait été là pour la sortir du bureau. Elle se souvient des jours et des mois passés à rire et apprendre et à prendre confiance. Elle se souvient du brin de tendresse et elle cherche, cherche, cherche désespérément à se souvenir du son de sa voix. Elle devrait pouvoir l’entendre.
Elle n’entend que le silence assourdissant mélangé aux cris et aux pleurs ambiants et ses jambes finissent par lâcher. Agenouillée près du corps, elle gémit une première fois.
«
Non… »
Une seconde fois. Une troisième fois. Jusqu’à frapper sa poitrine et tomber encore et encore et encore au fond du gouffre parce qu’il n’a pas le droit. Pas lui. Pas lui. N’importe qui, mais pas lui. Pas lui.
«
Chloe… »
Le monde s’écrase au même que la main se pose sur son bras. Sa mère, larmes aux yeux la regarde comme si son cœur se brisait aussi. Les bras d’Hanna viennent se refermer autour de ses épaules, comme si son réconfort lui apporterait de quoi se calmer. Si seulement. Si seulement.
«
Chloe, on vient de retrouver Gareth. »
Est-ce cruel de dire qu’elle s’en fiche ? Est-ce cruel qu’il n’y ait ni pincement au cœur ni une seule pensée ? Si elle pouvait ouvrir les yeux, elle regarderait Maeve une brève seconde, mais elle ne peut pas. Elle s’effondre.
Les jours passent, le manque s’installe.
Ça commence par le vide et le silence qui l’envahit. Par la distance, enfin, qui s’installe entre ses parents et elle. Par le besoin, de plus en plus palpable de le voir et de lui parler. Par l’envie de comprendre pourquoi. Par la réalisation que plus jamais elle ne le verrait. Qu’elle avait toute une vie à vivre sans lui. Que rien, plus rien, n’irait plus jamais.
Ça commence par les larmes et les cris. Par la violence des mots qu’elle n’hésite plus à utiliser. Par la haine si profonde qu’elle ressent envers Fionn et le fait que lui ait survécu. Il n’y a que les pires pourritures qui arrivent à survivre. Comme les cafards. Ça commence par la colère. Elle boue, seule, silencieuse, tremblotante au creux de ses tripes. Comme un volcan qui se réveille après trop d’années passées endormies. Ça commence par la disparition de son patronus et son incapacité à travailler correctement. Ça commence par ce besoin viscéral de tous les tuer, les responsables. Moldus, Phénix, idiots ou abrutis, traitres à leurs sangs, tous ceux qui pourraient avoir envie de se mettre en travers de son chemin.
Ça se termine avec le testament. Elle s’effondre. Encore et encore. Jusqu’à ce qu’elle n’ait plus d’autre choix que de se relever. Héritière des biens de son oncle, elle tourne le dos à ses parents. Loyale à tout ce qu’il avait pu lui inculquer, elle suit Lagides. Détruite, elle s’accroche autant que faire se peut à la mémoire qu’elle a de lui. Raccrocher son uniforme de gardienne devient une évidence. Prendre celui des Pacificateurs en est une autre.
Le monde tourne trop vite. Le calme avant la tempête n’augure rien de bon. Les Phénix ont été écrasés, éloignés des terres trop longtemps terrorisées par leurs actions, mais leur bannissement pourrait n’être que ce dont ils avaient besoin pour se regrouper, recruter, revenir en force. Les moldus planqués restent bien trop arrogants pour leur propre bien. Les coupures de magie s’accumulent depuis quelque temps et la frustration ne fait qu’accentuer son envie d’éradiquer la vermine de la surface de la Terre. Et l’ordre
doit être maintenu tant qu’il peut l’être. Il n’y a que l’ordre pour l’aider à reprendre son souffle. À accepter que le monde tourne, qu’elle devrait aller de l’avant. Et, l’idée la frôle bêtement, peut-être que Riagán serait fier.
***
2051
Sa photo règne en maître sur la commode à l’entrée. Les cheveux d’un châtain presque blond, débroussaillés par le vent, le sourire éclatant, il tient un bébé dans les bras. Le seul bébé de la famille. Il s’agirait presque d’un autel, tant la photo prend de place. Elle est petite, pourtant, mais la symbolique est énorme et Chloe ne peut l’occulter.
Dans les meilleurs jours, elle passe devant sans s’arrêter, sans jeter le moindre regard. La douleur s’est apaisée, sans qu’elle ne sache trop comment. Dans les mauvais jours, elle se laisse aller les fesses collées au sol, les pleurs à s’en écorcher la gorge tant que le manque est immense. Comment continuer à vivre sans lui ? La question sans réponse résonne dans sa tête en permanence, à tel point qu’elle a appris à l’ignorer.
Dans les meilleurs jours, elle enfile son uniforme de Pacificateur sans réfléchir, sans y penser. Dans les pires des jours, elle ne peut s’empêcher de l’imaginer dedans. Vingt-deux années passées à le voir le porter fièrement, elle sait très bien à quoi il ressemblait.
Dans les meilleurs jours, elle prend le temps de lui parler, un peu. Dans les pires des jours, elle fuit la moindre pensée, le temps de tenir jusqu’au bout. Jusqu’à ce que la porte de son appartement se ferme derrière elle et que les vannes s’ouvrent.
Dans les mauvais jours, elle le déteste. Elle le déteste tellement qu’elle en détruirait cette maudite photo. Dans les bons jours aussi, mais elle le tait. De toute façon, qui pourrait l’entendre ? Elle ne voit plus ses parents, Gareth est mort et ses amis… elle ne veut pas plomber l’ambiance. Eux aussi ont perdu des êtres chers, ils n’en font pas tout un foin.
Aujourd’hui est un bon jour et pourtant, son œil accroche la photo.
«
Qu’est-ce que tu ferais, toi ? »
La question lancée, elle ne peut plus la rattraper. Riagán se contente de la fixer, tout sourire avant de se concentrer à nouveau sur le bébé qui dort dans ses bras. La marque qu’il porte est clairement visible. Symbole de son allégeance éternelle. Lui qui avait été Héritier, que ferait-il aujourd’hui ? Serait-il d’accord avec les choix de Lagides, le retour des Phénix ? Ses choix à elle ? Serait-il fier de la voir dans cet uniforme ? Ou pesterait-il encore parce que sa posture n’est pas correcte ?
Le silence s’éternise. Son avis ne compte plus de toute façon.
Baguette en main, elle transplanne.